Ce vendredi, Berlin a adopté sa première loi fédérale pour lutter contre les violences sexistes et domestiques, même s’il faudra encore sept ans avant qu’elle soit pleinement mise en œuvre.
En Allemagne, les données les plus récentes révèlent qu’en 2023, 180 715 femmes ont été victimes de violence domestique, soit une augmentation de 5,6 % par rapport à l’année précédente. Les cas de violence sexuelle ont touché 52 330 femmes, soit une augmentation de 6,2 %, et 17 193 femmes ont été victimes de violence en ligne, soit une augmentation de 25 %.
La loi sur la protection contre la violence, qui vise à lutter contre l’ampleur de la violence et qui a été adoptée par tous les partis, a été officiellement approuvée le 14 février par le Bundesrat, l’organe représentant les 16 Länder allemands.
« Une femme sur trois sera victime de violences physiques ou sexuelles au moins une fois dans sa vie. Une sur trois, cela signifie que nous connaissons tous quelqu’un », a déclaré la ministre fédérale allemande de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse, Lisa Paus.
Elle a salué cette loi comme étant « véritablement historique », car la violence à l’égard des femmes ne connaît pas de frontières sociales.
La loi introduit, pour la première fois au niveau fédéral, le droit à une protection et à des conseils gratuits, à compter de janvier 2032. Ce délai prolongé vise à donner aux Länder le temps de renforcer les systèmes de soutien conformément aux nouvelles exigences.
Le gouvernement va allouer 2,6 milliards d’euros d’ici 2036 pour développer les foyers d’accueil pour femmes et combler les lacunes du réseau de services de conseil.
« La loi est un moteur essentiel pour garantir que nous maintenions au moins, voire améliorions, le niveau actuel de soutien et de financement », explique l’Association allemande des foyers d’accueil pour femmes à Euractiv.
La loi mettra également l’accent sur la prévention de la violence par le biais de programmes destinés aux auteurs de violences, de campagnes de sensibilisation du public et d’une meilleure coordination entre les services de soutien spécialisés et les réseaux d’assistance générale.
« La loi sur la protection contre la violence sauvera des vies. L’accès aux structures de protection est absolument essentiel », confie Katrin Langensiepen, eurodéputée écologiste, à Euractiv.
Les lacunes
Malgré les progrès considérables qu’elle représente, la loi ne sera pas mise en œuvre avant 2032, ce qui risque d’exacerber l’ampleur de la violence sexiste, en particulier sous sa forme la plus grave : le féminicide.
« Il ne faut pas se reposer sur cette loi ni attendre que le droit à une aide juridique entre en vigueur », avertit l’Association allemande des foyers d’accueil pour femmes.
La date de 2032 fixée pour l’entrée en vigueur des droits à une aide juridique est « trop tardive », déplore l’ONG, ajoutant que l’absence de protection ne fait qu’accroître le risque de violence, avec des conséquences mortelles, comme en témoigne le nombre croissant de féminicides, en Allemagne comme ailleurs.
Le féminicide est généralement défini comme « le meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son genre, tel que le meurtre de femmes résultant de violences conjugales, la torture et le meurtre misogyne de femmes ».
Sur les 938 femmes et filles victimes de tentatives de meurtre ou de meurtres, 360 ont perdu la vie. Cela signifie qu’en 2023, l’Allemagne a enregistré près d’un féminicide par jour.
La législation ne définit pas non plus clairement le viol. « La loi ne contient pas de définition claire et universellement applicable du viol, basée sur le principe du “Seul un oui est un oui” », souligne l’eurodéputée des Verts Alexandra Geese à Euractiv.
Cette dernière cite des exemples de réussite dans d’autres pays européens, comme l’Espagne, qui ont adopté des définitions plus claires de la violence sexuelle afin de renforcer les droits des victimes.
Des divergences à l’échelle de l’UE
Dans toute l’Europe, les lois sur les droits sexuels et reproductifs des femmes, ainsi que sur la protection contre les violences sexuelles, restent hétérogènes.
« Lors de la dernière législature, nous avons ratifié la Convention d’Istanbul et adopté la directive européenne visant à lutter contre les violences faites aux femmes », souligne Katrin Langensiepen, une directive que le Parlement a adoptée en avril dernier après deux ans d’intenses négociations.
Pourtant, pour Alexandra Geese, la directive est « bien en deçà des attentes ». Elle critique notamment son pays d’origine, l’Allemagne, qui, avec la France, a bloqué une définition du viol à l’échelle de l’Union européenne (UE), une mesure qui aurait offert une meilleure protection à toutes les femmes en Europe.
Pour corriger cela, « nous devons insister, lors des prochaines négociations sur le cadre financier pluriannuel, pour que des fonds européens soient alloués spécifiquement à la protection des femmes », indique Katrin Langensiepen.
Par Jeremias Lin