Ce fut la première à accuser haut et fort l’industrie du cinéma français de fermer les yeux sur les abus sexuels qui le gangrènent depuis de nombreuses années. C’est aujourd’hui la première à faire condamner un réalisateur pour ces mêmes abus sexuels. En cela, le verdict rendu ce lundi par le tribunal de Paris est historique. Accusé d’avoir agressé sexuellement l’actrice, âgée de 12 à 14 ans aux moments des faits, Christophe Ruggia a été condamné à quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique. Le tribunal a aussi condamné le réalisateur à indemniser Adèle Haenel à hauteur de 15.000 euros pour son préjudice moral, et 20.000 euros pour ses années de suivi psychologique.
Si le cinéaste a annoncé faire appel de ce jugement, cette décision n’en marque pas moins un basculement depuis le déclenchement du mouvement #MeToo. Alors que Gérard Depardieu devait comparaître en octobre 2024 pour des accusations d’agressions sexuelles sur deux autres femmes – dans un procès qui a finalement été reporté de cinq mois pour des raisons de santé –, que Benoît Jacquot a été mis en examen en 2024 pour viols sur plusieurs actrices (dont Judith Godrèche) et que Jacques Doillon est visé par plusieurs plaintes pour viol et tentative de viol, le procès de Christophe Ruggia est le premier à aboutir à une condamnation.
Le timing est loin d’être anodin puisque cette décision de justice intervient à quelques semaines de la cérémonie des César, qui aura lieu le 28 février, soit cinq ans jour pour jour après que le 28 février 2020, à cette même grand-messe du cinéma français, Adèle Haenel s’était écriée : « C’est une honte ! La honte ! », au moment où l’on attribuait le César de la meilleure réalisation au cinéaste franco-polonais Roman Polanski, un homme accusé par plusieurs femmes de violences sexuelles. Sur ce coup d’éclat, l’actrice avait quitté la salle, actant ainsi sa rupture avec l’industrie du cinéma français, qu’elle accuse d’être l’un des rouages destinés à « rendre désirables l’ordre bourgeois et le capitalisme ».
Depuis, l’artiste résolument engagée avait réorienté sa carrière vers les planches, notamment dans les créations de Gisèle Vienne, et poursuit son militantisme sur plusieurs fronts. Elle sera d’ailleurs bientôt à Bruxelles, à l’affiche de la soirée Together for Palestine, samedi prochain aux Halles de Schaerbeek.
Longtemps acclamée pour ses rôles marquants dans des films comme Les combattants, 120 battements par minute et Portrait de la jeune fille en feu, Adèle Haenel avait donc totalement disparu du grand écran tout en devenant l’égérie d’un irréductible combat féministe. Ainsi, en marge de son procès contre Christophe Ruggia, les appels au rassemblement se multipliaient sur les réseaux sociaux. On pouvait notamment lire en ligne : « Affaire Adèle Haenel. La justice joue un rôle crucial dans le maintien du déni social et l’impunité de l’immense majorité des pédocriminels. Soyons nombreux.ses devant le tribunal de Paris pour le verdict. »
Le vent serait-il en train de tourner dans le cinéma français ? Le mois dernier, les organisateurs des César annonçaient avoir pris la décision de suspendre tout membre de l’Académie qui serait mis en cause par la justice, afin de renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde du cinéma. Terriblement seule en février 2020 – le silence assourdissant qui avait accompagné son fracassant départ des César aurait fait une sacrée séquence de film ! –, Adèle Haenel a désormais au moins une alliée de poids dans son combat : la justice.
Par Catherine Makereel