Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Gérard Depardieu à 18 mois de prison avec sursis pour les agressions sexuelles de deux femmes sur le tournage du film « Les Volets verts » en 2021. La victimisation secondaire, liée à la stratégie de défense, est également reconnue.
C’est le premier aboutissement judiciaire d’une affaire qui compte plusieurs volets. Gérard Depardieu a été condamné mardi 13 mai pour agressions sexuelles dans l’une des affaires le visant, celle du tournage du film Les Volets verts (2022).
L’acteur star du cinéma français est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, après les plaintes d’Amélie, décoratrice ensemblière, et de Sarah*, assistante mise en scène ; il sera inscrit sur le fichier des auteurs d’infractions à caractère sexuel et est condamné à une peine d’inéligibilité de deux ans.
Le comédien était absent à l’audience à Paris, retenu par le tournage d’un nouveau film au Portugal, après quatre ans loin des plateaux de cinéma.
Le président du tribunal, Thierry Donard, a insisté sur les « déclarations constantes, réitérées et circonstanciées » des deux plaignantes, corroborées par des « déclarations cohérentes » de témoins ou de personnes à qui elles se sont confiées, et, pour Sarah, de messages écrits détaillant les agressions, envoyés à sa famille et à sa colocataire.
À l’inverse, il a insisté sur les « incohérences », les explications « pas crédibles » ou « tardives » de Gérard Depardieu, soulignant qu’il avait changé de version à l’audience. Le tribunal estime aussi que le comédien ne « semble pas avoir appréhendé la notion de consentement », ni le mal qu’il a causé.
Fin mars, le parquet de Paris avait requis dix-huit mois de prison avec un sursis probatoire de trois ans, et une obligation de soins psychologiques contre le comédien.
La décision était aussi très attendue sur le volet du préjudice. À l’issue des quatre jours d’audience, les avocates des parties civiles avaient demandé une indemnisation supplémentaire au titre de la « victimisation secondaire », c’est-à-dire la maltraitance subie par leurs clientes pendant la procédure.
La victimisation secondaire reconnue, une « première fois »
Mardi 13 mai, le tribunal a reconnu cette « victimisation secondaire » subie par les plaignantes de la part de l’avocat de Gérard Depardieu lors du procès. Énumérant plusieurs des attaques du pénaliste, le président a évoqué des « propos outranciers, humiliants, portant atteinte à la dignité et destinés à heurter » qui ouvrent la voie à une « indemnisation spécifique ».
Gérard Depardieu devra verser à Amélie 4 000 euros au titre du préjudice moral, 1 000 euros au titre de la victimisation secondaire subie et 10 000 euros de dommages-intérêts ; à Sarah, 2 000 euros au titre du préjudice moral, 1 000 euros au titre de la victimisation secondaire, 1 040 euros relatifs à ses frais de santé et 10 000 euros de dommages-intérêts. Et pour l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), partie civile à ce procès, 1 500 euros.
Dans sa plaidoirie, Carine Durrieu Diebolt, avocate d’une plaignante, avait dénoncé les « salissures » émanant des « stratégies de la défense », tandis que sa consœur Claude Vincent avait fustigé une « apologie du sexisme » et « un agresseur défendu par un agresseur qui a agressé tout le monde dans cette salle d’audience ». L’avocate avait aussi souligné « la responsabilité de l’État » : « C’est l’institution qui aurait dû prendre toutes les mesures pour que cela n’ait pas lieu. »
« On entend toujours “il faut que la justice fasse son travail”, aujourd’hui c’est chose faite, a réagi Amélie, à l’annonce du jugement. C’est notre victoire à toutes. Je pense à toutes les femmes qui sont venues nous soutenir en témoignant à notre procès. Sarah et moi, on dédie cette victoire à toutes celles qui n’ont pas pu parler. »
« Je suis extrêmement soulagée, tout particulièrement pour cette petite indemnisation de victimisation secondaire très très symbolique, salue aussi Amélie. C’est vraiment important que les agresseurs sexuels qui embauchent ce genre d’avocats réfléchissent au fait que ça pourrait leur coûter encore plus cher. » Avant d’ajouter : « On dit des femmes qu’elles sont vénales, moi je n’ai pas gagné un centime avec cette affaire, l’indemnisation ne couvre pas tous mes frais engagés. Mais j’ai la conscience tranquille, je suis soulagée. »
L’autre plaignante, Sarah, qui n’a pas pu être présente au délibéré, indique à Mediapart combien elle est « soulagée » de cette décision. « C’était important pour moi d’être entendue, crue. Que la vérité sorte enfin. Que la victimisation secondaire soit prise en compte. Qu’on arrête de minimiser les faits », explique-t-elle, en « pens[ant] à toutes les autres victimes, à toutes celles qui n’ont pas pu parler et à celles pour qui c’est trop tard ». « C’est un combat que j’ai mené pour moi, mais aussi pour elles. J’espère que cette procédure servira à faire avancer les choses », ajoute-t-elle.
À la sortie de la 10e chambre, l’avocate Carine Durrieu Diebolt a salué « une belle décision », « une reconnaissance pour les victimes de Gérard Depardieu » : « C’est la victoire de deux femmes sur un tournage, mais c’est la victoire de toutes les femmes derrière ce procès, et j’ai une pensée également pour les autres victimes de Gérard Depardieu, qui sont prescrites, et pour les quatre qui sont venues à la barre [au procès, en mars – ndlr], Marie, Sarah, Carine, Lucile, parce qu’elles ont été très courageuses de venir. »
« La condamnation est un soulagement, mais pas une surprise, réagit l’autre avocate, Claude Vincent. L’attente portait davantage sur les montants qui allaient être attribués, et c’est à mon sens la première fois que les termes de victimisation secondaire apparaissent dans une décision pénale française s’agissant des propos et manœuvres de l’avocat de la défense lors de l’audience. »
L’avocat de Gérard Depardieu, Jérémie Assous, dont la stratégie de défense a été l’objet de vifs débats, a réagi en regrettant que « maintenant la défense, dans ce type de procès, n’est plus acceptée ».
Il a également annoncé que le comédien allait faire appel de cette condamnation. Il a estimé que « pour la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris, accusation vaut condamnation ». « À partir du moment où vous êtes mis en cause aujourd’hui dans une affaire dite d’agression sexuelle, vous êtes automatiquement condamné, et peu importe si on relève de multiples contradictions, des mensonges, voire des incohérences ou des incompatibilités physiques, on considère que ce n’est absolument pas grave, et pire, on considère que remettre en cause les accusations est une agression supplémentaire », a-t-il indiqué.
Alors que s’ouvre le 78e Festival de Cannes, cette condamnation devrait résonner bien au-delà du cas de Gérard Depardieu. Depuis le déclenchement de #MeToo, le monde du cinéma a été en première ligne des soubresauts du mouvement. En avril, un rapport de la commission d’enquête parlementaire a étrillé l’industrie cinématographique, dépeinte comme une « machine à broyer les talents » dans laquelle perdurent encore « la loi du silence », des résistances profondes et des « dysfonctionnements bel et bien systémiques ».
« Aujourd’hui, j’espère que ce sera la fin de l’impunité d’un artiste dans le milieu du cinéma, a indiqué l’avocate Carine Durrieu Diebolt. J’ai entendu certains acteurs, récemment encore, apporter leur soutien à Gérard Depardieu, je crois qu’avec cette décision-là, on ne peut plus dire que ce n’est pas un agresseur sexuel. »
Une affaire révélée par Mediapart
L’affaire qui vaut une condamnation à Gérard Depardieu a été révélée par Mediapart en février 2024. Après notre première enquête sur le comédien en 2023, deux femmes – Amélie, une décoratrice ensemblière de 54 ans, et Sarah, une assistante mise en scène de 34 ans – avaient alerté Mediapart à six mois d’intervalle, sans se concerter.
Toutes deux accusaient l’acteur de les avoir agressées sexuellement sur le tournage du film Les Volets verts de Jean Becker, en août et septembre 2021. Elles ont porté plainte au printemps 2024 et la procédure a abouti à un procès en octobre 2024, finalement renvoyé au mois de mars à la demande de l’acteur, qui a invoqué des problèmes de santé.
Lors de l’audience, l’acteur a de nouveau nié toute agression sexuelle, rétorquant qu’il n’était « pas Émile Louis », ni « un frotteur dans le métro ». « Je ne vois pas pourquoi je m’amuserais à peloter une femme, des fesses, des seins », a-t-il répété. Mais, à la barre, il a changé de version des faits. Alors qu’en garde à vue, un an plus tôt, il avait assuré qu’il n’avait « jamais touché » Amélie et qu’il n’avait aucun souvenir de Sarah, ni du fait qu’elle s’était plainte, au procès il a expliqué avoir saisi les hanches de la première « pour ne pas tomber » et n’avoir jamais été « seul » avec la seconde.
Et alors qu’il avait affirmé n’avoir pas « le souvenir de [s’]être excusé » auprès de ces deux femmes – comme plusieurs témoins l’ont affirmé –, à la barre il a dit s’être excusé simplement pour ses propos virulents, et en aucun cas pour des agressions sexuelles.
Le procès a été marqué par la virulence de l’avocat de Gérard Depardieu, qui a multiplié les propos sexistes, misogynes ou humiliants à l’égard des plaignantes – qualifiées de « menteuses », de femmes vénales, qui voudraient « faire [leur] cinéma devant les caméras » –, comme de leurs avocates, qui ont reçu le soutien de deux cents de leurs pair·es dans une tribune parue dans Le Monde. Dans sa réponse au quotidien, Jérémie Assous a de son côté dénoncé « des contrevérités » et rétorqué qu’« un procès n’est pas une cérémonie expiatoire visant à mettre en scène un accusé venant enfin à résipiscence ».
Une autre affaire menace Depardieu
Après le procès, onze des vingt-deux femmes qui ont accusé le comédien de violences sexuelles dans la presse ou auprès de la justice ont pris la parole pour dénoncer, dans l’émission de Mediapart, le sentiment d’« impunité » de l’acteur pendant des années.
Depuis 2018 et le déclenchement de l’affaire, six d’entre elles ont porté plainte (deux procédures ont été classées pour prescription). Gérard Depardieu, qui bénéficie de la présomption d’innocence, conteste l’ensemble des accusations. Dans une tribune publiée dans Le Figaro en octobre 2023, le comédien avait affirmé qu’il n’avait « jamais au grand jamais abusé d’une femme », et que « faire du mal à une femme, ce serait comme donner des coups de pied dans le ventre de [s]a propre mère ».
L’acteur pourrait cependant n’en avoir pas fini avec la justice. La plainte déposée par la comédienne Charlotte Arnould en 2018 lui vaut une mise en examen pour viols et agressions sexuelles (qu’il conteste). Le parquet a requis un procès ; la juge d’instruction n’a quant à elle pas encore rendu sa décision, des investigations supplémentaires étant en cours.
Par Marine Turchi (publié le 13/05/25)