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En Roumanie, un sursaut de mobilisation fait chuter le candidat d’extrême droite

Le maire de Bucarest, un indépendant pro-européen et libéral, a déjoué les attentes en Roumanie : il s’est imposé dimanche 18 mai au second tour de la présidentielle, porté par une participation massive de citoyens qui se sont déplacés pour faire barrage à l’extrême droite.

Malgré une avance colossale au premier tour, George Simion, le candidat d’extrême droite, s’est incliné au second tour de la présidentielle roumaine. Une mobilisation des citoyen·nes bien plus massive qu’attendu – 64,7 %, soit plus de onze points de plus qu’au premier tour, ce qui constitue le taux le plus élevé depuis la présidentielle de 1996 – a permis la victoire du candidat indépendant et pro-européen, l’actuel maire de Bucarest, Nicușor Dan.

Cet ancien mathématicien de 55 ans, qui n’est pas réputé pour son charisme, a rassemblé 53,6 % des voix, contre 46,4 % pour Simion, selon des chiffres définitifs. Au premier tour, Nicușor Dan n’avait récolté que 21 % des voix. En l’espace de deux semaines, il a donc gagné plus de quatre millions de voix (sur un total de quelque 11,5 millions de votant·es).


« La communauté roumaine qui l’a emporté aujourd’hui veut un changement profond, pour que les institutions étatiques fonctionnent véritablement, pour moins de corruption, pour un environnement économique plus prospère », a lancé Nicușor Dan à ses partisan·es en début de soirée.

Après la publication des premiers sondages en sortie des urnes, qui le donnaient d’emblée perdant, George Simion a revendiqué malgré tout la première place, parlant d’une « victoire nette », lors d’une allocution faite devant les marches du Sénat, l’immense Palais du peuple construit du temps de Nicolae Ceaușescu. Sur le réseau social X, il annonçait même : « Je suis le nouveau président de la Roumanie. »

Ces sorties laissent entendre que lui et son camp pourraient contester la victoire. En milieu de journée, Simion avait déjà posté un message sur X assurant que « de nombreuses personnes décédées figurent sur les listes électorales roumaines ». Mais Simion a finalement reconnu sa défaite, dans une vidéo qu’il a mise en ligne sur X : « Nous avons peut-être perdu une bataille, mais certainement pas la guerre. »

La présidentielle roumaine était scrutée avec attention par la communauté internationale, après l’annulation d’un premier scrutin en novembre 2024 auquel l’extrême droite était arrivée en tête, alors que les autorités avaient dénoncé des ingérences russes. Simion promettait d’en finir avec l’aide militaire à l’Ukraine, s’il était élu président d’un pays par ailleurs stratégique pour l’Otan, en raison notamment de son accès à la mer Noire.

Les eurodéputé·es du Rassemblement national (RN) Thierry Mariani et Virginie Joron avaient ainsi fait le déplacement à Bucarest pour soutenir ce dimanche George Simion. « Nous voulons que Marine Le Pen soit candidate [en France – ndlr]. En Roumanie comme en France, on veut que les électeurs choisissent qui ils veulent. Et en Roumanie et en France, ce sont deux candidats qui sont différents, mais qui ont une priorité, leur nation, leur pays », a expliqué Mariani dans une vidéo postée sur X avant l’annonce de la défaite de « son » candidat, également soutenu par Giorgia Meloni à Rome ou Donald Trump aux États-Unis.

Le déroulé du scrutin a aussi été marqué par le message envoyé durant la journée par le fondateur de Telegram à des utilisatrices et utilisateurs roumains de la messagerie. Pavel Durov y accuse des Occidentaux – et les autorités françaises en particulier – d’avoir cherché à « réduire des voix conservatrices au silence » en Roumanie « en amont de l’élection présidentielle d’aujourd’hui ». Un porte-parole du ministère des affaires étrangères roumain a dénoncé en réaction une nouvelle forme d’« ingérence russe », tandis que le Quai d’Orsay a vivement démenti les accusations.

Aussi spectaculaire soit-il, le sursaut en faveur de Nicușor Dan n’est pas tout à fait inédit dans l’histoire récente roumaine : à la présidentielle de 2014, le social-démocrate Victor Ponta était arrivé en tête du premier tour (40,4 % des voix, avec dix points d’avance sur le second), mais s’était finalement incliné face au libéral Klaus Iohannis, après une hausse de la participation (onze points de plus d’un tour à l’autre).

Au-delà du sursaut de mobilisation, Simion paie sans doute le prix d’une fin de campagne erratique, avant tout menée à l’étranger, depuis Rome ou Varsovie, davantage que dans les territoires ruraux et les petites villes qui constituent le principal bassin de voix.

Concernant le vote des Roumain·es de l’étranger, décisif pour expliquer l’ampleur de la victoire de Simion au premier tour, le candidat d’extrême droite est encore arrivé en tête au sein de la diaspora (55,9 % contre 44,1 %). Mais sa victoire est moins nette. Ce fut notamment le cas en France (57 % pour Simion ce dimanche, contre plus de 74 % le 4 mai).

Dan, un libéral formé à Paris


Le vainqueur de la soirée, Nicușor Dan, a réalisé une partie de ses études dans la capitale française, notamment à l’École normale supérieure, à partir de 1992. Il a présenté sa thèse réalisée à Paris XIII en 1998, année au cours de laquelle il décida de retourner en Roumanie, soit neuf ans après la chute de la dictature communiste de Nicolae Ceaușescu.

Il s’engagea plus nettement en politique à partir de 2006 en créant l’association Sauver Bucarest, visant à préserver le patrimoine architectural de la capitale et ses espaces verts, menacés par la spéculation immobilière. Ce collectif est devenu la plateforme avec laquelle il s’est ensuite présenté à la mairie, à partir de 2012. Il a finalement été élu maire en 2020.

Autre moment clé de sa carrière politique : il fut l’un des cofondateurs en 2016 de l’Union pour sauver la Roumanie (USR), qui se présentait comme une alternative aux deux grands partis traditionnels roumains (PNL et PSD), discrédités par de nombreuses affaires de corruption. Dan fut en particulier le chef de file de la campagne des législatives de 2016 (près de 9 % des voix). Mais il démissionna du parti un an plus tard, en désaccord avec la ligne prise par USR lors d’un référendum visant à modifier la loi, sous la pression des Églises, de façon à interdire le mariage des personnes du même sexe.

Alors qu’un pan d’USR assumait des positions progressistes, contre ce projet de loi, Nicușor Dan, lui, estimait que le parti devait se tenir à distance des questions sociétales, pour se concentrer sur la bataille pour la transparence et contre la corruption. Un positionnement interprété par beaucoup comme un signe de son conservatisme sociétal.

Dan est un fervent partisan de l’Union européenne, comme du soutien militaire à l’Ukraine – de quoi soulager les institutions bruxelloises ce dimanche soir, après six mois d’une séquence politique très délicate.

À court terme, l’ancien mathématicien devra proposer à la chambre basse le nom d’un chef de gouvernement capable de répondre à la poussée du déficit public (9,3 % du PIB en 2024, le plus élevé d’Europe). Il devra surtout répondre à l’extrême polarisation du pays (comme le prouve la répartition géographique du vote). Car si l’extrême droite a perdu ce dimanche, elle ne cesse de progresser. La colère d’un pan de l’électorat, choqué par les scandales politiques à répétition, et qui n’a pas profité de l’essor économique de la Roumanie depuis son entrée dans l’UE, s’annonce difficile à apaiser.

De ce point de vue, la manière dont Nicușor Dan a fait campagne dans l’entre-deux-tours – surtout à Bucarest et dans les grandes villes, et en vantant les bienfaits de politiques néolibérales prônées par l’UE – n’invite pas forcément à l’optimisme. « À partir de demain, commençons tous ensemble à reconstruire la Roumanie ! », a cependant lancé le vainqueur, dans la soirée.

Par Ludovic Lamant (publié le 18/05/25)

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