Fronde des réservistes en Israël : « Je ne porterai plus l’uniforme sous le gouvernement actuel »

Alors que la guerre à Gaza perdure, des voix dissonantes s’élèvent jusque dans les rangs de l’armée israélienne. De plus en plus de réservistes refusent de reprendre les armes, et plusieurs appels ont été lancés par d’anciens militaires, dénonçant une guerre dont l’objectif prioritaire ne serait plus la libération des otages. Une contestation inédite qui fragilise le gouvernement de Benjamin Netanyahu.


« La bande de Gaza ressemble à un amas de ruines, il n’en reste plus rien, et Tsahal prévoit d’y manœuvrer de nouveau, sans objectif clair », raconte le soldat Yuval Ben-Ari, récemment allé combattre dans l’enclave, où il a été appelé comme réserviste.

Après le massacre du 7-Octobre, cet Israélien de 40 ans s’était immédiatement porté volontaire. Il a participé à une manœuvre au Liban, puis a été envoyé vers le corridor de Netzarim, et dans le sud de Gaza. Mais après quelques jours, il dit avoir pris conscience que c’était une erreur.

« C’est avec une profonde tristesse, un sentiment de culpabilité et un profond sentiment de responsabilité que je me suis adressé à mon commandant pour lui demander de me retirer de la réserve. Je ne porterai plus jamais d’uniforme sous le gouvernement actuel », raconte-t-il à Radio Haifa, affirmant aussi n’avoir « aucune confiance dans les dirigeants israéliens ». « Je ne veux pas participer à cela et je ne suis pas le seul, poursuit-il. Il me semble que Tsahal mène des actions inutiles qui n’ont rien à voir avec le retour des otages. »

Les témoignages comme celui-ci se multiplient depuis plusieurs semaines. De plus en plus de réservistes demandent l’arrêt de la guerre pour favoriser la libération des otages et critiquent désormais ouvertement la politique de Benjamin Netanyahu, notamment après la décision du gouvernement de rompre le cessez-le-feu le 18 mars.

Point de non-retour


L’association « Soldats pour les otages », fondée par Yuval Green, recense sur son compte Instagram les récits de ces soldats, considérés comme des déserteurs par l’armée. Yuval Green lui-même est l’un d’entre eux. Cet étudiant en médecine a fondé ce mouvement anti-guerre après avoir déposé les armes en janvier 2024.

C’est lors d’une opération terrestre avec son unité de parachutistes à Khan Younès, que le jeune réserviste de 26 ans réalise qu’il ne veut plus participer aux opérations armées à Gaza. « Le point de bascule, c’est quand notre commandant nous a demandé de mettre le feu à une maison dont on était sortis, se remémore Yuval Green. Je suis allé le voir et je lui ai demandé pourquoi faire ça ? Pourquoi brûler une maison qui appartient à une famille qui est supposée revenir ? Il m’a dit que ça ne lui posait pas de problème. Je lui ai répondu que s’il autorisait ça, je n’y participerai pas », raconte-t-il à France info.

Plus de 100 000 réservistes comme Yuval Green ont « cessé de participer à leurs missions de réserve », selon le magazine israélo-palestinien +972. D’après la radio télévision nationale israélienne Kan, seul 60 % des soldats se sont présentés à l’armée en mars.

En Israël, servir dans la réserve est obligatoire pour les citoyens ayant effectué leur service militaire, et ce jusqu’à leurs 40 ans. Les réservistes suivent chaque année des sessions d’entraînement afin de rester prêts au combat. Ils conservent leur uniforme et leur équipement chez eux, et n’ont plus qu’à récupérer leurs armes une fois arrivés dans leurs unités. Ceux qui décident de contrevenir à l’appel de l’armée ou de la quitter sont appelés des « refuznik », considérés par l’État comme des déserteurs et susceptibles d’être sanctionnés.

Vague de contestation


Mais depuis quelques jours, la contestation s’affiche désormais ouvertement jusque dans les unités d’élite. Près de 1 000 pilotes et aviateurs de réserve et à la retraite ont lancé, le 10 avril, un appel au gouvernement pour exiger la libération des otages, même si cela suppose de mettre fin à la guerre à Gaza. « La guerre sert principalement des intérêts politiques et personnels, et non des intérêts sécuritaires », peut-on lire dans un courrier, largement repris par les journaux israéliens.

Les signataires de cette lettre ont rapidement été rejoints par des centaines de réservistes de la marine et de la très discrète unité d’élite 8200 du renseignement israélien, ainsi que des membres du Mossad qui ont, eux aussi, publié des missives pour interpeller le gouvernement. Une centaine d’anciens élèves du prestigieux Collège de sécurité nationale d’Israël ont également rallié le mouvement.

« Les déclarations qui affaiblissent les Forces de défense israélienne et renforcent nos ennemis en temps de guerre sont impardonnables », a fustigé en réponse Benjamin Netanyahu. Un responsable de l’armée a annoncé que la plupart des signataires de la lettre n’étaient pas des réservistes actifs, mais que si oui, ils seraient renvoyés.

Pour le Premier ministre israélien, une pression militaire accrue sur Gaza est le seul moyen de forcer le Hamas à libérer les otages. Mais les militaires et réservistes contestataires pointent du doigt les buts politiques du gouvernement.

L’un des signataires de la lettre des réservistes de l’armée de l’air, Avner Yarkoni, est officier de réserve avec le grade de colonel pilote de chasse. « Ce courrier ne vise pas à condamner la guerre. Il vise à libérer les otages », précise-t-il à l’antenne de France 24. Cet avocat, qui sert Tsahal depuis plus de trois décennies, affirme avoir le sentiment que la poursuite de la guerre est « basée sur des raisons politiques ». « Ce n’est pas l’armée israélienne qui est visée », poursuit-il, « mais Benjamin Netanyahu, qui est à la tête de cette stratégie ».


Pour Guy Poran, ancien pilote d’hélicoptère de l’armée de l’air, le but du Premier ministre est avant tout de se maintenir à la tête du gouvernement. « Il a jeté l’accord [de cessez-le-feu] à la poubelle et a décidé de renouveler la guerre, dès que l’extrême droite a menacé de quitté son gouvernement », affirme-t-il à l’antenne de France 24.

L’ancien militaire dénonce-lui aussi « un manque de logique » dans la conduite des opérations militaires. « Il faut d’abord faire un deal pour libérer les otages. Cette guerre menace la vie des otages, des soldats, et des citoyens palestiniens innocents à Gaza », avertit-il.


Des réservistes « démoralisés »


Le média +972, qui s’est entretenu avec plusieurs associations de défense des « refuzniks », explique que la plupart des réservistes ayant défié ces derniers mois les ordres d’enrôlement n’ont aucune « objection idéologique réelle à la guerre ». Ils sont plutôt « démoralisés, lassés ou excédés par sa durée interminable ».

À leurs côtés toutefois se trouve une minorité, petite mais croissante, de réservistes qui refusent d’aller combattre à Gaza invoquant des raisons morales. « Il y a de plus en plus de gens qui, sans forcément se soucier des Palestiniens, ne se sentent plus en paix avec les objectifs de la guerre », assure ainsi Yuval Green.

L’aspect économique pourrait aussi motiver certains refus. D’après une enquête récente du service israélien de l’emploi, 48 % des réservistes ont signalé une perte de revenus importante depuis le 7 octobre, et 41 % ont déclaré avoir été licenciés ou contraints de quitter leur emploi en raison de leur long séjour dans la réserve.

Le 15 avril, d’anciens otages et leur famille ont eux aussi publié leur propre lettre. Cette vague de pression semble soutenue par l’opinion publique. Selon un récent sondage réalisé par la chaine israélienne Channel 12, près de 70 % des Israéliens sont favorables à la fin de la guerre, en échange d’un accord sur la libération des otages restants.

Par Bahar MAKOOI (publié le 16/04/25)

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