Dans cette commune, la transition écologique est en marche depuis 30 ans

Dans la commune de Loos-en-Gohelle, le modèle de participation citoyenne qui combine chantiers participatifs, monnaie locale et sécurité sociale alimentaire est rentré dans les mœurs. Un succès basé sur l’accessibilité populaire.

Les maisons en brique, les terrils jumeaux à l’horizon, l’odeur des frites et la « ducasse » — fête foraine — sur la place principale ne mentent pas : à Loos-en-Gohelle, on est plus que jamais « dins ch’Nord ». Pourtant, au Ménadel & Saint-Hubert, un restaurant situé face à la mairie, on fait aussi du très bon couscous, avec des légumes ultralocaux. D’ailleurs, Christiane, 94 ans — ou « mamie Christiane » comme l’appellent les habitués — ne manque pas de quitter son assiette pour venir nous tapoter l’épaule lorsqu’elle prend connaissance de notre qualité de journaliste : « Surtout, n’en dites que du bien ! »

Si Reporterre s’est rendu au Ménadel & Saint-Hubert, ça n’est pas — que — pour son couscous. Cet endroit, ouvert en 2020, est l’un des cœurs de la participation citoyenne et de la vie de la petite cité minière de 6 850 âmes, connue depuis longtemps pour sa qualité de laboratoire en matière d’écologie et de démocratie participative.


On vous l’accorde : l’expression « démocratie participative » est peu ragoûtante. À la place, ce tiers-lieu propose une porte d’entrée bien plus alléchante : la bonne nourriture, celle qui permet de rassembler. Une initiative concrète, à l’image de cette autre manière de faire de la politique depuis de nombreuses années.

Dans le contexte de chaos ayant suivi, dans les années 1980, la fermeture des mines et la fin du système paternaliste des houillères, qui assurait un logement gratuit à vie et un système de Sécurité sociale, la ville a dû se réinventer. Geoffrey Mathon, maire de Loos-en-Gohelle et enfant du pays, s’en souvient. « Marcel Caron [maire (PS) de 1977 à 2001] s’est dit : “On est au fond du trou, c’est une catastrophe sociale. Comment on va s’en sortir ? Par la solidarité.” »

Créer un « archipel nourricier »


Association d’éducation populaire originaire de Vieille-Église, près de Calais, les Anges Gardins se sont alliés à la mairie de Loos-en-Gohelle pour reprendre le local, et le transformer en tiers-lieu tourné vers la participation citoyenne à travers l’alimentation. Des salariés en contrat d’insertion et des habitants — environ 150 adhérents — font vivre le Ménadel & Saint-Hubert et sa philosophie du « bien-manger ».

« On travaille particulièrement la cuisine nourricière, la cuisine des restes, la cuisine à base de légumineuses. C’est du sain, du local, du bio », explique Florence Bobot, membre de l’association d’insertion Les Anges Gardins, chargée du lieu géré en concertation avec les adhérents. L’association achète des terrains dans le bassin minier pour cultiver des fruits et légumes et créer ainsi un « archipel nourricier ».

Au Ménadel, les adhérents donnent de leur temps pour faire vivre le lieu. Notamment en prenant part à des ateliers — de cuisine, par exemple — et des chantiers coopératifs sur les terrains possédés par l’association, où poussent les légumes cuisinés au restaurant ou proposés dans des paniers solidaires et des colis alimentaires.

Dans une société où l’engagement bénévole est parfois difficile, il fallait trouver un moyen de faire participer les gens. « Notre but est de travailler l’émancipation et l’engagement. Comment travailler l’engagement ? En le reconnaissant », dit Florence Bobot.

« Avec la manne, on peut aller au Carrefour, on peut aller à la friterie »


C’est pourquoi, en échange du temps donné sur les chantiers et les activités, les adhérents reçoivent de la « manne », une monnaie créée spécialement pour l’occasion. Cette monnaie est utilisable dans de nombreux commerces de Loos-en-Gohelle : le comité des usagers du Ménadel — composé d’adhérents — a recensé les envies, puis monté des partenariats avec des commerces de la commune.

Ainsi, la manne permet d’acheter de la nourriture bio à la Biocoop et sur le tiers-lieu, mais aussi dans des lieux plus accessibles pour des adhérents souvent précaires. « Avec la manne, on peut aller au Carrefour, on peut aller à la friterie », explique Florence Bobot.

La monnaie locale a connu un réel succès. « Il y a des gens qui ne viennent qu’aux ateliers où ils peuvent toucher de la manne, raconte Laurane Jouault, membre des Anges Gardins et coordinatrice du lieu de vie. Et ce n’est pas grave, parce que ça nous permet de toucher des gens, et au fur et à mesure, de les impliquer. »


Fort de cette dynamique, le Ménadel & Saint-Hubert vient de lancer son système de Sécurité sociale de l’alimentation : la caisse de l’alimentation locale et de l’engagement (Calien). Les plus précaires donnent 25 euros par mois pour avoir accès à un panier de courses de 50 euros.

Là encore, les adhérents ont le pouvoir de choisir vers quels commerces ils veulent se tourner pour dépenser leurs bons, avec un pragmatisme rendu nécessaire par la pauvreté existante dans le bassin minier. « Pour les adhérents, l’idée n’est pas d’aller vers le tout-bio, parce que ça a un coût. Le comité de gestion a réfléchi à des compromis », explique Laurane Jouault, membre de l’association des Anges Gardins, et coordinatrice du lieu de vie.

L’exemple du Ménadel & Saint-Hubert illustre comment des habitants, souvent peu familiers avec l’engagement, ont pu s’emparer d’une politique publique de l’alimentation. « Ce lieu est complètement dans l’ADN de Loos-en-Gohelle, dit Geoffrey Mathon, maire de la commune. On s’appuie sur les habitants pour avoir une vie plus équilibrée. »

40 ans de tradition participative


Si le Ménadel est l’un des exemples les plus récents et réussis, son succès s’appuie sur cette tradition locale de participation citoyenne mise en place depuis quatre décennies à Loos-en-Gohelle. En 2001, avec Jean-François Caron — maire écologiste et fils de Marcel Caron — le système participatif s’est renforcé avec la mise en place du « fifty-fifty », un système où la mairie et les habitants construisent les projets politiques en commun, souvent à l’initiative de ces derniers.

« Ils peuvent me dire “Monsieur le maire, on a un problème“, mais ils vont pas me demander de le faire à leur place. Ils vont proposer leur idée », explique Geoffrey Mathon, présent depuis 2000 en tant qu’agent de mairie, et maire depuis 2023.

« On est dans une société où on a perdu du pouvoir d’agir : au lieu d’être des citoyens, on est des consommateurs, dit Geoffrey Mathon. À chaque fois, on cherche un messie, un leader, quelqu’un qui va trouver des solutions à nos problèmes. Ici, on essaie d’éviter ça depuis de nombreuses années. »

Connaître ses forces


Si l’expérience loosoise réussit à se maintenir dans le temps, elle possède aussi ses propres limites : il faut mobiliser des moyens financiers et humains sur le long terme — et pas juste sur un coup de com’ — et réussir à aller chercher les publics très précaires, plus éloignés de l’action publique.

Mais surtout, maintenir cet élan collectif demande énormément d’énergie, chez les décideurs comme chez les habitants. « On peut pas s’impliquer sur tout, tout le temps, conclut Geoffrey Mathon. Des habitants nous ont dit : “Nous, on n’arrive plus à vous suivre.” Aujourd’hui, avec notre expérience, on est capable de voir que 5-6 projets par an — où il y a un vrai enjeu, c’est suffisant. »

« Il faut partir de l’énergie des gens »


Une autre caractéristique de Loos-en-Gohelle réside dans le savant mélange entre démocratie participative et écologie populaire… sans arriver bille en tête avec le mot « écologie », souvent mal perçu et associé à une élite condescendante.

« On a constaté que la porte d’entrée ne peut pas être l’écologie, ça ne marche pas, raconte Geoffrey Mathon. Il faut partir de l’énergie des gens. Si quelqu’un nous dit qu’il veut plus de fleurs dans la ville, on va pouvoir expliquer que l’effondrement de la biodiversité est une catastrophe. Alors, les gens vont comprendre que si l’on met tel type de fleurs, ça va permettre la pollinisation. »


C’est ainsi que cette année, sur une initiative des parents d’élèves et des élèves de l’école Basly, les habitants aidés par les services techniques ont enlevé le bitume de la cour de récréation, et végétalisé l’espace.

Autres exemples : la pose de panneaux photovoltaïques et la création d’une société par action simplifiée réunissant une centaine d’habitants de la commune volontaires, ou encore la rénovation thermique des logements. « Les gens, au début, l’écologie, ils s’en fichaient. Mais, quand ça leur permet de passer d’une facture de 3 000 euros à 300 euros, là, ça les intéresse ! » s’exclame le premier édile.

Par Mehdi Laïdouni (publié le 22/07/25)

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