Marc Dufumier : « Si le gouvernement le voulait, on pourrait commencer la transition agricole la semaine prochaine »
Basta : l’évolution du climat (Giec) a publié fin février un nouveau rapport, très alarmiste, qui revient notamment sur le poids de l’agriculture dans le changement climatique. Comment l’agriculture contribue-t-elle à cette évolution du climat qui menace la vie sur terre ?

Marc Dufumier : L’agriculture industrielle est une grande contributrice à l’effet de serre. La première cause d’émission de gaz à effet de serre, à l’échelle mondiale, c’est la déforestation, notamment amazonienne, qu’impose la culture de soja nécessaire à l’alimentation de nos élevages industriels. Ces émissions sont certes lointaines, mais bien réelles.

Il y a ensuite les émissions de méthane, produits par les rots des ruminants ; brebis, chèvres, vaches. Le méthane est 28 fois plus réchauffant que le CO2. C’est le second gaz en terme de contribution à l’effet de serre de l’agriculture mondiale, et française. Mais en France la principale source de production de gaz à effet de serre, c’est le protoxyde d’azote (N20). Libéré quand on épand des engrais azotés de synthèse (dont notre pays fait grand usage), il est presque 300 fois plus réchauffant que le CO2. C’est très grave, et totalement ignoré.
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Ces engrais sont en plus très coûteux en termes de consommation d’énergie fossile, puisqu’ils sont fabriqués à partir de gaz russe et norvégien. Avec l’actualité de la guerre en Ukraine, on voit à quel point cela pose des problèmes de dépendance. Les coûts de ces engrais vont grimper monstrueusement. Cela va mettre de nombreux agriculteurs en difficulté. On aurait pu anticiper cette dépendance il y a déjà une trentaine d’années, en tournant le dos à l’agriculture industrielle.

Le rapport du Giec insiste par ailleurs sur le lien entre le climat et la biodiversité. Protéger l’un, c’est prémunir la destruction de l’autre. Et vice-versa. Or, les effets de l’agriculture industrielle sur la biodiversité sont désastreux…

Tout à fait. C’est le « syndrome du pare-brise ». Il y a vingt ans, quand on traversait la France de nuit en voiture, on avait plein d’insectes qui venaient se coller sur nos pare-brises. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Mais la biodiversité, ce n’est pas seulement une liste d’espèces d’insectes, de variétés végétales ou de races animales. C’est aussi un grand nombre d’interactions entre tous ces éléments : entre les végétaux domestiques et sauvages ; entre les animaux domestiques et la faune sauvage ; entre les champignons, les insectes, et tous les micro-organismes du sol (vers de terre et autres…). Dans l’agriculture, les interactions entre tous ces individus sont très importantes. Il faut aussi citer ce que l’on appelle « les services écosystémiques » : l’abeille qui pollinise, la coccinelle qui neutralise un puceron et nous permet d’éviter l’usage d’un pesticide. Tout cela est en voie d’extinction et cela met en péril encore notre agriculture.

Ces engrais sont en plus très coûteux en terme consommation d’énergie fossile, puisqu’ils sont fabriqués à partir de gaz russe et norvégien.

Notre agriculture industrielle est très destructrice : elle détruit la biodiversité mais aussi l’humus de nos sols. Elle consomme du carburant, elle use les tracteurs et elle est « suicidogène » pour nos agriculteurs. De plus, elle n’est pas du tout compétitive sur un plan monétaire. La filière des betteraves à sucre destinées à faire de l’éthanol ne tient que parce qu’elle est subventionnée. Idem pour les poulets bas de gamme nourris au soja brésilien et destinés à être exportés vers l’Arabie saoudite. Ce ne sont pas ces produits bas de gamme qui font nos excédents de balance commerciale. Ce sont les fromages, les vins, les spiritueux, etc. : les produits à très haute valeur ajoutée. Et pour revenir à l’éthanol : quel sens a cette agriculture qui consomme des énergies fossiles (pour fabriquer des engrais et faire rouler les tracteurs) pour faire pousser des légumes qui serviront ensuite à fabriquer des carburants ?

Si l’agriculture apparaît comme un problème, elle peut aussi être une solution, disent les experts du climat. Qu’en pensez-vous ?

Il y a des alternatives, bien sûr. Reprenons le cas des engrais azotés : au lieu d’aller acheter des produits de synthèse fabriqués avec du gaz russe, les agriculteurs pourraient planter du trèfle, de la luzerne, du sainfoin ou toute autre légumineuse qui apportent naturellement de l’azote au sol. Nous pourrions remettre nos animaux à pâturer ces prairies de légumineuses au lieu de les enfermer dans des élevages industriels et d’importer du soja de l’autre bout du monde pour leur fournir des protéines. Cela protège en plus de l’érosion et assure une meilleure rétention de l’eau. Si, depuis trente ans, on avait imposé des malus aux usagers d’engrais azotés de synthèse et accordé des subventions aux agriculteurs qui mettent des légumineuses, la transition agricole aurait déjà bien démarré et nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui...

Par Nolwenn Weiler (publié le 09/03/2022)
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