Le journaliste de Reporterre relaxé, victoire pour la liberté d’informer !
Grégoire Souchay, journaliste pigiste à Reporterre, a été relaxé. Il était accusé d’avoir participé à une action illégale des Faucheurs volontaires d’OGM alors qu’il ne faisait que son travail d’information.

Rodez (Aveyron), reportage

La salle rénovée du tribunal judiciaire de Rodez resplendit des bois neufs de ses tables et de ses bancs. Dehors, des dizaines de personnes venues soutenir les Faucheurs volontaires animent des stands sur la place ensoleillée et chantent « OGM, on n’en veut pas ! ». Laurence Marandola, nouvelle porte-parole de la Confédération paysanne, est là aussi.

Les juges pénètrent dans la salle d’audience, pleine d’une soixantaine de personnes, dont presque tous les vingt-neuf prévenus : vingt-huit Faucheurs, et un journaliste travaillant régulièrement avec Reporterre, Grégoire Souchay. Comme des confrères et consœurs de Mediapart, de l’Agence France Presse et de deux autres médias, il a suivi en novembre 2021 l’action des opposants aux OGM (organismes génétiquement modifiés), qui ont pénétré dans les locaux de l’entreprise RAGT et ont éventré quelques sacs de semences, qu’ils avaient identifié comme contenant des grains génétiquement modifiés.

« Le journalisme n’est pas un joker »

Alors que ses confrères et consœurs n’ont pas été poursuivis, le voilà sur le banc des prévenus. L’avocat de Reporterre, Me Alexandre Faro, a demandé à ce que son cas soit disjoint de celui des Faucheurs, puisque Grégoire Souchay n’a fait que son devoir d’information, sans participer aucunement aux actes reprochés aux militants. La présidente, Sylvia Descrozailles, accède à sa demande. Elle appelle le journaliste à la barre. Il rappelle qu’il a sa carte de presse depuis six ans, qu’il travaille pour plusieurs journaux, comme Reporterre, Libération, L’Éveil de Lozère, qu’il a pris des notes et photographié ce qui se passait, interrogé des Faucheurs et contacté le soir l’entreprise RAGT pour l’interroger.

Le procureur, Nicolas Rigot-Muller, prend la parole : « La carte de journaliste ne constitue ni un joker ni une cible. On ne vise pas le journaliste pour faire pression. Mais sur les photos, vous n’étiez pas identifié par un brassard, c’est regrettable. Cependant, au cours de la procédure, j’ai eu toutes les preuves que vous n’aviez pas participé à l’action, donc je requiers la relaxe ».

Me Alexandre Faro répond : « Le journalisme n’est pas un joker, mais une profession. Le brassard n’est pas prévu par la loi. ». Puis, s’adressant aux juges : « Vous êtes les gardiens des libertés publiques, selon l’article 66 de la Constitution. Vous devez relaxer M. Souchay. »

La présidente annonce que la décision sera rendue à la fin de l’audience, qui risque de durer longtemps, puisqu’il s’agit au fond de juger les vingt-huit Faucheurs volontaires. Grégoire Souchay rebondit : « Je dois rendre compte du procès pour Reporterre. M’autorisez-vous à rejoindre le banc de la presse ? » Le procureur intervient : « Tant que la décision n’est pas rendue, il reste prévenu. Il vaudrait mieux délibérer. » Le tribunal se retire. Suspense. Il revient quelques minutes plus tard. La présidente : « Je vous relaxe. » Quelques applaudissements et de nombreux sourires éclosent dans la salle. Le journaliste se lève, et vient s’installer à la table de presse, où il sort son carnet, et prend des notes alors que l’audience reprend.

LE POINT DE VUE : CE PROCÈS N’AURAIT PAS DÛ AVOIR LIEU

Une victoire, donc. Que Reporterre est heureux de partager avec toutes celles et ceux qui y ont contribué, dont les près de 12 000 signataires d’une pétition de soutien et les médias et journalistes qui nous ont soutenu. Mais sur le fond, ce procès n’aurait pas dû avoir lieu. Il n’y avait pas de doute sur la qualité de journaliste de Grégoire Souchay. Il s’agit bien là d’une atteinte à la liberté d’informer. La poursuite même est une sanction : c’est un stress sur le journaliste, une gêne dans l’exercice de son métier, puisqu’il est soupçonné de partialité, un coût [1] — que Reporterre a supporté sans hésiter, parce que la liberté était en cause, et grâce aux dons des lectrices et des lecteurs —, du temps et de l’énergie perdus. Nous avons mieux à faire qu’aller dans les tribunaux : nous voulons informer sur la catastrophe écologique et les moyens d’y faire face. Il est urgent que les autorités comprennent l’urgence écologique et s’y attellent plutôt que de s’en prendre aux messagers.

Par Hervé Kempf (publié le 08/06/2023)
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