Six mois de prison ferme : c’est la peine dont a écopé Tadjou Attada, ancien entraîneur de l’équipe nationale de taekwondo de Côte d’Ivoire, reconnu coupable de harcèlement moral vis-à-vis de l’une de ses athlètes, Mariama Cissé, par le tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau. La sportive l’accusait d’avoir bloqué sa carrière parce qu’elle refusait ses avances.
Rendu public vendredi 21 février, ce verdict est clément par rapport au réquisitoire du parquet, qui avait demandé, le 10 janvier, avant que l’affaire soit mise en délibéré, un an de prison ferme et 500 000 francs CFA (760 euros) d’amende.
Mais quelle qu’ait été la sentence, le fait même qu’un procès ait eu lieu est « une victoire », se félicite Francine Aka-Anghui, avocate de Mariama Cissé. La probabilité pour qu’une plainte pour harcèlement « débouche sur un procès était faible jusqu’alors, car le plus souvent, ce genre d’affaire était étouffé dans l’œuf ou se réglait à l’amiable », précise-t-elle.
La Ligue ivoirienne des droits des femmes, qui a soutenu la sportive, attendait que l’entraîneur soit plutôt condamné pour harcèlement sexuel, ce qui aurait été une première. Cependant, le dossier n’avait pas été constitué dans ce sens, fait remarquer Francine Aka-Anghui, qui a pris en charge la défense de Mariama Cissé alors que le procès avait déjà commencé.
Mariama Cissé, 26 ans aujourd’hui, médaillée de bronze aux championnats d’Afrique de taekwondo de 2022, avait une carrière prometteuse devant elle quand l’entraîneur de l’équipe nationale dont elle faisait partie, Tadjou Attada, a commencé à lui faire des avances. Face à son refus d’y donner suite, le coach, plusieurs fois champion de taekwondo de Côte d’Ivoire dans les années 1980 et 1990, l’a mise à l’écart et ne l’a plus sélectionnée en équipe nationale, a-t-elle raconté lors du procès et dans un témoignage filmé.
Briser l’omerta
Découragée, Mariama Cissé a arrêté de participer aux entraînements dans les locaux de la Fédération ivoirienne de taekwondo pour aller plutôt dans un club. Avant de comprendre que sans l’appui de la fédération, il lui serait impossible de participer aux grandes compétitions auxquelles elle aspirait.
Elle a alors décidé de briser l’omerta et a écrit, début décembre 2023, à la fédération, mais aussi au Comité national olympique et au ministère des sports, pour dénoncer les agissements du coach. « Je suis victime de mon refus d’accepter les avances de l’entraîneur Tadjou Attada, lesquelles ont fini par impacter ma carrière d’athlète de haut niveau », a-t-elle consigné. Trois semaines après, la fédération a suspendu l’entraîneur ainsi que le directeur technique national. De son côté, le ministère des sports a saisi la police, qui a ouvert une enquête.
Devenue publique, l’affaire a fait se délier les langues, d’autres sportives laissant entendre qu’elles avaient subi le même sort que Mariama Cissé, ce qui a fait écrire au quotidien d’État Fraternité Matin : « Les jeunes filles qui évoluent en équipe nationale de taekwondo souffrent. »
Au cours de la procédure, les critiques ont été nombreuses, les unes disant que porter plainte était exagéré, d’autres que l’intention était de « gâter » le travail de l’entraîneur de l’équipe nationale, etc. Il a fallu tenir bon face à la fédération qui, même si elle avait suspendu l’entraîneur incriminé, ne semblait pas prendre toute la mesure du problème, et face aussi à ce qui pouvait ressembler à des actes d’intimidation : de manière incongrue, la police a par exemple convoqué Mariama Cissé pour une audition dans la soirée du 31 décembre 2023.
« On oublie que derrière un cas de harcèlement dans un cadre professionnel, par exemple, il y a une vie brisée. »Marie-Paule Djegue Okri, de la Ligue ivoirienne des droits des femmes
Devant les juges, l’athlète a bénéficié du témoignage d’une ancienne membre de l’équipe nationale, Audrey Aka, une autre victime potentielle de Tadjou Attada : en 2017, alors qu’elle avait 18 ans, l’entraîneur l’a touchée sans son consentement puis harcelée et « rabaissée » parce qu’elle s’opposait à sa volonté, a-t-elle relaté. Tadjou Attada a fini par reconnaître les faits dénoncés par Mariama Cissé, mais sa défense les a minorés, soutenant qu’il était « tombé amoureux » et n’avait pas « subordonné à l’acceptation de ses avances un quelconque avantage ».
Pendant le procès, Les Féministes de Côte d’Ivoire, un groupe informel, ont salué, dans un communiqué, « le courage exceptionnel de Mariama, qui n’a pas cédé à l’intimidation de son supérieur hiérarchique ». La sportive a été « très courageuse », confirme Francine Aka-Anghui.
Le contexte est en effet difficile : « Dans la conscience collective, le corps de la femme appartient à tout le monde sauf à elle. Les agressions sexuelles sont donc banalisées, minimisées, explique Marie-Paule Djegue Okri, responsable des interventions sociales au sein de la Ligue ivoirienne des droits des femmes. Lorsqu’il y a des cas de harcèlement, le discours dominant tend à dire : “C’est normal qu’un homme drague une femme.” Et on oublie que derrière un cas de harcèlement dans un cadre professionnel, par exemple, il y a une vie brisée. »
Un procès qui fera école
En raison de cette « culture de la violence basée sur le genre », selon l’expression utilisée par Marie-Paule Djegue Okri, peu de victimes osent porter plainte. Mariama Cissé, elle, a tenu bon parce qu’elle est « soutenue par sa famille, dont sa mère, ses sœurs, ce qui n’est pas évident sous nos contrées et ailleurs : il y a toujours des interventions amicales, familiales, des pressions socioculturelles qui font que les victimes renoncent », souligne Francine Aka-Anghui.
L’athlète a aussi pu compter sur l’appui de la Ligue ivoirienne des droits des femmes. « Nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas la laisser seule et ce d’autant plus qu’elle venait casser un plafond de verre : qu’une femme veuille aller jusqu’au bout dans un cas de harcèlement sexuel au travail, c’était une première dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Tout au début, personne ne croyait que ça irait jusqu’à un procès », raconte Marie-Paule Djegue Okri.
C’est ainsi grâce à la Ligue que Mariama Cissé a été accompagnée pendant le procès par Francine Aka-Anghui : cette dernière, qui préside l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire, tout en étant avocate au barreau de Côte d’Ivoire, s’est portée volontaire lorsque l’organisation a cherché en urgence un·e avocat·e prêt·e à la défendre gratuitement.
En septembre 2024, les parents d’une taekwondoïste de 17 ans ont déposé une plainte contre un autre entraîneur.
Désormais, il y a un « avant » et un « après ». Le procès, estime Francine Aka-Anghui, a envoyé « un message fort aux acteurs du sport ivoirien sur la nécessité de lutter contre toute forme de harcèlement, qu’il soit sexuel ou moral. Il pourrait également renforcer la confiance des victimes dans le système judiciaire et encourager d’autres à dénoncer des comportements similaires ». En septembre 2024, alors que l’affaire avait déjà été médiatisée, les parents d’une taekwondoïste de 17 ans ont d’ailleurs déposé une plainte contre un autre entraîneur qui aurait harcelé leur fille.
Francine Aka-Anghui insiste : la peine de six mois de prison ferme décidée par les juges contre Tadjou Attada doit être considérée comme « un bon résultat, le harcèlement moral étant souvent moins facile à prouver que le harcèlement sexuel ». Et elle pourra faire jurisprudence : le jour où il y aura un cas de harcèlement sexuel avéré, la peine sera forcément plus lourde, avance-t-elle.
« Si la société ivoirienne commence à prendre plus au sérieux ce type de plainte, cela pourrait entraîner une évolution des mentalités et une meilleure protection des victimes », ce qui contribuera à instaurer un « environnement plus sûr », espère l’avocate.
Marie-Paule Djegue Okri, qui a reçu en 2024 le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, prévient de son côté : « À ceux qui soutiennent qu’une femme victime de harcèlement n’a pas à se plaindre, nous essayons de dire que non, ça ne marche plus, ça ne marchera plus comme ça. Tant pis pour eux s’ils ne veulent pas comprendre : nous irons jusqu’au tribunal. Car maintenant qu’une voie a été ouverte, nous allons l’emprunter jusqu’à la dernière génération. »
Par Fanny Pigeaud