Graphisme, messagerie, cloud… des acteurs du logiciel libre offrent des alternatives aux Gafam

« C’était la première fois que je voyais des informaticiens de gauche. » Aurore Denis est développeuse informatique. Avant, le logiciel libre, elle ne connaissait que « de loin ». Tout cet univers fait de logiciels au code ouvert, que les utilisateurs ont la liberté d’utiliser, de copier, de modifier et de distribuer, n’était pas vraiment au programme dans sa formation. « Dans mes études d’informatiques, j’ai travaillé un peu sur Linux [un système d’exploitation open source, ndlr], mais pas beaucoup plus. »

Et puis, il y a trois ans, Aurore a rejoint le collectif breton Kaz, une association qui propose des services numériques basés sur des logiciels libres et hébergés en Bretagne. À Kaz, « la moitié de gens sont des informaticiens du logiciel libre, l’autre moitié ne viennent ni de l’informatique ni du logiciel libre, mais plutôt du monde militant, et ont des années d’engagement derrière eux, explique Fañch, un autre bénévole de l’association. Kaz, c’est la rencontre de ces deux mondes, qui résonnent vachement bien ensemble. » Bruno Perera, par exemple, n’est pas informaticien. Il est entré à Kaz, « pour le projet politique », celui d’un numérique libéré de Google et des autres multinationales qui ont installé un oligopole sur les outils numériques.

« On a commencé à se réunir pour réfléchir à comment résister aux Gafam », résume Alain Rivat, ancien responsable informatique dans l’Éducation nationale, aujourd’hui retraité. C’est comme ça que Kaz est né en 2020 à Vannes (Morbihan), sur la promesse de proposer à prix réduit du « numérique sobre, libre, éthique et local ».

Alternative à Google Drive


On parle à Aurore, Bruno, Fañch, Alain, et cinq autres membres de la collégiale de l’association bretonne sur BigBlueButton, une solution de visioconférence basée, justement, sur du logiciel libre. Kaz offre de son côté des services d’hébergement de sites web, comme celui du média breton Splann !, de messageries mails, d’espaces de travail en commun en ligne (alternatifs aux Google Doc et Drive), de messageries instantanées d’équipe (sur Mattermost, solution alternative à Slack notamment), de formulaires en ligne… « On offre aussi de nouveaux services quand les associations expriment un besoin, par exemple PeerTube [alternative à YouTube, ndlr], parce qu’il y avait des associations qui avaient besoin de diffuser des vidéos », détaille Alain.

L’association Kaz compte aujourd’hui 560 abonnés à l’offre gratuite, plus de 130 abonnés particuliers à une offre à 10 euros par an, et près de 300 organisations qui profitent d’une offre à 30 euros annuels. Ce sont de très petites entreprises, des syndicats, des associations. « On s’est dit que le bon vecteur pour sortir des Gafam, ce sont les associations, parce que quand une association s’abonne à nos services, derrière, il y a tous leurs adhérents. On peut penser que ces personnes-là vont prendre l’habitude de côtoyer le libre », poursuit l’homme.

« Nous voulons donner aux associations la possibilité d’avoir une solution alternative à Google Drive et Google Doc avec Nextcloud », un logiciel libre, précise François Merciol, qui est enseignant-chercheur en informatique. Kaz a aussi à cœur de respecter les données personnelles des utilisateurs, contrairement aux Gafam. « Il y a beaucoup d’utilisateurs de Kaz qu’on ne connaît pas, plus de 1000 sur notre Mattermost. Ils sont totalement anonymes », ajoute l’universitaire.

Le sens de la sobriété


Le troisième pilier de Kaz, c’est la sobriété. « Le sens de la sobriété, c’est que si vous n’utilisez pas certains services, on les désactive, et on les réactive à la demande. Mais ainsi, ça consomme moins, explique François. Et dès le départ, on a bien dit que la messagerie, ce n’était pas un lieu de stockage. Tous les messages qu’on envoie passent dans une moulinette qui en extrait les pièces jointes, qui vont dans un dépôt provisoire de manière automatique. On voit l’image ou la pièce jointe dans le message, mais au bout d’un mois, elle est supprimée. On veut par là changer les comportements. La messagerie n’est pas une base de données. »

Et puis, « dans le monde du libre, on a la culture de faire durer le matériel, ajoute Fañch. Nos solutions restent compatibles avec du matériel ancien. » Quand, au contraire, une mise à jour de Windows peut obliger les utilisateurs à acheter un nouvel ordinateur.

L’association ne fonctionne qu’avec des bénévoles et sans subvention. Les abonnements annuels financent les cinq serveurs indispensables pour les services proposés. « Nous n’avons pas l’objectif de multiplier les utilisateurs. Quand on arrivera à nos limites, d’autres devront prendre le relais », souligne Didier, informaticien.

« C’est local »


Des initiatives comme Kaz, il y en a beaucoup à travers le pays. Framasoft, association d’éducation populaire consacrée au logiciel libre dénombre des dizaines de structures proposant des services en ligne « libres, éthiques et décentralisés » qui permettent de trouver rapidement des alternatives aux Gafam respectueuses de nos données et de la vie privée. Framasoft nomme ces alternatives « chatons » pour « collectif des hébergeurs alternatifs, transparents, ouverts, neutres et solidaires ».


À Brest, un des chatons s’appelle Infini. C’est une association qui propose elle aussi des services numériques basés sur des logiciels libres. Elle existe depuis… 1995. Infini héberge des sites web, offre des services de messageries, de listes de diffusion… et accompagne et forme ses adhérents. « On a autour de 400 adhérents, pour moitié des particuliers, pour moitié des associations ou des collectivités », précise Romain, salarié de l’association depuis octobre.

L’homme de 31 ans est ingénieur informatique de formation. « Il faut admettre qu’en tant qu’association avec une équipe technique de bénévoles, on ne peut pas assurer la même qualité de service qu’une entreprise privée. Mais il y a toujours des gens qui viennent chez nous, car c’est local. Nos serveurs sont à Brest, et nos services sont gratuits contre une adhésion à prix libre. On a une bonne réputation, plein de sites brestois sont hébergés en infini.fr. »…

Par Rachel Knaebel (publié le 23/07/25)

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