Cette décision est bienvenue mais nous regrettons que ce rappel important intervienne si tard », salue en grimaçant le front commun syndical et la Ligue des droits humains, à l’annonce d’un arrêt de la Cour constitutionnel tombé ce 14 novembre. Celui-ci répond à une question préjudicielle posée par un juge liégeois concernant l’usage des requêtes unilatérales pour faire lever un piquet de grève.
Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut remonter à l’année passée : Delhaize a décidé de franchiser ses supermarchés intégrés, en les confiant à des gérants indépendants. Les travailleurs ne l’entendent pas de cette oreille, inquiets de voir leurs acquis salariaux être dévorés par l’appétit du Lion de la distribution. Les salariés choisissent alors de stopper le travail puis, dans ce conflit qui s’annonce long, de se relayer dans des piquets bloquants ou filtrants, avec distribution de tracts pour informer la clientèle sur leur combat.
La direction trouve alors une parade juridique : elle introduit des requêtes unilatérales pour faire lever lesdits piquets, obtenant même parfois leur interdiction dans un périmètre allant bien au-delà de l’entrée du magasin. Au total, une trentaine de requêtes unilatérales seront déposées dans différents tribunaux du pays. Rarement, les juges recaleront la demande patronale, comme à Nivelles ; dans la plupart des cas, ils suivront la thèse de Delhaize mettant en avant le droit de propriété au détriment du droit de grève, en statuant lors d’une procédure en urgence et sans avoir entendu l’autre partie.
Des conditions strictes à respecter
C’est ce point qui est épinglé par la Cour constitutionnelle. Celle-ci rappelle que recourir à la requête unilatérale ne peut se faire qu’en cas « d’absolue nécessité ». Soit parce qu’il faut ménager un effet de surprise, soit qu’il est impossible d’identifier les personnes contre lesquelles la procédure est menée, soit parce qu’il s’agit d’une situation d’extrême urgence. Des limites qui, aux yeux de Delhaize, mettaient à mal l’exercice de son droit de propriété. Une thèse que n’a pas suivie la Cour qui rappelle la pertinence de ces limites, lesquelles permettent, dans tous les autres cas, d’entendre les parties à la cause avant de statuer. Autrement dit, pour peu qu’un piquet de grève n’entre pas dans un des cas de figure envisagés ci-dessus, il ne peut faire l’objet d’une requête unilatérale.
La victoire est importante pour les syndicats car cet arrêt renforce la jurisprudence favorable à l’exercice du droit de grève. Signifie-t-elle pour autant la fin de ces actions en justice dans le cadre d’un conflit social ? C’est aller un peu vite en besogne et se montrer un rien naïf. Un employeur pourra toujours tenter de déposer ce type de requête s’il constate que l’accès à son entreprise est barré à une partie de son personnel ou qu’une délégation de ses travailleurs diffuse des tracts sur le périmètre de l’entreprise ou aux abords. En théorie, le juge, suivant la réponse de la Cour constitutionnelle à la question préjudicielle qui lui était posée, devra examiner si la situation correspond aux cas de figure permettant une telle procédure. Dans le cas d’un piquet pacifique organisé par une délégation syndicale clairement identifiée, ce ne devrait pas être le cas. Mais les récents conflits sociaux l’ont montré, l’interprétation du droit et de l’analyse de la situation peut varier, selon la sensibilité du magistrat.
« Cela nous donne un moyen de droit complémentaire pour contester une requête unilatérale », salue Selena Carbonero (FGTB). « Et cela renforce la jurisprudence favorable à un exercice pacifique du droit de grève », ajoute Olivier Valentin (CGSLB). Tout en regrettant que la haute instance n’ait pas fait preuve de plus de diligence afin de se prononcer quand le conflit battait son plein. Pour les grévistes de Delhaize, il est trop tard. Pas pour les autres.
D’anciens livreurs déposent une réclamation contre Uber Eats au tribunal de Bruxelles
La CSC, la fondation Egaliberté, le Centre d’information à l’éducation populaire (CIEP-B) et la Ligue des droits humains ont déclaré mercredi soutenir l’action judiciaire menée par 16 ex-travailleurs de l’entreprise de livraison Uber Eats. Ces derniers, déconnectés de la plateforme et empêchés de poursuivre leurs livraisons, ont déposé le 14 novembre une réclamation devant le tribunal de première instance de Bruxelles afin de demander toute information sur les données récoltées par l’entreprise, les décisions automatisées qui en ressortent, ainsi que l’annulation des décisions prises par Uber « sans intervention humaine suffisante ».
Selon les organisations, qui soutiennent ces anciens travailleurs, les livreurs empêchés de poursuivre leur travail en raison d’un « non-respect des conditions générales », sans autre explication, sont de plus en plus nombreux. Ils n’auraient pas l’occasion de discuter avec un interlocuteur, de connaître les raisons précises de leur suspension ou de donner leur propre version des faits.
Seize personnes ont dès lors déposé un recours pour demander un accès aux données récoltées par Uber Eats, conformément au RGPD. Ils demandent également d’être informés « de manière claire et complète sur les logiques de profilage, les décisions automatisées et tout autre information (notamment pour l’attribution des livraisons) ». Ils souhaitent par ailleurs l’annulation de toute décision de déconnexion de la plateforme prise « sans intervention humaine suffisante ».
Contacté, Uber n’était pas directement joignable pour une réaction.
Par Pascal Lorent