Près de Nantes, une mairie citoyenne aide les paysans à s’installer
En Loire-Atlantique, la commune de Plessé, dirigée depuis 2020 par une liste citoyenne, a lancé une « Politique agricole communale » pour aider les jeunes paysans à s’installer.

À Plessé, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Nantes, les haies qui bordent les quatre-vingt-treize exploitations agricoles sont bien fournies. Ce sont les effets visibles d’une politique de replantage d’arbres menée depuis plusieurs années et de pratiques agricoles favorables à la biodiversité dans cette commune vaste comme Paris intra muros. À l’image de Rémi Beslé, éleveur bio de vaches nourries exclusivement à l’herbe et premier adjoint en charge de l’agriculture. Il nous reçoit dans sa ferme au côté de son associée, Rachel Perez.

La jeune paysanne a lancé récemment un atelier de transformation laitière. Elle s’interrompt un instant dans la préparation de ses camemberts pour nous faire part de son expérience. « Quand j’ai vu ce qu’il existait ici en termes d’entraide, de voisinage, et d’opportunités d’installation, je me suis dit : “C’est ici ou nulle part”, raconte-t-elle. J’habitais auparavant dans une commune voisine et je remarque qu’ici, même le paysage agricole est différent, en termes de bocage et de pâturage ». À Plessé, la question de l’installation est au cœur de la Politique agricole communale (PAC), imaginée avec les habitants.

Administrer la commune différemment

Rémi Beslé fait partie des membres fondateurs du collectif citoyen Osons Plessé, à la tête depuis 2020 de ce bourg d’un peu plus de 5 000 habitants. En 2014, alors président du club de football local, il a réuni quelques camarades autour de l’envie d’administrer la commune différemment. Cette même année, ils ont obtenu trois sièges dans l’opposition au conseil municipal. Au fil des ans, le groupe s’est étoffé, autour d’un socle idéologique « écolo et humaniste » et d’un programme créé en consultant les Plesséens. La tête de liste, Aurélie Mézière, a été désignée par le collectif à l’issue d’une élection volontairement sans candidat. Après s’être accordés sur les compétences attendues, chaque membre a proposé un nom.

Dès son élection, le collectif a remplacé les commissions municipales par des comités consultatifs ouverts à tous les habitants. Ceux-ci sont organisés autour de huit thématiques : la santé, la vie associative, l’enfance… mais aussi l’agriculture, l’alimentation, la biodiversité et l’environnement. « L’agriculture n’est pas une compétence communale. C’est une compétence régionale, nationale et européenne, convient Aurélie Mézière. Mais c’est l’économie numéro 1 à Plessé. Une économie locale, non délocalisable, qui concentre de grands enjeux : eau, biodiversité, alimentation, modèle social… Il nous semble important de nous en occuper. »

Comme ailleurs dans le pays, une grande partie des agriculteurs vont partir à la retraite dans les prochaines années. Ce qui amène à cette problématique, générale à l’échelle nationale : comment favoriser les nouvelles installations plutôt que les agrandissements de ferme ? « Ici, subsistent une forte solidarité et une organisation basée sur le collectif. Nous aimerions garder cette identité », lance Rémi Beslé. L’engagement des paysannes et paysans fait partie de l’histoire de Plessé, qui abrite un fief de la Confédération paysanne. En 1969, des agriculteurs en colère y ont kidnappé Olivier Guichard, alors ministre de l’Aménagement du territoire. Dans les années 1970, un long conflit a opposé un châtelain et des paysans qui ont occupé ses terres. « Nous reprenons le flambeau, mais de façon un peu plus officielle », glisse l’éleveur.

    « Ici, il n’y a pas beaucoup à chercher pour trouver soutien et conseils »

Concrètement, il s’agit d’« animer le territoire pour que des jeunes aient envie de venir » et de convaincre les agriculteurs sur le départ de leur transmettre leurs fermes. Pour cela, la commune est accompagnée par une structure administrée par des paysans du territoire, CAP44. « Nous organisons des cafés installation, nous avons commencé un diagnostic du territoire [pour recenser les futurs départs en retraite et les différents types d’exploitations], nous rentrons en contact avec les cédants », explique Rémi Beslé. Il ne cache pas que la démarche n’est pas simple : « Le secteur agricole a toujours été un peu à part du monde économique et social. Quand une commune se mêle de l’agriculture, certains voient cela d’un mauvais œil ». Mais cette politique porte ses fruits : il y a eu vingt-cinq départs en retraite pour autant d’installations depuis 2020.

À quelques kilomètres de la ferme de Rémi et Rachel, Clémence Fresneau est affairée avec ses brebis sur l’exploitation transmise par son père en 2020. « La lutte pour le partage du foncier est un travail de longue haleine. Tout ne changera pas du jour au lendemain, mais c’est bien que des élus s’en soucient. Ici, il n’y a pas beaucoup à chercher pour trouver des soutiens et des conseils », apprécie l’éleveuse en bio. Ce que nous confirme Anne Michel, qui nous reçoit dans son atelier où elle façonne des bouquets de fleurs séchées. « En tant que femme de 40 ans qui n’est pas issue du monde agricole, je me suis sentie soutenue par les élus dans ma reconversion », se félicite-t-elle. En 2019, elle a quitté son emploi à Biocoop pour faire une formation et se lancer dans la culture de fleurs bio. La commune l’a aidée dans ses démarches avec la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer, un organisme sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances) pour acheter son terrain.

Habitat léger et cantine locavore

Trouver un terrain n’est pas la seule barrière à l’installation des jeunes agricultrices et agriculteurs. Il faut aussi pouvoir se loger. Seuls les éleveurs ont le droit de construire un habitat sur leur terrain agricole et ceux qui partent à la retraite vendent souvent à des prix prohibitifs. Certains maraîchers optent pour l’habitat léger, de type yourte, tiny house ou mobil-home. Mais les obstacles juridiques qui entourent ce type d’habitat sont nombreux. Pour y remédier, la commune a imaginé une solution reposant sur l’achat d’une partie d’un terrain agricole aux paysannes et paysans, qu’elle leur louerait avec un permis précaire permettant l’installation d’un habitat léger. « Notre outil reste à expérimenter, mais sur le papier, c’est légal, se félicite Thierry Lohr, adjoint à l’urbanisme. L’idée nous est venue en travaillant sur notre projet — actuellement en construction — de hameau léger ». Engagée en faveur de ce type de logement, la commune a donné l’opportunité à un collectif de s’installer sur un terrain mis à disposition.

Autre pierre angulaire de cette Politique agricole communale : la création d’une régie directe qui approvisionne les cantines scolaires. Un « plan alimentaire de référence » a été élaboré par des élus, parents d’élèves et agents de la commune, avec l’accompagnement du Groupement des agriculteurs biologiques de Loire-Atlantique (GAB44) et du mouvement des Cuisines nourricières. Son but est d’offrir une alimentation durable au plus grand nombre, « un devoir de santé publique » selon Aurélie Mézière. Depuis la rentrée scolaire de 2023, les 430 repas servis chaque jour du lundi au vendredi sont préparés en grande partie avec des produits locaux, avec l’objectif de tendre vers le 100 % bio. Ce qui permet d’offrir de nouveaux débouchés aux agriculteurs du coin. « Nous réfléchissons à ouvrir la cantine à d’autres publics par la suite. Pourquoi pas aux résidents de l’Ehpad ? », imagine la maire.

D’autres projets sont dans les cartons, comme la création d’un magasin de producteurs locaux, la préparation d’un règlement sur les haies bocagères et un verger communal, qui offrira des fruits d’ici quelques années. Les envies sont nombreuses, reste à trouver le temps, car tous les adjoints continuent de travailler à côté de leurs mandats. Heureusement, ils peuvent compter sur les VIP (Volontaires investis à Plessé), qui participent aux comités consultatifs, où les idées fusent. Certains rêvent de la mise en place d’une « sécurité sociale de l’alimentation ».

Par Héloïse Leussier et Karoll Petit (publié le 26/12/2023)
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