Maïs OGM : le bras de fer entre le Mexique et les États-Unis se muscle
Le Mexique défend son droit à refuser les importations de maïs OGM en provenance des États-Unis. Une décision jugée illégale par ces derniers, qui réfutent les arguments scientifiques de leur voisin.

La bataille est rude. Depuis un décret du gouvernement mexicain de 2020 visant à interdire les importations de maïs génétiquement modifié (OGM) au 31 janvier 2024, le bras de fer entre les États-Unis et le Mexique s’éternise. La culture de maïs transgénique est interdite au Mexique, mais le pays continue d’en importer massivement des États-Unis. Une quinzaine de millions de tonnes par an, soit plus de la moitié de la production nationale.

Sous la pression étasunienne, le Mexique a déjà reculé en février 2023, avec un nouveau décret assouplissant le moratoire sur les importations de maïs OGM. Le texte maintient l’interdiction d’importer du maïs blanc destiné à l’alimentation humaine, mais reporte sans donner de date celle largement majoritaire du maïs jaune pour l’alimentation animale et la production d’amidon industriel. Toujours à la demande du ministère du Commerce des États-Unis, le gouvernement mexicain a publié en mars dernier un rapport pour exposer les arguments scientifiques justifiant le moratoire.

Contaminations de variétés locales

Un premier volet du rapport porte sur les enjeux sanitaires, le Mexique rappelant que la consommation quotidienne de maïs par les Mexicains les expose beaucoup plus aux risques liés aux produits transgéniques. Entre autres risques, la présence de toxines transgènes allergènes, des résidus de glyphosate trouvés dans les grains de maïs résistants à l’herbicide, mais aussi les moins bonnes qualités nutritionnelles dans les aliments à base de farine industrielle.

Autant d’arguments irrecevables pour l’administration étasunienne qui a accordé, elle, toutes les autorisations sanitaires à ces produits. « C’est un jeu sur les interprétations et le doute, entre ceux qui défendent le principe de précaution et ceux qui défendent les intérêts commerciaux, tant que la preuve du danger n’est pas faite », remarque Jean Foyer, socio-ethnologue au CNRS et spécialiste de la question OGM au Mexique.

L’autre partie du rapport porte sur la protection de la biodiversité. Malgré l’interdiction de cultiver des OGM dans le pays, plusieurs contaminations de variétés locales et sauvages par des transgènes sont régulièrement mises à jour au Mexique. « Une des hypothèses est que certains paysans qui perdent leur semence se ravitaillent en maïs industriel importé bon marché », explique Jean Foyer.

La contamination de champs de maïs mexicain par des semences OGM étatsuniennes identifiée en 2001 avait été le point de départ d’une large mobilisation pour défendre la biodiversité du berceau mondial de cette plante, où les variétés de maïs se comptent en centaines et où la production est encore largement dominée par des semences paysannes.

« Une bataille symbolique et politique »

« C’est surtout une bataille symbolique et politique pour le président Amlo [Andrés Manuel López Obrador] afin d’affirmer la souveraineté alimentaire du pays face aux États-Unis. En période électorale, cette mesure sert aussi à rassurer son électorat écologiste, puisque c’est la seule décision forte du président sur l’environnement », commente le chercheur.

Il souligne aussi la difficulté d’appliquer le décret si des millions de tonnes de maïs OGM jaune continuent d’entrer. Outre les exigences étasuniennes, le report de l’interdiction d’importer du maïs jaune correspond aussi à une autre difficulté : le Mexique n’est aujourd’hui pas autosuffisant pour la production d’aliments pour le bétail.

Pour l’instant, les États-Unis ont porté plainte contre le Mexique pour non-respect des accords de libre-échange liant les deux pays. Le Canada et l’industrie agrochimique se sont rangés aux côtés des États-Unis, et plusieurs ONG nord-américaines, dont Les Amis de la Terre, EU Food Safety et l’IATP, soutiennent, elles, l’interdiction mexicaine. Un tribunal commercial doit rendre son avis dans le courant de l’année.

Par Magali Reinert (publié le 15/04/2024)
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