Avec les Soulèvements de la terre, le Conseil d’État inflige à Darmanin un camouflet presque personnel
Le ministre de l’Intérieur, qui s’est personnellement engagé dans une offensive contre les « écoterroristes », n’a pas convaincu - pour l’heure - la plus haute juridiction administrative.

POLITIQUE - Le premier hic de France. Le ministre de l’Intérieur vient de subir une défaite majeure en plein cœur de l’été. Le Conseil d’État a effectivement décidé ce vendredi 11 août de suspendre l’action qu’il a engagée et incarnée contre la nébuleuse écologiste Les Soulèvement de la Terre. La dissolution n’est donc pas pour tout de suite.

Si l’instance réserve sa décision sur le fond à la rentrée, comme l’a rapidement précisé Gérald Darmanin sur les réseaux sociaux, force est de constater que les mots de la plus haute juridiction administrative du pays sont aujourd’hui cinglants pour le locataire de la place Beauvau, personnellement engagé dans cette bataille politique contre les militants « écoterroristes ».

Dans leur ordonnance de huit pages, les juges expliquent à quel point la demande du gouvernement, portée par Gérald Darmanin, est inacceptable sur la forme, tant elle porte atteinte à plusieurs droits fondamentaux et fait planer le doute sur la « légalité » d’une telle entreprise. De quoi donner de nouveaux arguments à la gauche et à ceux qui voient une dérive autoritaire dans l’exercice du pouvoir macroniste.

Les arguments fâcheux du Conseil d’État

Concrètement, les juges reprennent plusieurs des arguments avancés par les défenseurs des Soulèvements de la terre, dont la dissolution a été annoncée par Gérald Darmanin après les événements violents à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres.

Leur réponse se fait en deux points et semble affiner, en creux, la question centrale de la responsabilité de cette nébuleuse dans les exactions commises par certains participants à leurs actions, alors qu’elle-même n’appelle pas à la violence. Premièrement, le Conseil d’État, juge que « la dissolution des Soulèvements de la Terre porte atteinte à la liberté d’association et crée pour les requérants une situation d’urgence. »

Ensuite, et c’est sans doute le plus délicat à gérer pour le gouvernement, la plus haute juridiction française estime que « les éléments apportés par le ministre de l’intérieur et des outre-mer pour justifier la légalité du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre n’apparaissent pas suffisants.  » Autrement dit, les arguments de Gérald Darmanin n’ont pour l’instant pas convaincu.

Les juges écrivent que « ni les pièces versées au dossier, ni les échanges lors de l’audience, ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes. » Pour eux, il existe de surcroît, un « sérieux doute » concernant la qualification des actions de la nébuleuse comme «  troublant gravement l’ordre public  », étant donné le « caractère circonscrit », la « nature » et «  l’importance des dommages résultant » des atteintes aux biens et aux personnes qu’ils jugent « en nombre limité. » En des termes moins juridiques : il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat. Ou en tout cas, pas comme le souhaitait Gérald Darmanin.

Une victoire contre les « dérives liberticides » ?

Défait en référé, le principal concerné a donc « pris acte » de la décision des juges, comme le veut la formule, tout en précisant dans un communiqué de deux phrases que «  cette décision ne préjuge pas de la décision que le Conseil d’État prendra au fond concernant cette dissolution. »

Il n’empêche, c’est une première victoire pour les écologistes, la gauche et plus largement ceux qui défendent l’action des Soulèvements de la terre, comme le montrent les réactions enthousiasmées ce vendredi, à la mesure du bras de fer engagé avec l’exécutif. La décision du Conseil d’état est « un camouflet pour le gouvernement » et permet « d’imaginer la suite », s’est d’ailleurs réjoui un porte-parole du collectif ce vendredi.

Il faut dire que depuis l’annonce de cette décision, les flèchent pleuvent. Marine Tondelier par exemple, n’aura mis qu’une poignée de minutes pour saluer la décision des juges, en « rempart » à un gouvernement qui voulait «  interdire un collectif qui le dérange politiquement. » « C’est un gouvernement qui est condamné par la même justice française pour inaction climatique, qui n’arrive pas à s’attaquer au problème et qui, pour créer une sorte de diversion (...), préfère s’attaquer au messager », a encore fustigé la cheffe des écologistes dans une déclaration à l’AFP, jugeant qu’il n’existait pas d’« éléments juridiques et factuels suffisants » contre ce collectif écologiste.

Son collègue le maire EELV de Grenoble Éric Piolle évoque, lui, « une défaite pour Darmanin et ses dérives liberticides » sur Twitter. Côté insoumis, Manuel Bompard brocarde un «  gouvernement hors-la-loi » quand, chez les socialistes, Jérôme Guedj glorifie «  l’État de droit. » Un vent d’optimisme qui fait même dire à Jean-Luc Mélenchon que « la légitimité de la désobéissance civique fait son chemin. » En somme, l’exact opposé de ce que souhaitait le ministre de l’Intérieur.

Par Anthony Berthelier (publié le 11/08/2023)
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