14 Mar 2018
Ils travaillent jusqu’à 12 heures par jour, payées une misère, par une chaleur accablante qui parfois les terrasse. Tout cela pour ramasser des tomates « 100% italiennes » et « à savourer en famille »… Eux, ce sont les travailleurs migrants exploités par un système quasi-féodal dans le sud de l’Italie. Une fatalité ? Pas pour un groupe de jeunes italiens, qui ont, avec des migrants, créé leur propre production et marque de sauce tomate, « SfruttaZero », avec des conditions de travail dignes et respectueuses de l’environnement. Ils espèrent désormais que leur initiative pourra faire tâche d’huile.
« Autentico Italiano. » « Des tomates 100% italiennes. » Ou encore, « Une tradition à savourer en famille », vantent les slogans des marques Conserve Italia (Cirio) et Mutti, deux géants de l’agroalimentaire italien spécialisés dans la fabrication de conserves. En plus de jouer la carte du Made in Italy, ces deux marques ont en commun d’avoir été citées par la substitut du procureur général de Lecce, Paola Guglielmi, dans son enquête sur la mort d’Abdullah Mohammed [1], un travailleur agricole soudanais de 47 ans décédé d’une crise cardiaque en juillet 2015. Il récoltait alors des tomates « 100% italiennes » dans un champ de Nardò, ville de campagne située dans la région des Pouilles, le « talon » de la botte transalpine.
Depuis une vingtaine d’années à Nardò, entre 500 et 1000 travailleurs saisonniers viennent chaque été, comme Adbullah Mohammed, travailler dans les champs des propriétaires terriens le temps de la récolte des tomates – en général du mois de mai jusqu’au mois d’août. Nardò devient alors le point de rencontre entre ces travailleurs migrants, qui viennent principalement d’Afrique de l’Ouest et du Nord, et les producteurs agricoles des communes limitrophes.
Le caporalato, système d’exploitation ancestral
Installés généralement à quelques kilomètres du centre-ville de Nardò, dans ce qui est communément appelé le « ghetto », les travailleurs sont enrôlés chaque jour dans des équipes de 15 à 20 personnes constituées par les caporali. Ces derniers incarnent la figure d’un système d’exploitation ancestral, le caporalato, selon lequel un intermédiaire est missionné par une entreprise agricole pour rassembler la main d’œuvre la moins chère possible et la faire travailler, généralement sans contrat ni protection juridique.
Dans les champs, les conditions de travail sont déplorables. 60% des individus ainsi recrutés n’ont pas accès à l’eau ou aux services d’hygiène. Les travailleurs sont taxés par le caporale sur le transport et les biens de première nécessité, ce qui réduit encore leur salaire, déjà inférieur d’environ 50% à celui prévu par la loi italienne. Les saisonniers sont payés à la tâche, au cassone ramassé, soit une caisse de plus de 300 kg. Le salaire moyen varie entre 22 et 30 euros par jour, pour des journées de huit à douze heures, sous des températures pouvant atteindre les 40°C, comme le jour de la mort d’Abdullah Mohammed.
Dans son rapport sur la question, la Fédération des travailleurs de l’agro-industrie (FLAI-CGIL) estime que sur le territoire italien se trouvent entre 400 000 et 430 000 travailleurs irréguliers et potentielles victimes du caporalato dans le secteur de l’agriculture, tandis que 100 000 se trouveraient en condition d’exploitation extrême et de grande vulnérabilité [2].
« La langue est la première arme d’autodéfense »
Révoltés par cette situation à quelques pas de chez eux, des militants de la province de Lecce se sont emparés du problème. Ainsi, à Nardò, des activistes, comme les jeunes militants de l’Union des étudiants, créent le comité No Caporalato et commencent à mener les premières actions directes de solidarité dans le « ghetto » où sont hébergés les travailleurs. C’est à partir de ce noyau de militants que va se créer en 2014 l’association Diritti a Sud. Dans la lignée des premières solidarités évoquées, Diritti a Sud agit directement dans le ghetto, auprès de ses occupants.
Des cours de langue sont organisés, une priorité pour Rosa, présidente de Diritti a Sud, spécialisée dans l’enseignement de l’italien aux étrangers, pour qui « la langue est la première arme d’autodéfense ». Un soutien administratif est mis en place afin de faciliter les démarches avec la municipalité. L’association travaille aussi à l’accompagnement psychologique des migrants, « qui portent en eux des blessures très profondes », celles du passé, celles de la brutalité de la vie dans le ghetto.
SfruttaZero, un projet pensé « depuis la base »
Néanmoins, les militants de Diritti a Sud se rendent vite compte de leurs limites face à un secteur économique dont le poids est considérable - à elle seule l’industrie de la tomate génère 3,2 milliards de chiffre d’affaires [3]. Une rencontre avec Netzanet Solidaria, une association de Bari qui privilégie l’action « depuis la base », va leur permettre de donner corps à une véritable alternative. Diritti a Sud adhère alors au projet SfruttaZero, littéralement « Sans exploitation », une initiative qui vise à produire une sauce tomate en respectant les règles juridiques et en luttant contre l’exploitation intensive des personnes et de la terre.
Lire la suite sur le site de Bastamag
Par Sylvai Bianchi (09/02/2018)
« Autentico Italiano. » « Des tomates 100% italiennes. » Ou encore, « Une tradition à savourer en famille », vantent les slogans des marques Conserve Italia (Cirio) et Mutti, deux géants de l’agroalimentaire italien spécialisés dans la fabrication de conserves. En plus de jouer la carte du Made in Italy, ces deux marques ont en commun d’avoir été citées par la substitut du procureur général de Lecce, Paola Guglielmi, dans son enquête sur la mort d’Abdullah Mohammed [1], un travailleur agricole soudanais de 47 ans décédé d’une crise cardiaque en juillet 2015. Il récoltait alors des tomates « 100% italiennes » dans un champ de Nardò, ville de campagne située dans la région des Pouilles, le « talon » de la botte transalpine.
Depuis une vingtaine d’années à Nardò, entre 500 et 1000 travailleurs saisonniers viennent chaque été, comme Adbullah Mohammed, travailler dans les champs des propriétaires terriens le temps de la récolte des tomates – en général du mois de mai jusqu’au mois d’août. Nardò devient alors le point de rencontre entre ces travailleurs migrants, qui viennent principalement d’Afrique de l’Ouest et du Nord, et les producteurs agricoles des communes limitrophes.
Le caporalato, système d’exploitation ancestral
Installés généralement à quelques kilomètres du centre-ville de Nardò, dans ce qui est communément appelé le « ghetto », les travailleurs sont enrôlés chaque jour dans des équipes de 15 à 20 personnes constituées par les caporali. Ces derniers incarnent la figure d’un système d’exploitation ancestral, le caporalato, selon lequel un intermédiaire est missionné par une entreprise agricole pour rassembler la main d’œuvre la moins chère possible et la faire travailler, généralement sans contrat ni protection juridique.
Dans les champs, les conditions de travail sont déplorables. 60% des individus ainsi recrutés n’ont pas accès à l’eau ou aux services d’hygiène. Les travailleurs sont taxés par le caporale sur le transport et les biens de première nécessité, ce qui réduit encore leur salaire, déjà inférieur d’environ 50% à celui prévu par la loi italienne. Les saisonniers sont payés à la tâche, au cassone ramassé, soit une caisse de plus de 300 kg. Le salaire moyen varie entre 22 et 30 euros par jour, pour des journées de huit à douze heures, sous des températures pouvant atteindre les 40°C, comme le jour de la mort d’Abdullah Mohammed.
Dans son rapport sur la question, la Fédération des travailleurs de l’agro-industrie (FLAI-CGIL) estime que sur le territoire italien se trouvent entre 400 000 et 430 000 travailleurs irréguliers et potentielles victimes du caporalato dans le secteur de l’agriculture, tandis que 100 000 se trouveraient en condition d’exploitation extrême et de grande vulnérabilité [2].
« La langue est la première arme d’autodéfense »
Révoltés par cette situation à quelques pas de chez eux, des militants de la province de Lecce se sont emparés du problème. Ainsi, à Nardò, des activistes, comme les jeunes militants de l’Union des étudiants, créent le comité No Caporalato et commencent à mener les premières actions directes de solidarité dans le « ghetto » où sont hébergés les travailleurs. C’est à partir de ce noyau de militants que va se créer en 2014 l’association Diritti a Sud. Dans la lignée des premières solidarités évoquées, Diritti a Sud agit directement dans le ghetto, auprès de ses occupants.
Des cours de langue sont organisés, une priorité pour Rosa, présidente de Diritti a Sud, spécialisée dans l’enseignement de l’italien aux étrangers, pour qui « la langue est la première arme d’autodéfense ». Un soutien administratif est mis en place afin de faciliter les démarches avec la municipalité. L’association travaille aussi à l’accompagnement psychologique des migrants, « qui portent en eux des blessures très profondes », celles du passé, celles de la brutalité de la vie dans le ghetto.
SfruttaZero, un projet pensé « depuis la base »
Néanmoins, les militants de Diritti a Sud se rendent vite compte de leurs limites face à un secteur économique dont le poids est considérable - à elle seule l’industrie de la tomate génère 3,2 milliards de chiffre d’affaires [3]. Une rencontre avec Netzanet Solidaria, une association de Bari qui privilégie l’action « depuis la base », va leur permettre de donner corps à une véritable alternative. Diritti a Sud adhère alors au projet SfruttaZero, littéralement « Sans exploitation », une initiative qui vise à produire une sauce tomate en respectant les règles juridiques et en luttant contre l’exploitation intensive des personnes et de la terre.
Lire la suite sur le site de Bastamag
Par Sylvai Bianchi (09/02/2018)