Le projet de panneaux solaires d’Engie Green sur 12,7 hectares, dans une forêt des Alpes-de-Haute-Provence, a été abandonné. Il a subi deux revers de la justice et du conseil municipal.
Ongles (Alpes-de-Haute-Provence), reportage
« C’est une affaire qui va faire réfléchir les petits maires démarchés par les fournisseurs d’électricité », se réjouit Isabelle Bourboulon, opposante aux centrales solaires dans la montagne de Lure (Alpes-de-Haute-Provence). De guerre lasse, la municipalité d’Ongles, commune de 360 habitants, a fini par mettre fin à un projet d’Engie Green lancé il y a dix ans. Le 10 février, le conseil municipal n’a pas renouvelé la promesse de bail à l’énergéticien qui prévoyait d’implanter des panneaux solaires sur 12,7 hectares.
Pour les écologistes, c’est une victoire significative, dans une région où des multinationales de l’énergie projettent d’installer jusqu’à 1 000 hectares de photovoltaïque sur des zones naturelles ou agricoles à travers différents projets. « C’est une industrialisation de la ruralité », souligne Isabelle Bourboulon, journaliste et membre du collectif local pour sauver la forêt de la Seygne.
Des juges en forêt
La décision du conseil municipal est d’autant plus importante qu’elle suit un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille qui pourrait faire jurisprudence. Pris le 31 décembre dernier, il a annulé l’autorisation de défrichement attribuée par la préfecture. « Cela donne raison à nos positions », se réjouit Pierre Lavoie, porte-parole de l’association Les Amis de la montagne de Lure (Amilure), à l’origine de la procédure.
Pour bien appréhender le dossier de la forêt d’Ongles, la cour s’y est déplacée début décembre, sur proposition du rapporteur public. Une démarche rare, « mise en pratique une vingtaine de fois depuis dix ans, précise la juridiction à Reporterre. Le dossier ne permettait pas, à lui seul, d’apprécier correctement la situation du projet dans son environnement ».
Dix-neuf personnes ont donc déambulé sur place : juges, rapporteur public, avocats, représentants des parties et leurs spécialistes de la forêt, mais aussi sous-préfète et représentants de l’Office national des forêts (ONF). Que ce soit Engie Green ou Amilure, chacun cherchait à convaincre les juges. « C’était comme une pièce de Shakespeare avec des conversations dans tous les coins », se souvient Pierre Lavoie.
Menace sur une zone humide exceptionnelle
En compagnie de membres d’Amilure, Reporterre a visité ce site de la forêt de Seygne à la mi-janvier. « Ici, les pins sont remarquables. Il faut aller dans la montagne corse pour en trouver des équivalents », dit Richard Fay, retraité de l’ONF, au pied des arbres imposants.
Les couper menacerait une zone humide, selon le forestier. Située en contrebas, dans le fond du vallon sur 32 hectares, elle présente un caractère exceptionnel sous un climat méditerranéen. « Si on supprime la forêt, on supprime le réceptacle d’eau qui alimente la zone humide », dit Richard Fay.
Dans son arrêt, la cour précise que la visite « a permis de confirmer [un] impact fort ainsi que la visualisation de la zone humide en raison de la présence de molinie bleue et de mares d’eau ». La molinie bleu (molinia caerulea), « est cette grande herbe qui, malgré son nom, est jaune », explique Pierre Lavoie en nous montrant la plante dans une clairière. Le sol de cette petite prairie est souvent saturé en eau, on y trouve ainsi « des orchidées ou des salamandres tachetées », poursuit le forestier.
« Atteinte au bien-être de la population »
Dans ses motivations, la cour administrative d’appel a également retenu une « atteinte au bien-être de la population », en particulier sur les « paysages formés d’une mosaïque de prés, céréales, lavandes, oliviers et dominés par des villages perchés », qui font la réputation de la Haute-Provence. « L’introduction d’éléments artificialisant et banalisant conduirait à les dénaturer », précise la cour. Ainsi, « les enjeux vis-à-vis du tourisme sont considérés comme fort ».
Le chemin de grande randonnée (GR) de la montagne de Lure traverse l’emprise du projet et aurait dû être déplacé. « Ici, il y a des randonneurs et des ramasseurs de champignons. C’est notre qualité de vie qui est en jeu », dit Isabelle Bourboulon.
La maire d’Ongles, Maryse Blanc-Ventre, dit avoir découvert l’existence de la zone humide. Elle plaide pour sa mise en valeur au moyen de « panneaux de médiation ». Mais la commune ne pourrait pas les financer toute seule. « Quand on engage ce débat [financier], il n’y a plus personne », s’émeut-elle.
Dépendance financière des communes
Comme beaucoup d’autres, sa commune rurale manque de recettes. Alors pour favoriser les finances, la maire défendait un projet d’Engie Green selon elle raisonnable, sur une superficie restreinte. Le loyer projeté était de 10 000 euros par hectare et par an. Les atteintes au paysage paraissaient maîtrisées aux yeux de Maryse Blanc-Ventre. Pourtant, la cour a constaté « une visibilité directe du projet depuis le site classé de l’ancien village médiéval de Vière », dont la maire valorise le patrimoine. Un argument qu’elle conteste : « Il n’y avait pas de covisibilité avec l’ancien village de Vière. Pour moi, c’était rédhibitoire qu’il y en ait une ».
Mme Blanc-Ventre assure avoir demandé des mesures compensatoires à Engie Green qui « réinvestirait sur [sa] forêt communale ». « Il y a des aménagements de pistes à faire pour la défense incendie. Dans la forêt de la Seygne, il y a zéro citerne incendie. Je demandais des mesures que l’on ne pouvait pas se payer. »
Jusqu’à ce que le couperet de la municipalité tombe, Engie Green envisageait un recours devant le Conseil d’État, jusqu’à fin février. « Nous prenons acte de cette décision [de justice] […]. Nous étudions les suites possibles à y donner », indiquait-elle à Reporterre, fin janvier. Recontactée suite au conseil municipal, elle n’a pas souhaité ajouter de nouvelles précisions.
Par Pierre Isnard-Dupuy et Léonor Lumineau