Plus de 130 footballeuses appellent la Fifa à rompre son partenariat avec le géant pétrolier saoudien, Aramco. L’une d’elles, Katie Rood, appelle le monde du foot à refuser l’argent des énergies fossiles.
Un partenariat explosif : la Fifa s’est associée à Aramco, le géant pétrolier saoudien. Une alliance qui suscite l’indignation dans le monde du football. En avril dernier, la Fédération internationale de football association (Fifa) a conclu un contrat de sponsoring majeur avec Aramco, une entreprise détenue à 98,5 % par l’État saoudien, valable jusqu’à fin 2027. Ce partenariat permettra au groupe pétrolier de marquer sa présence lors des prochaines Coupes du monde masculine de 2026 et féminine de 2027.
Face à ce partenariat controversé, une lettre a été adressée à Gianni Infantino, président de la Fifa. Près de 130 footballeuses professionnelles appellent à rompre les liens avec les industries fossiles, invoquant des préoccupations environnementales et éthiques. « La Fifa pourrait aussi bien arroser le terrain de pétrole et y mettre le feu », dénoncent-elles, rappelant le rôle central d’Aramco dans l’aggravation de la crise climatique.
Parmi les signataires figure Katie Rood, joueuse néo-zélandaise ayant évolué à la Juventus et en sélection nationale. Pour elle, il est intolérable que le football cautionne de telles pratiques.
Reporterre — Pourquoi avez-vous décidé de lutter contre le partenariat entre la Fifa et Aramco ?
Katie Rood — Le sport a le pouvoir et la responsabilité d’inspirer des changements globaux. Le football féminin a une longue histoire de lutte contre les inégalités, et pour la reconnaissance de son droit à exister. Des générations se sont battues pour que nous puissions jouer. Je crois fermement que nous devons continuer cet héritage et utiliser nos voix et notre influence pour garantir un avenir meilleur aux joueuses, sur le terrain et en dehors, en défendant la possibilité de continuer à vivre sur notre planète.
Pourquoi avez-vous personnellement pris position contre les sponsors issus des énergies fossiles dans le football ?
Il n’y a qu’en poussant pour des changements systémiques que nous obtiendrons des résultats à grande échelle. Je suis très sensible à l’histoire des peuples autochtones, et une grande partie de la destruction des habitats naturels dont ces peuples dépendent pour survivre est causée par l’industrie des énergies fossiles.
Pourtant, la promotion de ces compagnies atteint des sommets : elles infiltrent les compétitions sportives pour blanchir leur image, et il semble que la majorité des organisations sportives l’acceptent, voire l’encouragent, sans ciller.
Les instances dirigeantes du football, comme la Fifa, sont-elles prêtes à se priver des sponsors issus des énergies fossiles ?
Avec la direction actuelle de la Fifa, qui est très proche de l’Arabie saoudite, ce serait improbable. Mais des choses improbables se produisent lorsque les gens s’organisent et s’expriment. Si les fans, les joueurs et les fédérations unissent leurs forces, nous pouvons exercer une forte pression.
Une pétition de soutien a été lancée par Action FC, une communauté de fans de football féminin investie dans la lutte contre le changement climatique. David Wheeler, un joueur anglais, a également pris la parole pour encourager les footballeurs masculins à s’engager à nos côtés.
La crise climatique affecte le football et les fans partout dans le monde. Il fait de plus en plus chaud, ce qui réduit les jours où il est possible de s’entraîner ou de jouer des matches sans se mettre en danger. Les pluies intenses rendent les terrains impraticables. Des stades sont menacés par la montée des eaux. Je m’attends à ce que beaucoup d’autres s’indignent sur le fait que le football fait la promotion des énergies fossiles.
Quelles mesures la Fifa et les autres organisations sportives doivent-elles prendre pour lutter contre le changement climatique ?
La Fifa doit d’abord se pencher sur ses deux principales sources d’émissions de gaz à effet de serre : les déplacements en avion pour se rendre aux compétitions et la publicité pour les énergies fossiles.
« Les déplacements en avion doivent devenir des exceptions »
Le premier problème pourrait être résolu en faisant des tournois moins grands — avec moins de matchs, moins d’équipes —, moins fréquents et moins loin [les deux prochaines Coupes du monde sont organisées sur plusieurs pays]. Les déplacements en avion doivent devenir des exceptions. Le second, en bannissant toute promotion de compagnies aériennes et d’entreprises pétrolières.
Ralentir serait bénéfique pour les joueurs et les fans : au plus haut niveau, les calendriers sont surchargés et il y a presque trop de matchs à jouer et à suivre. Favorisons une alimentation plus saine et végétale, fonctionnons avec des énergies renouvelables. Des clubs vont déjà dans cette direction. Un autre modèle est possible.
Que faire pour contraindre les instances ?
Si la Fifa et l’UEFA [l’Union européenne des associations de football] refusent de changer, les gouvernements doivent les y forcer. Par exemple, en interdisant les publicités pour les énergies fossiles dans le monde du sport : les publicités pour des produits hautement polluants ne seraient plus autorisés, comme avec les cigarettes. Nous, joueuses et joueurs, pouvons aussi faire grève de manière coordonnée, en s’unissant. Nous sommes très suivis sur les réseaux sociaux. Il est important de partager honnêtement nos préoccupations. 80 % de la population mondiale s’inquiète du changement climatique ; il est donc normal que les footballeurs partagent ces inquiétudes.
Cette initiative est menée par des femmes, alors que le partenariat entre la Fifa et Aramco concerne aussi les compétitions masculines. Si vous pouviez adresser un message à Kylian Mbappé, Lionel Messi ou d’autres joueurs, que leur diriez-vous ?
Combien de temps allez-vous encore encaisser de l’argent au détriment de notre avenir commun ? Votre pouvoir et votre influence sont incomparables. Je sais que cela implique beaucoup de courage, mais le monde a besoin de vous. Les gens attendent désespérément que des figures prennent les devants. Vous serez critiqués ? Bien sûr, mais c’est déjà le cas. Alors, de quoi avez-vous vraiment peur ? Si nous voulons que les générations futures continuent de jouer et de vivre des moments d’émotion à travers le football, il faut changer ce jeu. Maintenant. Vous n’êtes pas des experts, mais vous ne serez pas seuls — il existe des associations comme Fossil Free Football — ; d’autres vous suivront et tout le monde vous remerciera d’avoir rendu un monde meilleur possible.
Par Alexandre-Reza Kokabi
Lire sur le site de Reporterre (19/12/2024)