« On nous traitait d’utopistes » : l’expérience réussie d’une ferme bio en coopérative
Au premier coup d’œil, elles semblent là pour le décor, les 80 brebis broutant entre les pêchers et les poiriers dégarnis, à proximité du jardin pédagogique. Mais en réalité, elles ont une mission dans l’écosystème de la ferme bio des Volonteux, installée dans un coin de plaine en périphérie de Valence, dans la Drôme. Une mission qui demande chaque semaine plusieurs heures de travail, afin de déplacer et nourrir cet élevage pourtant non « rentable ».

Aujourd’hui, à l’orée du printemps, elles iront débroussailler une nouvelle parcelle, non loin des rangées bleutées de poireaux, derrière les très angulaires serres arboricoles. Surtout, dans cette coopérative aux nombreuses activités, brebis, agneaux et vaches fournissent du fumier pour les cultures.

« Cet élevage n’est pas un outil de production, mais il fait partie du cercle vertueux de la ferme et nous permet d’être quasi autonomes sur la partie fumure pour nos cultures », dit Rémy Léger, l’énergique fondateur de la coopérative agricole, qui exploite en fermage depuis 2009 la trentaine d’hectares de terres familiales. « On n’en tire aucun bénéfice en apparence, mais en réalité c’est du gasoil et du temps d’utilisation du tracteur en moins, et à la fin, ça se quantifie », complète David, pépiniériste installé sur la ferme depuis neuf ans.

Ici, l’élevage côtoie entre autres l’arboriculture, le maraîchage, la pépinière, les céréales et la boulangerie, l’épicerie ou encore la fripe. Dix entrepreneurs-salariés et douze salariés au régime des 35 heures – entre 15 et 20 postes équivalent temps plein selon les périodes – composent cet écosystème fragile mais pérenne, et garant d’une protection sociale pour tous ses membres.

Égalité salariale

Le principe de l’égalité salariale prime. Tous et toutes, associés ou salariés, commencent à la ferme au Smic, avec une prime de 20 euros mensuels en plus par année d’ancienneté pour les seuls associés. Les associés, qui ne sont pas aux 35 heures et font souvent des semaines de plus de 50 heures, ont aussi droit à l’équivalent de 300 euros de nourriture par mois sur tout ce qui est vendu dans l’épicerie. Les salariés bénéficient d’un panier par semaine de fruits et légumes de la ferme.

Au sein de cette ferme établie sur 30 hectares de terres, la diversification et la complémentarité des activités sont aussi vitales. Occupé à rempoter du thym, David, entrepreneur-salarié, est un convaincu de la première heure de la nécessité de ce modèle égalitaire et pluriel. « Il n’y a pas si longtemps, on nous traitait encore d’utopistes, et aujourd’hui on se rend compte que même les plus gros éleveurs porcins de la Beauce, qui ont 1000 hectares, mais qui n’arrivent parfois pas à s’en sortir, commencent à regarder nos modèles en disant : comment vous faites pour fonctionner à plus de 20 salariés sur 30 hectares ? C’est la diversification qui permet ça ! »

Établie dans la serre bi-tunnels voisine, équipée d’ouvrants qui s’activent au gré de la chaleur ou du vent, la pépinière en est un bel exemple. Lancée en 2017, elle n’est pas rentable, mais joue cependant un rôle primordial : elle permet d’essayer les nouvelles semences et de renforcer l’autonomie de la ferme. Aujourd’hui, l’activité, qui repose principalement sur la vente de plants aux particuliers et les visites pédagogiques, fournit un quart des plants de l’activité maraîchage. À terme, elle devrait en assurer 80 %. « C’est un maillage de différentes activités interdépendantes », précise David, qui parle avec enthousiasme « d’économie circulaire ».

Face aux nombreux aléas, notamment climatiques, auxquels est confronté un monde agricole ayant manifesté sa colère et son inquiétude comme rarement ces dernières semaines, Rémy, l’inépuisable gérant et responsable des pôles arboriculture et élevage, est convaincu de la nécessité de développer ce type de modèle, qui aspire à l’autonomie. « Cette organisation sociale et cette diversité de pratiques amènent une résilience économique, dans un monde hostile économiquement et qui va devenir de plus en plus dur écologiquement », explique l’agriculteur, qui s’appuie sur le modèle ancien des fermes polyculture élevage du début du 20e siècle. Une organisation économique et sociale inspirante pour cette âme motrice dans la coopérative. Lui qui, dans son large sweat à capuche gris, il y a encore 15 ans, ne connaissait l’agriculture qu’à travers l’expérience de ses grands-parents paysans...

Par Augustin Campos (publié le 26/03/2024)
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