Au Royaume-Uni, le passage au salariat a boosté l'activité d'Uber
Deux ans après la décision de la Cour suprême qui a mis fin au statut indépendant des conducteurs, la firme de VTC a renforcé sa toile en attirant 30% de chauffeurs en plus.

Cet été, un grand nombre d'investisseurs d'Uber se sont frotté les yeux en consultant le rapport financier d'Uber au deuxième trimestre, qui indiquait le premier profit opérationnel de l'histoire du groupe (326 millions de dollars pour ses activités mondiales).

Mais la vraie surprise est venue d'ailleurs. Selon les comptes annuels déposés à la Companies House, l'activité britannique a en effet généré un chiffre d'affaires annuel de 3,4 milliards de livres (environ 4 milliards d'euros), et un profit avant impôts de 32 millions de livres. Un profit tout sauf anodin, deux ans et demi après ce qu'Uber nomme pudiquement un "changement de modèle économique", et qui correspond en réalité à une défaite judiciaire historique.

En 2021, la Cour suprême britannique a en effet reconnu aux chauffeurs le statut de salarié, avec le droit à un salaire minimum, à des congés payés et à un régime de retraites. Depuis plus de dix ans, la société californienne estimait à tort que son modèle disruptif - qui avait donné naissance au fameux néologisme "ubérisation" -, n'était pas soluble dans le droit du travail classique. Elle a opposé une résistance farouche malgré un premier avis favorable rendu par la justice dès 2016.
Mais le détail des résultats au Royaume-Uni est sans équivoque. Cette ubérisation à l'envers a consolidé la toile de chauffeurs au Royaume-Uni et n'a pas fragilisé son modèle économique.

Impact en termes de recrutement

Le passage au salariat classique a "eu un impact réellement positif en termes de recrutement de chauffeurs", reconnaît un porte-parole du siège britannique. "Depuis mars 2021, nous avons été la seule application au Royaume-Uni à donner des protections comme les retraites, les congés payés, tout en préservant une flexibilité totale aux conducteurs, qui peuvent choisir s'ils veulent travailler, quand et où ils le souhaitent." L'augmentation des coûts structurels a ainsi été compensée par un cercle vertueux provoqué par une meilleure offre, dans un environnement toujours plus compétitif. "Ces changements ont aidé Uber à augmenter son nombre de conducteurs et à augmenter leurs revenus. Cela a coûté plus cher, mais a également entraîné beaucoup d'effets positifs."

Le nombre de chauffeurs a en effet progressé de près de 30% depuis 2021 et cette décision de justice qui a été, à la base, un camouflet pour Uber. L'application créée en 2009 par Travis Kalanick comptait 70.000 chauffeurs au moment du jugement, contre plus de 90.000 aujourd'hui. Selon les chiffres révélés par Uber, le temps d'attente des clients a été logiquement réduit, avec deux chauffeurs sur trois qui arrivent en moins de cinq minutes et 91% en moins de dix minutes. Signe des temps nouveaux, l'un des principaux concurrents, Freenow, a indiqué cette semaine qu'il laissait désormais aux chauffeurs le choix de s'enregistrer comme salariés ou de rester indépendants.

L'opacité des rapports financiers d'Uber est telle qu'il est impossible de mesurer le véritable effet de ce changement de modèle sur la profitabilité du groupe. Il apparaît toutefois que le taux de prise - c'est-à-dire le montant retenu par Uber dans chaque réservation - atteint désormais 29,3% mondialement, contre 18,7% en 2021. Concrètement, Uber a veillé à substantiellement augmenter ses marges, en tenant compte du changement du cadre légal au Royaume-Uni.

Reconsidération de la position belge ?

La force de ces chiffres interroge en creux le modèle économique qui reste privilégié chez Uber Belgique. En décembre dernier, le tribunal du travail de Bruxelles avait rendu un avis opposé à celui de la Cour suprême de Londres, et dénié aux chauffeurs d'Uber - comme à ceux de Deliveroo un an plus tôt - le statut de salariés. Ceux-ci sont donc toujours des indépendants.

Uber Belgique va-t-il reconsidérer sa position au regard de l'évolution d'Uber UK ? Le CEO d'Uber Belgique, Laurent Slits, n'a pas donné suite à notre demande d'interview. Au moment du jugement favorable de décembre dernier, il avait insisté sur le fait que les chauffeurs d'Uber avaient dans leur ensemble la volonté de garder "la liberté de choisir si, quand et où ils travaillent".

Du côté d'Uber UK, on assure que le modèle actuel de salariat peut difficilement être répliqué ailleurs en Europe, en raison d'un droit du travail plus souple au Royaume-Uni, qui permet à des salariés de travailler une heure par semaine s'ils le souhaitent. Ce qui est tout le principe du contrat zéro heure, une spécificité britannique.

Par Johann Harscoët (publié le 14/09/2023)
A lire sur le site L'Echo