15 Juin 2022
Le Conseil d’État a suspendu lundi 16 mai le décret de dissolution du groupe antifasciste lyonnais GALE. Lors de l’audience, les avocats ont démontré le flou des accusations et l’atteinte aux libertés fondamentales que cette dissolution engendrait.
« D’un point de vue des libertés publiques, cet article est beaucoup trop souple. Si on l’interprète comme le ministère de l’Intérieur est en train de le faire, s’en est tout simplement fini du droit de manifester ». Cet article, dont parle l’avocat au Conseil d’État Antoine Lyon-Caen, représentant le Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE), menacé de dissolution par Gérald Darmanin, c’est le premier alinéa de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure.
Il prévoit les motifs de dissolution administrative d’association et de groupement de fait, et a été modifié par la loi séparatisme, promulguée en août 2021. Dans sa version antérieure, il prévoyait de pouvoir dissoudre les groupes « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Désormais il est possible pour le ministère de l’appliquer pour ceux « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
En décidant de dissoudre le GALE le 30 mars dernier, le gouvernement s’est uniquement basé sur cette modification, une première depuis le passage de la loi. C’est aussi la première fois depuis 40 ans qu’un groupe d’extrême-gauche serait dissous. Pour contester cette décision, le GALE, par l’intermédiaire de ses avocats Olivier Forray et Agnès Bouquin, a déposé début avril un référé liberté auprès du conseil d’État. Le but : suspendre ce décret et créer un précédent pour éviter à l’avenir un usage jugé excessif de cet article.
« Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère »
Dans une salle d’audience imposante, les trois griefs faits au groupe antifasciste lyonnais ont donc été abordés devant les juges des référés du Conseil d’État le 11 mai. Avec des stratégies bien distinctes de part et d’autres. D’un côté, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, justifie cette dissolution par l’accumulation de faits présentés comme des agissements violents ou des provocations à la violence et à la haine contre les forces de l’ordre et l’extrême-droite.
En face, les avocats du GALE et Axel F., présenté par le ministère comme le leader du groupe essaient de démonter, point par point, les faits reprochés. « Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère. Si on vérifie chacun des faits, à chaque fois on se retrouve sur une contrevérité », assène l’un des avocats du groupe, Olivier Forray. L’avis des défenseurs du GALE été suivi par le Conseil d’État, qui a estimé dans une décision rendue le 16 mai que « les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne permettent pas de démontrer que la GALE a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l’ordre public ».
« Le Gale inscrit sa stratégie dans la récurrence d’actions violentes », avançait le décret de dissolution, qui listait ensuite les rassemblements, manifestations ou actions durant lesquelles le GALE ou ses membres supposés auraient commis des violences.
Un rassemblement contre une manifestation d’un groupuscule d’extrême-droite en octobre 2017 est par exemple pointé du doigt. « En marge de la manifestation, on a trouvé des marteaux, des bombes de peinture, des gants coqués et le mot d’ordre était de marcher de manière déterminée sans faire marche arrière. Donc on considère que c’est une provocation à la violence, c’est un appel à l’affrontement », affirme le ministère de l’Intérieur.
« Alex F. était interdit de manifestation ce jour-là, donc il n’était pas présent. Aucun membre supposé du GALE n’a été interpellé ou condamné à la suite de cet évènement. Et l’appel à ce rassemblement n’émanait pas du Gale mais du NPA [Nouveau parti anticapitalisme] », rétorque les avocats du groupe antifasciste. Antoine Lyon-Caen enfonce le clou : « Quand je vous écoute, je suis très inquiet. Forcément il faut de la détermination pour manifester. Si à chaque fois qu’on est déterminé on tombe sous le coup de cet article L212-1, c’est très inquiétant… »
ACAB, un outrage ou une « invention subtile » ?
Au fil des faits reprochés au GALE, le ministère n’arrive presque jamais à les prouver. La seule violence avérée est un affrontement avec des militants du groupe d’extrême-droite Civitas, qui avaient infiltré une manifestation anti-passe sanitaire. Malgré l’absence de plainte, sept militants antifascistes sont poursuivis pour cette confrontation. Quatre d’entre ont été placés en détention provisoire pour ces faits puis simplement condamnés à une amende de 4e classe (135 euros). « Mon client a reconnu qu’il avait mis une claque et a été condamné par une simple contravention. Voilà de quoi nous parlons aujourd’hui », souligne Olivier Forray.
Les débats se concentrent ensuite sur le deuxième grief, les « invectives et les appels à la haine contre les forces de l’ordre ». Là encore, les faits allégués par le ministère de l’Intérieur se délitent. À titre d’exemple, ce dialogue tournant autour d’un post Facebook du GALE où les auteurs racontent le déroulé d’une manifestation, écrivant entre autre que « la première bataille commence et une pluie d’œufs et de peinture rose s’abat sur les flics (…) la BAC [brigade anti-criminalité] repart en courant sous une pluie de bouteilles et de pavé ». Avant de conclure en souhaitant à leur lecteur un « joyeux ACAB day ».
« Alex F. : « Le post est un récit de ce qu’il s’est passé. Les faits s’étaient déjà déroulés. C’est fait avec une pointe d’humour et des slogans historiques dans le milieu de la gauche radicale. »
Ministère de l’intérieur : « Le sigle ACAB, qui veut dire all cops are bastards (tous les flics sont des bâtards), a une signification particulière. C’est un outrage et une incitation à la haine contre les policiers. Le fait de se féliciter de ces actions les légitime et constitue une incitation à se réjouir et à les réitérer. »
Antoine Lyon-Caen : « Le post est humoristique. ACAB ce n’est pas une injure. Initialement, ça fait état de l’origine populaire des policiers. La formule aux États-Unis n’a rien d’injurieux, elle a été inventée pour marquer la tension qui existe au sein de la police d’être né dans les milieux populaires et d’intervenir dans ces mêmes milieux. C’est ça la bâtardise initiale. Pourquoi la police prend-elle toujours négativement une invention subtile ? »
Sur les publications faites sur les réseaux sociaux du groupe, la décision du Conseil d’État est claire : « Les juges des référés observent que les publications du groupement sur ses réseaux sociaux ne peuvent être regardées à elles seules comme une légitimation du recours à la violence. Si le groupement tient des propos radicaux et parfois brutaux, ou relaie avec une complaisance contestable les informations sur les violences contre les forces de l’ordre, on ne peut considérer que le groupement ait appelé à commettre des actions violentes »...
Par Pierre Jequier-Zalc (publié le 16/05/2022)
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« D’un point de vue des libertés publiques, cet article est beaucoup trop souple. Si on l’interprète comme le ministère de l’Intérieur est en train de le faire, s’en est tout simplement fini du droit de manifester ». Cet article, dont parle l’avocat au Conseil d’État Antoine Lyon-Caen, représentant le Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE), menacé de dissolution par Gérald Darmanin, c’est le premier alinéa de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure.
Il prévoit les motifs de dissolution administrative d’association et de groupement de fait, et a été modifié par la loi séparatisme, promulguée en août 2021. Dans sa version antérieure, il prévoyait de pouvoir dissoudre les groupes « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Désormais il est possible pour le ministère de l’appliquer pour ceux « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
En décidant de dissoudre le GALE le 30 mars dernier, le gouvernement s’est uniquement basé sur cette modification, une première depuis le passage de la loi. C’est aussi la première fois depuis 40 ans qu’un groupe d’extrême-gauche serait dissous. Pour contester cette décision, le GALE, par l’intermédiaire de ses avocats Olivier Forray et Agnès Bouquin, a déposé début avril un référé liberté auprès du conseil d’État. Le but : suspendre ce décret et créer un précédent pour éviter à l’avenir un usage jugé excessif de cet article.
« Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère »
Dans une salle d’audience imposante, les trois griefs faits au groupe antifasciste lyonnais ont donc été abordés devant les juges des référés du Conseil d’État le 11 mai. Avec des stratégies bien distinctes de part et d’autres. D’un côté, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, justifie cette dissolution par l’accumulation de faits présentés comme des agissements violents ou des provocations à la violence et à la haine contre les forces de l’ordre et l’extrême-droite.
En face, les avocats du GALE et Axel F., présenté par le ministère comme le leader du groupe essaient de démonter, point par point, les faits reprochés. « Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère. Si on vérifie chacun des faits, à chaque fois on se retrouve sur une contrevérité », assène l’un des avocats du groupe, Olivier Forray. L’avis des défenseurs du GALE été suivi par le Conseil d’État, qui a estimé dans une décision rendue le 16 mai que « les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne permettent pas de démontrer que la GALE a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l’ordre public ».
« Le Gale inscrit sa stratégie dans la récurrence d’actions violentes », avançait le décret de dissolution, qui listait ensuite les rassemblements, manifestations ou actions durant lesquelles le GALE ou ses membres supposés auraient commis des violences.
Un rassemblement contre une manifestation d’un groupuscule d’extrême-droite en octobre 2017 est par exemple pointé du doigt. « En marge de la manifestation, on a trouvé des marteaux, des bombes de peinture, des gants coqués et le mot d’ordre était de marcher de manière déterminée sans faire marche arrière. Donc on considère que c’est une provocation à la violence, c’est un appel à l’affrontement », affirme le ministère de l’Intérieur.
« Alex F. était interdit de manifestation ce jour-là, donc il n’était pas présent. Aucun membre supposé du GALE n’a été interpellé ou condamné à la suite de cet évènement. Et l’appel à ce rassemblement n’émanait pas du Gale mais du NPA [Nouveau parti anticapitalisme] », rétorque les avocats du groupe antifasciste. Antoine Lyon-Caen enfonce le clou : « Quand je vous écoute, je suis très inquiet. Forcément il faut de la détermination pour manifester. Si à chaque fois qu’on est déterminé on tombe sous le coup de cet article L212-1, c’est très inquiétant… »
ACAB, un outrage ou une « invention subtile » ?
Au fil des faits reprochés au GALE, le ministère n’arrive presque jamais à les prouver. La seule violence avérée est un affrontement avec des militants du groupe d’extrême-droite Civitas, qui avaient infiltré une manifestation anti-passe sanitaire. Malgré l’absence de plainte, sept militants antifascistes sont poursuivis pour cette confrontation. Quatre d’entre ont été placés en détention provisoire pour ces faits puis simplement condamnés à une amende de 4e classe (135 euros). « Mon client a reconnu qu’il avait mis une claque et a été condamné par une simple contravention. Voilà de quoi nous parlons aujourd’hui », souligne Olivier Forray.
Les débats se concentrent ensuite sur le deuxième grief, les « invectives et les appels à la haine contre les forces de l’ordre ». Là encore, les faits allégués par le ministère de l’Intérieur se délitent. À titre d’exemple, ce dialogue tournant autour d’un post Facebook du GALE où les auteurs racontent le déroulé d’une manifestation, écrivant entre autre que « la première bataille commence et une pluie d’œufs et de peinture rose s’abat sur les flics (…) la BAC [brigade anti-criminalité] repart en courant sous une pluie de bouteilles et de pavé ». Avant de conclure en souhaitant à leur lecteur un « joyeux ACAB day ».
« Alex F. : « Le post est un récit de ce qu’il s’est passé. Les faits s’étaient déjà déroulés. C’est fait avec une pointe d’humour et des slogans historiques dans le milieu de la gauche radicale. »
Ministère de l’intérieur : « Le sigle ACAB, qui veut dire all cops are bastards (tous les flics sont des bâtards), a une signification particulière. C’est un outrage et une incitation à la haine contre les policiers. Le fait de se féliciter de ces actions les légitime et constitue une incitation à se réjouir et à les réitérer. »
Antoine Lyon-Caen : « Le post est humoristique. ACAB ce n’est pas une injure. Initialement, ça fait état de l’origine populaire des policiers. La formule aux États-Unis n’a rien d’injurieux, elle a été inventée pour marquer la tension qui existe au sein de la police d’être né dans les milieux populaires et d’intervenir dans ces mêmes milieux. C’est ça la bâtardise initiale. Pourquoi la police prend-elle toujours négativement une invention subtile ? »
Sur les publications faites sur les réseaux sociaux du groupe, la décision du Conseil d’État est claire : « Les juges des référés observent que les publications du groupement sur ses réseaux sociaux ne peuvent être regardées à elles seules comme une légitimation du recours à la violence. Si le groupement tient des propos radicaux et parfois brutaux, ou relaie avec une complaisance contestable les informations sur les violences contre les forces de l’ordre, on ne peut considérer que le groupement ait appelé à commettre des actions violentes »...
Par Pierre Jequier-Zalc (publié le 16/05/2022)
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