Quand hackers et agriculteurs s’allient pour l’autonomie énergétique
Ils désenclavent des territoires, frappés d’exclusion numérique. Ils développent des réseaux Internet autonomes en zone de montagne, installent des panneaux solaires organiques, ou permettent à des webradios locales d’émerger. Et peuvent même transformer des abreuvoirs abandonnés en jacuzzis écolos. Les « hackerspaces », espaces conviviaux de création d’outils technologiques, essaiment en milieu rural. Entretien avec Philippe Langlois, à l’origine du premier hackerspace français.

Pouvez-vous définir ce que sont les hackerspaces ?

Philippe Langlois : Un hackerspace est un lieu physique autonome qui rassemble des gens autour de projets qui ont trait à la technologie. On parle souvent dans les médias des « méchants pirates informatiques », mais les hackerspaces sont loin de tout ça : nous sommes simplement des personnes qui se réapproprient la technologie de façon conviviale, indépendante et créative. L’objectif est de créer soi-même des outils réappropriables et réplicables par tous, diffusés de façon libre et gratuite et que l’on peut modifier, améliorer.

Les hackerspaces sont nés en Allemagne dans les années 1990 mais se sont véritablement développés en 2005. On en compte désormais plus de 500 à travers le monde, ils regroupent environ 40 000 personnes. À l’origine, ce sont des individus issus des milieux de l’open source et du logiciel libre [1] qui ont transposé leurs façons de faire dans le monde physique tout en démocratisant des savoir-faire technologiques.

Quels sont les projets qui en émergent ? Comment interrogent-ils votre rapport à la technologie ?

Il y a des projets portés sur l’autonomie énergétique, la cartographie participative, l’art numérique, mais aussi le recyclage local de plastique ou encore la dépollution. Notre rapport à la technologie est centré autour de plusieurs notions dont, en premier, celle d’être dans le plaisir et dans la création positive. Ensuite, il y a le fait que ça ne doit pas bénéficier qu’à un groupe restreint de personnes mais bien à l’ensemble de la société. Enfin, il ne faut pas que l’on soit dans des projets trop conceptuels : on est avant tout dans le « faire ». Dans les hackerspaces, on trouve une éthique basée sur la pratique, le bidouillage, le droit à l’erreur, le tout sans dogmatisme.

Comment les hackerspaces sont-ils arrivés en milieu rural ?

D’abord parce que c’est difficile de tenir un lieu en ville : cela coûte cher, il faut des espaces à la fois grands et pérennes pour créer. Des événements ponctuels ont eu lieu autour des hackerspaces (voir ci-dessous), comme à Péone dans les Alpes-Maritimes en 2010 : le but était, entre autres, de savoir si on pouvait créer un lieu 100% autonome à partir de rien, en pleine nature. Plusieurs de ces rencontres éphémères rurales ont entraîné la création de lieux permanents, des « hackerlands ». Il y en a des dizaines en France, comme le projet Vallée à Conques (Cher) ou à ZAP1 dans l’Allier.

Artistes, ingénieurs, chercheurs, hackers et agriculteurs, nous nous sommes demandés comment les technologies numériques peuvent s’associer à la nature, au patrimoine, à l’agriculture. Nos hackerspaces urbains, avec leur philosophie et leur pratiques, peuvent tout à fait se transposer en milieu rural. On s’est rendu compte que beaucoup de personnes en campagne bidouillaient déjà de la technologie numérique ou étaient issues de cette culture.

Comment ces hackerlands s’intègrent-ils localement ? Que peuvent-ils apporter aux territoires ruraux ?

Les communes rurales sont souvent victimes d’abus de la part des bureaux d’études et de grandes entreprises, qui ont des intérêts financiers. Certains hackerlands se posent comme alternative à ces structures, en devenant un peu des consultants locaux à but non lucratif. Ils répondent à des besoins du milieu rural, notamment le désenclavement numérique, en créant des réseaux Internet indépendants qui fonctionnent dans des zones de montagne ou isolées, en mettant en place des serveurs de démocratie locale, des webradios territoriales, etc. Beaucoup de ces hackerlands travaillent autour des pratiques agricoles ou de l’énergie. Ce sont des espaces ouverts, où l’on est accueilli sans préjugé, dans une optique de « faire ensemble ». Certains créent des modules d’auto-construction reproductibles, des panneaux solaires organiques, des serres automatisées. Et même des jacuzzis à partir d’abreuvoirs abandonnés ! Il y a parfois des initiatives plus ponctuelles comme des expériences en agroforesterie, avec la création de capteurs pour analyser l’activité fongique autour des arbres. On pourrait en somme définir ces lieux comme des laboratoires de recherche ouverts et locaux.

Propos recueillis par Mickaël Correia, Transrural Initiatives

Lire l'article sur le site de Basta (Mickaël Correia - 18/12/2012)