Gastronomie En Catalogne, les clients font la plonge
Pour aider les pauvres, un restaurant situé près de Barcelone propose une recette qui tranche avec l’assistanat classique.

Miquel a 48 ans et il a passé la moitié de sa vie au volant de toutes sortes de poids lourds. Il a un permis pour conduire des bus et des semi-remorques. Sa passion, c’était d’enchaîner les kilomètres. En 2008, il était aux commandes d’un camion-grue, mais sa vie a mal tourné : aujourd’hui, il vit dans une cabane sans eau courante ni électricité, dans une zone boisée à la périphérie de la ville de Terrassa [près de Barcelone, en Espagne]. Il n’a pas réussi à retrouver un emploi et reconnaît qu’il avait perdu confiance en lui, à force de se sentir inutile.

Les services sociaux de la municipalité l’aident autant que possible, et jusqu’à récemment il recevait deux sandwichs par jour pour se nourrir. C’était avant qu’il ne participe au projet de La Trobada, le premier restaurant espagnol qui propose la même chose – un menu du jour à l’heure du déjeuner – à deux types de clients très différents : ceux qui ont des ressources financières et peuvent ainsi payer 6,50 euros, et ceux qui n’ont pas de revenus et consacrent deux heures par jour aux différentes tâches du restaurant en échange de ce repas. Miquel est l’un de ces nouveaux pauvres qui, depuis le 22 mars, peut bénéficier d’un repas équilibré… moyennant quelques services : mettre le couvert et débarrasser les tables. Il travaille avec une trentaine de personnes dans la même situation financière, qui sont recommandées par Caritas et les services sociaux, et qui s’occupent du nettoyage et de la préparation des tables pendant trois mois. La cuisine et la manipulation des aliments restent l’apanage de deux cuisinières professionnelles, Adolfi et Expectación. Elles expliquent : “[Nous travaillons] avec des fournisseurs locaux : et des produits de la région, dont une partie est issue de l’agriculture biologique et du commerce équitable. Nous offrons un menu de qualité à un bon prix.”

Le projet de La Trobada a été lancé par les 29 organisations qui font partie de l’Associació local d’entitats per la inclusió [Alei, un réseau dont le but est de favoriser l’insertion] de Terrassa. Chaque jour le projet reçoit 35 clients traditionnels et 35 personnes qui échangent leur temps contre un repas. “La cohabitation de ces deux profils permet aux clients d’expérimenter les inégalités et de les combattre en équipe : ces personnes affronteront ensemble un problème dont elles sont toutes victimes”, note Xavier Casas, gérant du restaurant.

Selon lui, “cet endroit n’est pas une soupe populaire, mais un restaurant ouvert à tous. Les clients qui viennent travailler nous sont recommandés et leurs aptitudes ont été évaluées en amont. Par la suite, nous essaierons de leur trouver du travail dans l’une des associations de l’Alei”, poursuit le gérant de La Trobada.

Tous les trois mois, de nouvelles personnes bénéficieront du programme et, si les calculs sont bons, le restaurant aura aidé 300 nouveaux pauvres d’ici à la fin de l’année 2013. Miquel affirme que depuis qu’il participe au projet il a regagné confiance en lui. “Maintenant, je me sens utile et reconnu à ma juste valeur. On ne se connaissait pas avant, mais les camarades et moi constituons déjà un groupe uni.” Même s’il était content de recevoir deux sandwichs par jour, il admet qu’il préfère “un plat chaud et un repas complet”, car cela lui réchauffe le cœur.

—Paloma Arenós à Terrassa

Lire l'article sur le site de Courrier International (23/04/2013)