Thomas Herndon, doctorant en économie, avait au départ choisi de s’intéresser aux travaux de Reinhart et Rogoff dans le cadre d’un cours d’économétrie pour lequel il devait analyser le travail de base de données d’une étude célèbre. Pour rappel, le mouvement mondial de l’austérité s’appuie en grande partie sur les travaux des professeurs de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. Ces universitaires avaient en 2010 écrit un papier s’intitulant «  Croissance en temps de dette  », qui fut l’un des articles économiques les plus politiquement influents de la décennie. Leur étude montre, entre autres, que les pays dont la dette dépasse 90 % du produit intérieur brut (PIB) connaissent une croissance plus lente que les pays moins endettés ; argument utilisé pour justifier des coupes dans les dépenses publiques et autres mesures d’austérité.

À la base, ce n’était du tout dans les plans de Thomas de démonter cette étude. C’est en regardant de plus près le tableur Excel contenant les données de Reinhart qu’il tomba nez à nez avec quelque chose qui lui sembla étrange. Il venait en fait de découvrir qu’à cause d’une maladroite erreur de calcul, Reinhart et Rogoff avaient oublié d’y inclure les données de certains pays ayant un ratio dette/PIB élevé et qui auraient affecté tous leurs résultats, cassant par la même occasion leur thèse selon laquelle une dette élevée empêche la croissance ! En effet, ces pays dont les données furent omises montraient une forte croissance durant des périodes lors desquelles ils étaient hautement endettés.

Herndon ne voulut tout d’abord pas y croire : «  On dit qu’il faut le voir pour le croire mais je n’en croyais pas mes yeux. », raconte-t-il, « J’ai dû demander à ma petite amie de vérifier (…) et elle m’a dit, ‘je ne pense pas que tu délires, Thomas’. » Les erreurs découvertes étaient si grosses que ses professeurs pensaient même qu’il leur disait n’importe quoi. Robert Pollin explique : « Au début, je n’y croyais pas. Je me disais que ce n’était qu’un étudiant, qu’il devait se tromper. Ce sont d’éminents économistes et lui juste un étudiant. » Ce n’est qu’après avoir eux-mêmes consulté l’étude de Reinhart et Rogoff qu’ils se rendirent compte que c’était bel et bien la vérité. Deux d’entre eux, Michael Ash et Robert Pollin, aidèrent Thomas dans la suite de ses recherches et, à trois, ils écrivirent un papier mettant en avant leurs trouvailles : «  Une dette publique élevée étouffe-t-elle constamment la croissance économique<UN>? Une critique de Reinhart et Rogoff  ».

Ce travail est maintenant cité par d’importantes personnalités anti-austérité, telles que Paul Krugman, et on en parle dans de nombreux médias comme d’une preuve que le mouvement pro-austérité est en partie basé sur une erreur de mathématiques ! La découverte était si énorme et si frappante que Reinhart et Rogoff furent bien obligés d’admettre leur erreur. Ceux-ci, malgré tout, avancent que cela ne remet pas en question les conclusions de leurs travaux. Thomas Herndon, de son côté, précise bien ne pas sous-entendre qu’ils aient intentionnellement oublié certaines données afin de soutenir les mouvements pro-austérité, ayant seulement voulu rapporter des erreurs. Il ajoute : «  Je n’ai pas fait cela pour les punir ou leur donner une leçon ». Quoi qu’il en soit, erreurs volontaires ou non, le travail de Herndon amène à se poser de nombreuses questions quant à l’avenir des politiques austéritaires.

Lire l'article sur le site de: Le Soir (22/04/2013)