Andalousie : ¡Tierra y libertad!
Expropriation, collectivisation, reprise individuelle…
Appelez ça comme vous voudrez, mais eux, ils n’en parlent pas… ils le vivent!
A Somonte, en Andalousie, plusieurs centaines d’ouvriers agricole se réapproprient des terres, les occupent et les cultivent!

L’Andalousie, qu’est-ce que ça évoque pour vous? Le soleil, les oranges? Hé bien quand vous êtes sur la route qui part de Palma del Rio – une ville de la province de Cordoue, 1.700 chômeurs – pour rejoindre la Finca Somonte, il est là ce soleil, elles sont là ces oranges, partout! Belles, bien rondes, juteuses et mûres à souhait. Mais elles sont au sol… et elles pourrissent, car il n’y a personne qui les ramasse! Oui je sais, en Andalousie on ne manque pas de bras, avec 34% de la population active au chômage – jusque 63% chez les jeunes – , qui survie de petits boulots et parfois… de rien, on se dit que c’est incompréhensible! Ça l’est pour des purotins comme vous et moi, surtout quand on sait qu’un huitième des orangers de la région ont été brûlé par le gel lors de l’hiver 2011-12 faute de soins…

Il faut savoir qu’en Espagne existe toujours un système  injuste de répartition des terres quasi féodale. Plus de 60% des terres – les plus riches, les plus fertiles – sont entre les pattes d’une clique minoritaire de puissantes familles, qui spéculent avec ces terres, préférant les laisser à l’abandon et ainsi recevoir des subventions européennes et des aides agricoles faramineuses. Le domaine de Somonte – 400 hectares, dont 40 irrigables – fait partie des 20.000 hectares que le gouvernement andalou à mis en vente aux enchères pour renflouer ses caisses vides. En vente, ouais, mais avec la décrépitude de l’Espagne et cette putain de « crise », seules de grandes entreprises européennes ou des aristocrates comme la duchesse d’Albe* et le duc del Infantado ont les moyens de les acquérir…

Sur ces 20.000 hectares mis aux enchères par la junta, la moitié a récemment été vendue à des propriétaires discrets, le nom des acquéreurs n’est pas connu… et depuis lors, ils n’auraient embauché personne, préférant spéculer plutôt qu’exploiter!

« Andalous, n’émigrez pas. Combattez! La terre est à vous. Reprenez là! »

A l’aube du 4 mars 2012, 500 journaliers agricoles – membres du syndicat SOC** – , habitants des villages voisins et citoyens solidaires venus de toute la région ont commencé à occuper la Finca Somonte dans les riches terres de la plaine du Guadalquivir, près de Palma del Rio dans la province de Cordoba. La vente, ou privatisation, du domaine de Somonte était prévue pour le 5 mars.

« Quand nous sommes arrivés à Somonte pour occuper les terres, c’était un matin très tôt, au lever du soleil. J’ai été surpris par le silence. Il n’y avait pas d’oiseaux sur ces terres! Pas de vie! Rien! »

Trente personnes des villages des alentours se sont installées sur le lieu et ont commencé à travailler la terre, à semer salades, tomates, pommes de terre, oignons et autres légumes, d’abord pour l’autoconsommation. Elles sont aidées tous les jours par des dizaines d’autres venus de toute l’Andalousie pour appuyer l’occupation. Dont deux travailleurs vétérans qui connaissent fort bien cette ferme, y ayant travaillé de nombreuses années. Ils ont apporté leur savoir-faire en précisant que ces terres sont très riches, mais que jusqu’à présent personne ne les a jamais vraiment mises en valeur. Un autre voisin de 83 ans a apporté des outils manuels qui ne sont plus utilisés dans l’agriculture intensive d’aujourd’hui. D’autres ont amené des semences, des plants, des poules…

On se croirait revenu au temps joyeux de la collectivisation, lors de la révolution espagnole de 1936, il y flotte comme une légère brise anarchiste – bien qu’ils ne le soient pas tous – bien sympathique… Car dans la région, les occupations de terre ne datent pas d’aujourd’hui. En ’36, elles s’étaient multipliées. Les anciens évoquent d’ailleurs la répression féroce qui s’en suivit lors de la victoire des fascistes de Franco. Un puissant propriétaire terrien – le duc del Infantado? – fit exécuter 350 journaliers à Palma del Rio, le village voisin de Somonte et la plupart des terres qui jouxtent la finca appartiennent aux descendants de cet homme…

« Notre philosophie peut se résumer de la façon suivante : la terre, comme l’air et l’eau, est un don de la nature que personne ne peut s’approprier pour son profit individuel ou pour son enrichissement privé. La terre est un bien public, propriété du peuple, qui doit être à l’usage et à la jouissance de ceux qui y vivent et qui la travaillent. Si alors la terre n’est à personne, la propriété de la terre est un vol. C’est pour cela que nous demandons l’expropriation sans indemnisation… » [...] « Cette action devrait marquer le début de la révolution agraire qui, en cette période de chômage, de pénurie et d’escroquerie néolibérale, nous manque tant. Aujourd’hui toute alternative pour survivre avec dignité doit passer par la lutte pour la terre, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire. »

Et l’aventure continue encore aujourd’hui, en ce matin hivernal, une trentaine de personnes se pressent autour d’un brasero, installé devant la petite cuisine de la « finca ». Deux hommes réparent un vieux tracteur Fiat sur lequel est fiché un drapeau andalou portant le sigle SOC-SAT. Quand le tracteur finit par démarrer, des responsables du lieu répartissent les tâches entre les occupants et les visiteurs solidaires, selon les décisions prises la veille au soir en assemblée populaire. Un groupe ira désherber le champ d’oignons dont les plants viennent d’être mis en terre. Un autre ramassera les piments, les Piquillo, la variété locale, rouge sang, qui seront ensuite mis à sécher en grappes. Le troisième groupe préparera le repas collectif de la mi-journée.

Bien entendu, les chiens de garde du capital, en l’occurrence ici, la tristement célèbre Guardia civil héritée du franquisme, viennent régulièrement relever les numéros des plaques d’immatriculation des voitures stationnées sur le parking de la finca sous les quolibets discrets des travailleurs blasés, mais ils ne descendent jamais de leur véhicule, ils notent et repartent. Ils y a aussi quelques plaintes contre certains camarades occupants mais sans grande influence sur la vie quotidienne.

A côté de tout ça, il a fallu rénover les habitations afin de pouvoir loger tous les résidents. Un électricien de Fuente Carreteros et un plombier de Palma del Rio se sont proposés comme volontaires. Toutes les décisions sont prises dans des assemblées générales quotidiennes et des commissions ont été établies pour s’occuper de la logistique, des relations avec les médias, du nettoyage, des repas, du travail horticole…

La finca Somonte se trouve à 50 km de Marinaleda, où la municipalité communiste a créé des conserveries et des ateliers qui pourraient transformer les produits de Somonte. Selon le SOC, la partie irrigable pourrait, dans une première étape, fournir du travail à au moins 50 personnes. La ferme pourrait à moyen terme, grâce à la culture sociale de tout le domaine, faire vivre beaucoup plus de travailleurs. Les occupants disent qu’ils ne veulent pas créer une coopérative de salariés, mais une « coopérative de résistance » assurant la survie et un havre de vie pour de nombreuses personnes frappées par la crise.

« L’objectif, c’est de faire travailler et vivre ici quarante familles. Dès que nous aurons réglé le problème de l’irrigation, ce sera possible. » [...] « La terre est bonne ici, pour les asperges, et l’avantage, c’est qu’on peut les vendre assez cher, ensuite, on pourra transformer les produits de Somonte à Marinaleda, où ils ont tous les outils nécessaires. Depuis que nous sommes ici, les oiseaux sont revenus et la vie aussi. L’homme appartient à la terre. Nous devons la respecter et veiller sur elle. C’est pour cela que nous allons faire ici de l’agriculture biologique paysanne. »

Une gestion entièrement biologique

Pour développer une agriculture en rupture avec le modèle dominant, nos occupant font appel à leur sensibilité et à leur mémoire, ravivée par leurs parents ou leurs grands-parents. Les premiers pieds de tomates plantés à Somonte proviennent de semences très anciennes apportées par le père – 84 ans – d’une occupante. « Dès que nous avons occupé Somonte, beaucoup de personnes âgées sont venues nous apporter des semences de piments, d’oignons, de laitues… Toutes les semences traditionnelles qu’elles avaient héritées de leurs parents et qu’elle avaient conservées et protégées précieusement année après année. » La finca a également reçu des graines bio du réseau andalou Semences et de la coopérative française Longo Maï. Somonte sera donc libre de semences transgéniques et de pesticides. « Nous sommes fatigués de voir ceux qui spéculent avec la terre spéculer aussi avec les produits chimiques, avec les semences et avec l’eau. Il va être difficile de mettre les 400 hectares en agriculture biologique mais nous allons le faire! »

Des milliers de familles de la région à nourrir

Petit à petit, avec le soutien d’ingénieurs agronomes, des anciens, d’organisations locales et de réseaux de solidarité internationaux, le projet agricole de Somonte prend corps. Trois hectares de légumes ont déjà été mis en culture pour l’autonomie des occupants, la vente sur les marchés locaux ou dans une coopérative de consommateurs de Cordoue. Plusieurs dizaines d’hectares vont être consacrés à des cultures maraîchères. Quarante hectares seront réservés à de grandes cultures en rotation avec notamment du blé biologique. Les occupants de Somonte envisagent de planter près de 1 500 arbres de variétés locales, de développer des vergers d’abricotiers, de cerisiers, d’amandiers, de créer une oliveraie, d’entretenir des haies.

En décembre 2012, près de 700 arbres sont plantés le long du domaine. Une eau saine sera récupérée grâce à des retenues, des puits et à une protection des petits cours d’eau existants. Les occupants veulent réunir rapidement un troupeau d’au moins 300 brebis. Une grande partie de la production agricole de la finca sera transformée sur place dans des ateliers. Le projet agro-écologique et social de Somonte, organisé sous forme de coopérative de travailleurs, pourra donner du travail à plusieurs centaines de personnes et permettre à des milliers de familles de la région de se nourrir.

La situation de Somonte est suspendue à la situation politique en Andalousie. Le parlement autonome élu début 2012 est majoritairement à gauche. Cela n’a pas empêché le Parti socialiste de faire expulser les occupants de Somonte, le 26 avril 2012, le jour même où il signait un accord avec la Gauche Unie. Le 27 avril au matin, la finca était de nouveau occupée.

« S’ils nous expulsent 20 fois, nous occuperons 21 fois! Nous n’avons pas le choix. Le gouvernement ne sait pas comment réagir. Et nous, pendant ce temps, nous montrons qu’une autre voie est possible. Nous disons qu’il faut occuper les terres pour avoir un travail et pour vivre. Mais il faut aussi occuper les logements pour donner un toit aux familles. Et il faut occuper les banques pour dénoncer les aides financières que nos gouvernements leur apportent tout en faisant payer les plus pauvres. Il faut occuper! Voilà la solution. » [...] « Les moyens de production doivent être au service du peuple. Pour cultiver sainement, nous n’avons pas besoin d’un patron qui nous exploite et nous vole. Nous voulons décider nous-mêmes de notre avenir. »

En 2013: Aucune menace d’expulsion n’a été formulée depuis, les négociations sont au point mort. Jusqu’à aujourd’hui, ni la junta andalouse, ni Mariano Rajoy, le premier ministre espagnol, du Parti populaire (Partido popular, PP, droite), n’ont sévèrement menacé les journaliers. Souhaitons-leur un long et franc succès, et que leur exemple fasse tache d’huile à travers l’Europe. ¡No Pasarán!

LIre sur le site de pagedesuie.wordpress