18 Mar 2018
Face à l’ineptie des politiques gouvernementales – abandonner des gens à la rue en plein hiver –, des Lyonnais réagissent. Après deux amphithéâtres de l’université Lyon 2, c’est au tour d’une ancienne caserne de pompiers d’être réquisitionnée par des citoyens pour sortir migrants et sans-abris de la rue. Le lieu est occupé par 160 personnes, appuyées par des militants et des collectifs de soutien locaux. Un autre immeuble abandonné vient d’être ouvert pour accueillir 60 enfants et leurs parents. Particulièrement symbolique dans le fief de l’actuel ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, ce mouvement d’occupation touche plusieurs villes en France, palliant les carences de pouvoirs publics plus occupés à alimenter les rouages de la machine à expulser. Reportage.
Devant la caserne de pompiers de Villeurbanne, près de Lyon, un couple fait des allers-retours en traînant d’un air paumé les poussettes de ses enfants. « Regardez, dit David, ces gens tournent dans le quartier depuis des heures. À tous les coups, c’est encore le 115 [le numéro d’urgence des sans-abris] qui a dû les envoyer ici. Ces derniers temps, ça n’arrête pas, les gens défilent. » « C’est quand même un comble quand on y pense, ajoute Doud, que les services de l’État se tournent vers des squatteurs comme nous pour héberger des gens à la rue. C’est vraiment qu’ils doivent être désemparés ! ». Ce que dément le directeur du 115 local, Michel Pillot, car ses services « n’ont pas connaissance de l’existence de ces lieux ».
David et Doud ont participé à la « réquisition citoyenne » de l’énorme bâtiment gris et tout en longueur de l’ancienne école départementale de sapeurs pompiers, censée accueillir le collège de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin d’ici 2021. A l’abandon jusque-là, le 12 rue Baudin servait parfois d’hébergement d’urgence, mais pas cet hiver. Sauf que... « On a sorti ce site du cadre institutionnel pour en faire un lieu d’accueil autogéré, et sortir des gens de la rue par la lutte, résume David. Question symbolique, c’est très fort. »
Un centre de 35 chambres, déjà surchargées
Sur les cinq niveaux du site, 35 chambres ont été aménagées, au départ prévues pour accueillir 70 personnes. Elles sont aujourd’hui déjà près de 160, à raison de deux à trois par chambre. Une limite de places a ainsi dû être instaurée, « seul moyen pour que ce lieu soit vivable et pérenne ». Autogestion oblige, les occupants endossent le mauvais rôle : « Ça nous fend le cœur de refuser de nouveaux arrivants, regrette Daouda [1], originaire de Guinée-Conakry, d’autant plus quand on vient soi-même de la rue... On invite ceux qui ne peuvent pas rester la nuit à manger sur place, d’autres sont hébergés chez des militants. » Quelques compromis avec la misère.
L’ancienne caserne de pompiers désaffectée sert de centre d’hébergement d’urgence
Dans la cuisine, certains font la vaisselle, d’autres tuent le temps le regard vissé sur l’écran de leur téléphone, assis autour de la longue table à manger. C’est l’épicentre du squat : tout se passe ici, les réunions, les repas. « Tenez. » Daouda nous tend un tract « de présentation », sur lequel on peut lire : « Nous avons traversé la route de la mort : le désert, la Libye et la mer ! Nous avons vécu les exactions, les tortures, cet enfer ! Nous avons vu nos sœurs et frères perdre leur âme, se faire tuer. Nous avons fui la guerre, la répression, l’ethnocentrisme, la misère… » « C’est le communiqué qu’on a produit quand on s’est fait expulser », commente Daouda.
Des migrants rompus à l’auto-organisation
La plupart des demandeurs d’asile et sans-papiers qui occupent le squat se sont connus sur un camp fait de « matelas et de cartons posés par terre sur des dalles », situé dans un couloir extérieur à proximité de la gare de la Part-Dieu. Mais le 10 novembre le préfet ordonnait leur expulsion. « Évacuation », corrigera la métropole de Lyon, propriétaire des dalles, qui invoque des raisons de sécurité pour se justifier : « Les dalles étaient en très mauvais état, et cela devenait dangereux. » Que les hommes – dont certains mineurs isolés – qui se trouvaient sur le camp soient livrés à la rue sans solution de ré-hébergement était sans doute moins « dangereux ».
« Ces gens ont tellement connu la misère qu’ils ont déjà une culture de la réunion, analyse Sam, l’habitude des assemblées générales et de l’organisation en commissions... On craignait les tensions que peut engendrer la cohabitation de dizaines de personnes de cultures et d’origines différentes, mais au final on a été surpris par la facilité avec laquelle s’organise ce squat. » Deux semaines à peine après son ouverture, le squat est déjà équipé d’une cuisine, d’une buanderie, d’une pharmacie, et d’une salle commune qui se prête parfois à l’organisation de soirées. Un étage est réservé aux hommes seuls, un autre aux familles.
Ménage, préparation des repas, surveillance du site : les occupants se répartissent eux-mêmes les diverses tâches. Les militants, eux, se sont chargés d’ouvrir l’eau et l’électricité, avant de remettre en marche des douches et sanitaires communs. À terme, chaque chambre devrait être équipée d’une douche, d’un WC et de deux lavabos. « La seule chose qui nous manque, c’est le gaz, précise David. Le fournisseur a refusé de le remettre en service. Heureusement, on a repéré le chauffe-eau au sous-sol. »
Par Franck Dépretz
Lire la suite sur bastamag.net (19.01.2018)
Devant la caserne de pompiers de Villeurbanne, près de Lyon, un couple fait des allers-retours en traînant d’un air paumé les poussettes de ses enfants. « Regardez, dit David, ces gens tournent dans le quartier depuis des heures. À tous les coups, c’est encore le 115 [le numéro d’urgence des sans-abris] qui a dû les envoyer ici. Ces derniers temps, ça n’arrête pas, les gens défilent. » « C’est quand même un comble quand on y pense, ajoute Doud, que les services de l’État se tournent vers des squatteurs comme nous pour héberger des gens à la rue. C’est vraiment qu’ils doivent être désemparés ! ». Ce que dément le directeur du 115 local, Michel Pillot, car ses services « n’ont pas connaissance de l’existence de ces lieux ».
David et Doud ont participé à la « réquisition citoyenne » de l’énorme bâtiment gris et tout en longueur de l’ancienne école départementale de sapeurs pompiers, censée accueillir le collège de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin d’ici 2021. A l’abandon jusque-là, le 12 rue Baudin servait parfois d’hébergement d’urgence, mais pas cet hiver. Sauf que... « On a sorti ce site du cadre institutionnel pour en faire un lieu d’accueil autogéré, et sortir des gens de la rue par la lutte, résume David. Question symbolique, c’est très fort. »
Un centre de 35 chambres, déjà surchargées
Sur les cinq niveaux du site, 35 chambres ont été aménagées, au départ prévues pour accueillir 70 personnes. Elles sont aujourd’hui déjà près de 160, à raison de deux à trois par chambre. Une limite de places a ainsi dû être instaurée, « seul moyen pour que ce lieu soit vivable et pérenne ». Autogestion oblige, les occupants endossent le mauvais rôle : « Ça nous fend le cœur de refuser de nouveaux arrivants, regrette Daouda [1], originaire de Guinée-Conakry, d’autant plus quand on vient soi-même de la rue... On invite ceux qui ne peuvent pas rester la nuit à manger sur place, d’autres sont hébergés chez des militants. » Quelques compromis avec la misère.
L’ancienne caserne de pompiers désaffectée sert de centre d’hébergement d’urgence
Dans la cuisine, certains font la vaisselle, d’autres tuent le temps le regard vissé sur l’écran de leur téléphone, assis autour de la longue table à manger. C’est l’épicentre du squat : tout se passe ici, les réunions, les repas. « Tenez. » Daouda nous tend un tract « de présentation », sur lequel on peut lire : « Nous avons traversé la route de la mort : le désert, la Libye et la mer ! Nous avons vécu les exactions, les tortures, cet enfer ! Nous avons vu nos sœurs et frères perdre leur âme, se faire tuer. Nous avons fui la guerre, la répression, l’ethnocentrisme, la misère… » « C’est le communiqué qu’on a produit quand on s’est fait expulser », commente Daouda.
Des migrants rompus à l’auto-organisation
La plupart des demandeurs d’asile et sans-papiers qui occupent le squat se sont connus sur un camp fait de « matelas et de cartons posés par terre sur des dalles », situé dans un couloir extérieur à proximité de la gare de la Part-Dieu. Mais le 10 novembre le préfet ordonnait leur expulsion. « Évacuation », corrigera la métropole de Lyon, propriétaire des dalles, qui invoque des raisons de sécurité pour se justifier : « Les dalles étaient en très mauvais état, et cela devenait dangereux. » Que les hommes – dont certains mineurs isolés – qui se trouvaient sur le camp soient livrés à la rue sans solution de ré-hébergement était sans doute moins « dangereux ».
« Ces gens ont tellement connu la misère qu’ils ont déjà une culture de la réunion, analyse Sam, l’habitude des assemblées générales et de l’organisation en commissions... On craignait les tensions que peut engendrer la cohabitation de dizaines de personnes de cultures et d’origines différentes, mais au final on a été surpris par la facilité avec laquelle s’organise ce squat. » Deux semaines à peine après son ouverture, le squat est déjà équipé d’une cuisine, d’une buanderie, d’une pharmacie, et d’une salle commune qui se prête parfois à l’organisation de soirées. Un étage est réservé aux hommes seuls, un autre aux familles.
Ménage, préparation des repas, surveillance du site : les occupants se répartissent eux-mêmes les diverses tâches. Les militants, eux, se sont chargés d’ouvrir l’eau et l’électricité, avant de remettre en marche des douches et sanitaires communs. À terme, chaque chambre devrait être équipée d’une douche, d’un WC et de deux lavabos. « La seule chose qui nous manque, c’est le gaz, précise David. Le fournisseur a refusé de le remettre en service. Heureusement, on a repéré le chauffe-eau au sous-sol. »
Par Franck Dépretz
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