18 Mar 2018
« En montagne, on ne laisse jamais quelqu’un en difficulté. » Cyniquement oubliée par les autorités, cette évidence ne l’a pas été par les habitants de la sous-préfecture des Hautes-Alpes, perchée à 1300 mètres d’altitude et située sur l’une des voies de passage les plus empruntées – et les plus dangereuses – entre l’Italie et la France. Entre les maraudes qui récupèrent les migrants, les multiples lieux d’hébergement, alternatifs ou chez l’habitant, l’approvisionnement en nourriture, en linge... Tout un écosystème de solidarités montre l’exemple d’une population mobilisée pour un accueil digne de celles et ceux qui sont lancés sur les routes de l’exil. Reportage.
Il n’est pas tout à fait 18h30 quand les derniers rayons de soleil plongent derrière les cimes enneigées. Pour quelques instants encore, le ciel embrase la vallée de la Clarée. L’éclat du jour faiblissant livre alors ce spectacle frissonnant des montagnes qui s’endorment. La torpeur est de courte durée : le téléphone sonne, six migrants ont franchi la frontière italienne toute proche, et attendent cachés dans la neige, à quelques kilomètres de là. À Briançon, c’est dans ce clair-obscur que surgissent ceux qui fuient les monstres. L’heure à laquelle tout se joue. Chaque jour, des maraudes vont porter secours à ceux qui tentent, dans des conditions dantesques, le passage du col de l’Échelle. Le thermomètre affiche -10°C. Il faut faire vite, enfiler combinaisons et chaussures chaudes, préparer le thermos de café et prendre quelques vivres avant de se mettre en route.
En cette soirée de février, deux voitures avalent la douzaine de kilomètres de la N94 dont les lacets mènent à la station de Montgenèvre. A l’arrivée, les phares sont rapidement éteints, une fois garés sur le petit parking. Il faut redoubler d’attention : en plus de retrouver la trace des migrants, il s’agit de ne pas en laisser pour les patrouilles policières. La discrétion est la première garantie contre les interpellations, de plus en plus nombreuses ces derniers mois à l’encontre de ceux qui osent venir en aide [1] à ceux qui risquent pourtant leur vie sur les routes de l’exil.
Dans le clair-obscur, les migrants succèdent aux skieurs
Les arrivants sont près d’une petite cabane en bois, à l’orée de la forêt. Il y a quelques heures, elle servait encore d’abri pour le perchiste des remontées mécaniques. A Montgenèvre, doyenne des stations de ski françaises, la liberté de circulation est aujourd’hui à géométrie variable : à la lumière du jour, ses pistes restent prisées des touristes internationaux venus profiter des joies du sport d’hiver. Une fois la nuit tombée, ce sont d’autres nationalités, refoulées, qui y glissent en ombres furtives. Ce soir-là, les rescapés viennent de Guinée, du Sénégal, de Côte d’Ivoire et du Pakistan. Ce sont de jeunes hommes, entre 16 et 32 ans, et pour eux, la frontière est bel et bien une réalité, à l’intérieur de l’espace Schengen. Pour la contourner, ils ont dû emprunter, en jeans et en baskets, des couloirs enneigés à l’abri des regards, mais pas forcément des avalanches.
Transis de froid sur la banquette arrière, ils reprennent leur souffle en silence, sous de grosses couvertures. Au volant, Gaspard [2] ne pose pas de questions. Selon lui, ce n’est pas son rôle : « La règle en montagne, c’est qu’on ne laisse jamais quelqu’un en difficulté. Je ne cherche pas à savoir d’où ils viennent, ni pourquoi ils traversent. Ce n’est pas une histoire de convictions politiques, je fais simplement ma part. » La soixantaine fringante, il a déjà passé la journée en montagne, où il officie comme moniteur de ski. Une fois par semaine, il s’inscrit au planning des maraudes où se relaient une trentaine de bénévoles, sept jours sur sept.
« Passer par le col de l’Échelle serait suicidaire »
Ces secouristes en haute-montagne d’un genre un peu particulier, se sont fait connaître sur le col de l’Échelle, à quelques kilomètres plus au nord, par lequel la très grande majorité des passages se sont faits jusqu’à la fin d’année dernière. Mais celui-ci a fermé en janvier, comme chaque année à la même saison, durant laquelle il n’est pas déneigé. De l’autre côté du col et de la frontière, à Bardonecchia, les migrants qui arrivent par le train rencontrent alors des Italiens qui assurent un autre type de maraude : « Il faut à tout prix les empêcher de passer par le col de l’Échelle. Ce serait suicidaire. Avec le fort niveau d’enneigement de cet hiver, le risque d’avalanche est maximum. Il est presque impossible de passer sans se tuer », alerte Cédric, coordinateur des équipes de maraude côté français.
Par Barnabé Binctin
Lire la suite sur bastamag.net (11/03/2017)
Il n’est pas tout à fait 18h30 quand les derniers rayons de soleil plongent derrière les cimes enneigées. Pour quelques instants encore, le ciel embrase la vallée de la Clarée. L’éclat du jour faiblissant livre alors ce spectacle frissonnant des montagnes qui s’endorment. La torpeur est de courte durée : le téléphone sonne, six migrants ont franchi la frontière italienne toute proche, et attendent cachés dans la neige, à quelques kilomètres de là. À Briançon, c’est dans ce clair-obscur que surgissent ceux qui fuient les monstres. L’heure à laquelle tout se joue. Chaque jour, des maraudes vont porter secours à ceux qui tentent, dans des conditions dantesques, le passage du col de l’Échelle. Le thermomètre affiche -10°C. Il faut faire vite, enfiler combinaisons et chaussures chaudes, préparer le thermos de café et prendre quelques vivres avant de se mettre en route.
En cette soirée de février, deux voitures avalent la douzaine de kilomètres de la N94 dont les lacets mènent à la station de Montgenèvre. A l’arrivée, les phares sont rapidement éteints, une fois garés sur le petit parking. Il faut redoubler d’attention : en plus de retrouver la trace des migrants, il s’agit de ne pas en laisser pour les patrouilles policières. La discrétion est la première garantie contre les interpellations, de plus en plus nombreuses ces derniers mois à l’encontre de ceux qui osent venir en aide [1] à ceux qui risquent pourtant leur vie sur les routes de l’exil.
Dans le clair-obscur, les migrants succèdent aux skieurs
Les arrivants sont près d’une petite cabane en bois, à l’orée de la forêt. Il y a quelques heures, elle servait encore d’abri pour le perchiste des remontées mécaniques. A Montgenèvre, doyenne des stations de ski françaises, la liberté de circulation est aujourd’hui à géométrie variable : à la lumière du jour, ses pistes restent prisées des touristes internationaux venus profiter des joies du sport d’hiver. Une fois la nuit tombée, ce sont d’autres nationalités, refoulées, qui y glissent en ombres furtives. Ce soir-là, les rescapés viennent de Guinée, du Sénégal, de Côte d’Ivoire et du Pakistan. Ce sont de jeunes hommes, entre 16 et 32 ans, et pour eux, la frontière est bel et bien une réalité, à l’intérieur de l’espace Schengen. Pour la contourner, ils ont dû emprunter, en jeans et en baskets, des couloirs enneigés à l’abri des regards, mais pas forcément des avalanches.
Transis de froid sur la banquette arrière, ils reprennent leur souffle en silence, sous de grosses couvertures. Au volant, Gaspard [2] ne pose pas de questions. Selon lui, ce n’est pas son rôle : « La règle en montagne, c’est qu’on ne laisse jamais quelqu’un en difficulté. Je ne cherche pas à savoir d’où ils viennent, ni pourquoi ils traversent. Ce n’est pas une histoire de convictions politiques, je fais simplement ma part. » La soixantaine fringante, il a déjà passé la journée en montagne, où il officie comme moniteur de ski. Une fois par semaine, il s’inscrit au planning des maraudes où se relaient une trentaine de bénévoles, sept jours sur sept.
« Passer par le col de l’Échelle serait suicidaire »
Ces secouristes en haute-montagne d’un genre un peu particulier, se sont fait connaître sur le col de l’Échelle, à quelques kilomètres plus au nord, par lequel la très grande majorité des passages se sont faits jusqu’à la fin d’année dernière. Mais celui-ci a fermé en janvier, comme chaque année à la même saison, durant laquelle il n’est pas déneigé. De l’autre côté du col et de la frontière, à Bardonecchia, les migrants qui arrivent par le train rencontrent alors des Italiens qui assurent un autre type de maraude : « Il faut à tout prix les empêcher de passer par le col de l’Échelle. Ce serait suicidaire. Avec le fort niveau d’enneigement de cet hiver, le risque d’avalanche est maximum. Il est presque impossible de passer sans se tuer », alerte Cédric, coordinateur des équipes de maraude côté français.
Par Barnabé Binctin
Lire la suite sur bastamag.net (11/03/2017)