La grande organisation de défense des droits humains d’origine américaine Human Rights Watch (HRW) a divulgué ce jeudi matin un rapport dans lequel elle accuse Israël de génocide dans la bande de Gaza. En cela, elle suit de deux semaines un rapport d’Amnesty international qui établissait la même accusation.
HRW rappelle dans son rapport qu’elle prend en compte la définition internationalement acceptée du crime de génocide : « Le crime de génocide, en droit international, implique l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel, par des actes tels que le meurtre de ses membres, la soumission à des conditions de vie entraînant sa destruction physique en tout ou en partie, ou l’infliction de graves atteintes physiques ou mentales, entre autres actes définis. »
« Extermination et génocide »
HRW fonde son rapport sur la question de l’accès à l’eau. « L’eau est essentielle à la vie humaine, mais depuis plus d’un an, le gouvernement israélien prive délibérément les Palestiniens de Gaza du strict minimum nécessaire pour survivre », explique Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Ce n’est pas simplement de la négligence ; c’est une politique calculée de privation qui a conduit à la mort de milliers de personnes par déshydratation et maladie, ce qui ne constitue rien de moins qu’un crime contre l’humanité d’extermination, et un acte de génocide. »
L’on sait que les accusations de génocide butent souvent sur un point essentiel car indispensable : la preuve de « l’intention » de commettre un tel crime. Dans son rapport de 184 pages, HRW dit justement avoir constaté que « les autorités israéliennes ont intentionnellement privé les Palestiniens de Gaza d’un accès à une eau potable pour boire et assurer l’hygiène nécessaire à la survie humaine. Les autorités et les forces israéliennes ont coupé et ensuite restreint l’approvisionnement en eau par canalisation vers Gaza ; rendu inutilisables la plupart des infrastructures d’eau et d’assainissement de Gaza en coupant l’électricité et en limitant le carburant ; détruit et endommagé délibérément les infrastructures et les matériaux nécessaires à leur réparation ; et bloqué l’entrée de fournitures d’eau essentielles. »
Un rapport différent de celui d’Amnesty
Par ailleurs, contrairement à deux autres rapports sortis cette année, celui de Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, diffusé le 26 mars, et celui d’Amnesty de ce 5 décembre, le rapport de HRW se focalise sur un seul point, la privation organisée par Israël d’un accès adéquat à l’eau pour les civils palestiniens de Gaza depuis octobre 2023. Le fait, donc, que l’armée israélienne bombarde quotidiennement la bande de Gaza, y compris les zones qu’elle-même a pourtant déclarées comme « sûres », et le grand nombre de victimes civiles additionnées en quatorze mois, n’est pas repris dans le rapport.
Pour Ahmed Benchemsi, porte-parole de HRW pour la division Moyen-Orient, l’absence de mention des bombardements et des déplacements forcés ne signifie pas que l’organisation sous-estime ces crimes : « Nous avons publié plus de 150 rapports, communiqués, vidéos, etc., pour dénoncer d’autres atrocités commises par l’armée israélienne à Gaza, dont des bombardements indiscriminés de civils, que nous avons qualifiés de crimes de guerre, ou les déplacements forcés de masse, que nous avons qualifiés de crimes contre l’humanité et même de nettoyage ethnique dans certaines zones », nous explique-t-il depuis Paris. « On ne part jamais d’une accusation a priori qu’on tente de prouver. Dans le cas de ce rapport, comme dans tous les précédents d’ailleurs, nous avons analysé les éléments en notre possession concernant l’accès à l’eau, pour en arriver à la conclusion qu’il s’agit de crimes qualifiés en droit international : l’extermination par l’imposition de conditions de vie menant à des tueries de masse, ainsi que des actes génocidaires. Nous mentionnons d’ailleurs des chiffres édifiants comme les 669.000 cas de diarrhée aiguë depuis le 7 octobre 2023 signalés par l’OMS, ou les 60.000 morts par malnutrition et déshydratation dénoncés dans une lettre au président Joe Biden par un collectif de 99 médecins et infirmiers américains qui avaient passé des semaines comme volontaires à Gaza. Toutes ces morts – des estimations basses, notons-le – ne sont pas directement liées aux bombardements. »
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La conclusion du rapport de HRW ? Tirana Hassan la donne : « Les gouvernements ne devraient pas contribuer aux crimes graves que les responsables israéliens commettent à Gaza, y compris les crimes contre l’humanité et les actes génocidaires, et devraient prendre toutes les mesures possibles pour prévenir de nouveaux dommages. Les gouvernements qui arment Israël devraient mettre fin à leur risque de complicité dans les crimes atroces à Gaza et prendre des mesures immédiates pour protéger les civils, notamment en imposant un embargo sur les armes, des sanctions ciblées, et un soutien à la justice ».
Un rapport de MSF corrobore ces sinistres constats
De son côté, l’ONG internationale Médecins sans frontières diffuse elle aussi un rapport alarmant sur la situation à Gaza ce 19 décembre. Et elle évoque aussi la notion de génocide. « La récente offensive militaire dans le nord est l’illustration saisissante de la guerre brutale que les forces israéliennes mènent contre Gaza, et nous voyons des signes évidents de nettoyage ethnique alors que les Palestiniens sont déplacés de force, pris au piège et bombardés », explique Christopher Lockyear, le secrétaire général de MSF, qui s’est rendu à Gaza au début de l’année. « Ce que nos équipes médicales ont observé sur le terrain tout au long de ce conflit correspond aux descriptions fournies par un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours à Gaza. Bien que nous n’ayons pas l’autorité légale pour établir l’intentionnalité, les signes de nettoyage ethnique et la dévastation en cours – y compris les massacres, les sévères blessures physiques et mentales, les déplacements forcés et les conditions de vie impossibles pour les Palestiniens assiégés et bombardés – sont indéniables. »
Et de continuer : « Depuis plus d’un an, notre personnel médical à Gaza est témoin d’une campagne implacable des forces israéliennes, marquée par une destruction, une dévastation et une déshumanisation massives. Des Palestiniens ont été tués chez eux ou dans leur lit d’hôpital. Ils ont été déplacés de force à maintes reprises vers des zones qui ne sont ni sûres ni saines. Les gens ne peuvent même pas trouver les produits de première nécessité comme la nourriture, l’eau potable, les médicaments et le savon au milieu d’un siège et d’un blocus punitifs. »
Impact à long terme sans précédent
Même si l’offensive militaire israélienne sur Gaza prenait fin aujourd’hui, conclut le rapport de MSF, « ses impacts à long terme seraient sans précédent, compte tenu de l’ampleur des destructions et des défis extraordinaires liés à la fourniture de soins de santé dans toute la bande de Gaza. Un nombre stupéfiant de blessés de guerre sont exposés à des risques d’infection, d’amputation et de handicaps permanents, et beaucoup d’entre eux auront besoin de plusieurs années de soins de réadaptation. L’accumulation des traumatismes physiques et mentaux causés par la violence extrême, la perte de membres de la famille et de foyers, les déplacements forcés répétés et les conditions de vie inhumaines marqueront des générations ».
Par Baudouin Loos