« C’est une guerre de revanche » : en Israël, des soldats refusent de continuer à se battre
ppelés dans la foulée du 7 octobre, 140 réservistes israéliens ont signé une lettre où ils annoncent refuser de continuer à servir tant qu’un accord pour libérer les otages n’est pas signé. Des voix rares, un an après le début de la guerre.

Certains réservistes se cabrent suite à leur expérience d’une guerre animée par un sentiment de revanche avec lequel ils ne sont pas en accord. -

Ils ont tous les trois répondu sans hésiter à leur ordre de mobilisation le 7 octobre 2023. Le soir même, Max Kresh était à la frontière avec le Liban. Cinq jours plus tard, Michael Ofer-Ziv s’installait derrière les écrans d’une salle de guerre d’où il contrôlait les opérations à Gaza. Guy* rejoignait, quant à lui, l’enveloppe de Gaza avant d’être posté au centre de détention de Sde Teiman.

Tous les trois refusent aujourd’hui de continuer à se battre. Signataires d’une lettre publiée le 9 octobre, ils disent refuser de continuer à servir tant qu’un accord pour libérer les otages n’est pas conclu. Le document, le second du genre depuis le début de la guerre, a réuni près de 140 signatures et suscité de nombreux débats dans une société qui conspue les « refuzniks ». Si de nombreux réservistes ont silencieusement arrêté de répondre à leur convocation, par fatigue ou pour des raisons économiques, une minorité a choisi d’en faire un sujet politique, résultat d’une prise de conscience ancrée dans leurs expériences d’une armée et guerre animées par un sentiment de revanche avec lequel ils ne sont pas en accord.

« Ces lettres ne nous absolvent pas, mais elles sont le minimum qu’on puisse faire », confie Guy. Témoin de l’enfer du centre de détention de Sde Teiman, où des cas de tortures et d’abus contre les prisonniers Gazaouis ont été rapportés, il raconte la banalisation d’une violence extrême pour laquelle personne n’est puni : « Des détenus ont été passés à tabac par des soldats. Certains en sont sortis blessés, l’un en est mort. J’ai vu des détenus amputés d’un membre à cause de menottes trop serrées. J’ai vu de la négligence médicale, des soignants qui ne donnaient pas d’anti-douleurs… De la cruauté à l’état pur. »

    La mort de Yahya Sinwar aurait pu permettre un accord, mais on parle au contraire de nettoyage ethnique du nord de Gaza, ou de recolonisation… Je ne peux pas participer à ça


Son passage à Sde Teiman et les images de Gaza le bouleversent. « Il ne s’agit plus seulement d’actions moralement condamnables, mais de crimes de guerre. Les intentions réelles du gouvernement sont de plus en plus visibles. La mort de Yahya Sinwar aurait pu permettre un accord, mais on parle au contraire de nettoyage ethnique du nord de Gaza, ou de recolonisation… Je ne peux pas participer à ça. »

Atmosphère de vengeance

C’est cette même atmosphère de vengeance que dénonce Michael Ofer-Ziv. Officier de contrôle au centre de Gaza, ce salarié de la tech à Tel Aviv a vécu la guerre par écrans interposés. Assis dans une salle de commande, il est chargé de gérer les combats en actualisant les cartes interactives où sont répertoriées les positions de chacun. Les yeux rivés sur les images enregistrées par les drones, il guette mouvements et actions : « Je voyais les bombardements et les destructions en direct. En noir et blanc. Ça paraissait irréel, lointain. En me reconnectant à mon téléphone lors des pauses et en ouvrant les informations internationales, je comprenais que ces frappes avaient des conséquences », témoigne le réserviste de 29 ans. Sa prise de conscience aboutit en décembre, à la fin du premier accord de trêve et après la mort de trois otages, tués par un sniper israélien alors qu’ils avaient les bras en l’air et que l’un d’eux agitait un tissu blanc. « J’ai compris que la pression militaire mettait en danger les otages, et qu’on avait créé une réalité où tuer des personnes qui tiennent un drapeau blanc peut arriver », déplore Michael. Avant de détailler : « On était dans une zone plutôt vide, les soldats avaient peu de contact avec l’ennemi. Quand ils en avaient, ils nous rapportaient l’évènement en disant : “On a vu quelqu’un courir, on lui a tiré dessus et il est mort.” On ne remettait rien en question. On partait simplement du principe qu’ils étaient armés, dans une forme de négligence par rapport aux vies palestiniennes. Ça crée donc cette situation où les soldats peuvent faire ce qu’ils veulent. » Le réserviste affirme n’avoir vu aucun document relatif aux règles d’engagement circuler.

    J’ai compris que la pression militaire mettait en danger les otages, et qu’on avait créé une réalité où tuer des personnes qui tiennent un drapeau blanc peut arriver

Michael Ofer-Ziv, Officier de contrôle au centre de Gaza

Dans la salle de guerre, Michael se confie peu sur ses dilemmes. « J’entendais beaucoup : “Il n’y a pas d’innocents à Gaza”, ou “Il n’y a pas de gens non armés”, ou encore que les Palestiniens sont “amalek”, cet ennemi qui doit être effacé de la terre. » En avril, il signe la première lettre de refus. A l’époque, ils étaient 40 : « Un an après le début de la guerre, il y a une forme de désillusion qui gagne du terrain. »
Sentiment de trahison

Max Kresh fait partie des nouveaux signataires. Ce secouriste dans une unité d’élite mobilisée dans la région du mont Hermon s’estime « trahi » par un gouvernement radical et religieux contre lequel il proteste depuis 2023. « Dès le premier jour, Netanyahou a fait du traumatisme du 7 octobre une arme. Il a encouragé un climat de vengeance et de racisme. Il n’œuvre pas en faveur des citoyens, mais en fonction de ses intérêts », dénonce ce longiligne étudiant en biologie qui a écrit à son commandant après la mort de Hersh Goldberg-Polin et de quatre autres otages, probablement exécutés par le Hamas fin août. « Je lui ai dit que je ne voulais pas continuer à sacrifier ma vie si c’est le gouvernement que nous avions, un gouvernement qui tue les otages. »

Arrivé en Israël en 2014, cet Américain de 28 ans décrit l’angoisse des premiers jours à la frontière avec le Liban : « Tous les soirs, pendant une semaine, on s’attendait à ce que le Hezbollah envahisse le nord. Je m’attendais à mourir. On espérait juste pouvoir les ralentir. » Le 12 octobre, il partage ses pensées sur Facebook : « Il est temps d’embrasser nos voisins arabes et palestiniens. (…) Je ne renonce pas à la paix. » Son texte circule dans son unité. « J’ai été critiqué, ostracisé et isolé, ça a été très difficile. Le discours dominant est celui de la vengeance. Mais il était impossible pour moi de ne pas m’exprimer. »

Sommée par le gouvernement de gérer la rébellion de ses soldats, l’armée a appelé les signataires de la lettre pour leur demander de retirer leurs propos, et les congédier en cas de refus. « C’était un peu comme s’ils disaient : “Ce n’est pas toi qui me quittes, c’est moi qui te quitte” », s’amuse Max, qui est resté fidèle à son choix, malgré les désapprobations familiales et sociétales. Si des réservistes « refuzniks » ont pu être sanctionnés par le passé, c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui : « On a servi. On a fait notre devoir. C’est aussi ce qui nous donne notre légitimité à parler. »

* Prénom d’emprunt.

Lire sur le site du Soir ( 28/10/2024)