Sur ces terres, ils expérimentent le zéro glyphosate
Le glyphosate pourrait encore être autorisé en Europe après fin 2022. En France pourtant, le principal institut de recherche agricole l’a déjà abandonné depuis 2021. Reporterre a visité un de ses centres. Bilan : le défi est plus économique que technique.

Les pommiers sont sagement palissés et alignés, un goutte-à-goutte colore la terre à leur pied. En cette saison, les fruits ne font que la taille d’une cerise. Ici, à Beaucouzé (Maine-et-Loire), tout ressemble au verger d’un agriculteur, sauf que nous sommes dans un centre de recherche. Installée sur deux sites près d’Angers, l’Unité expérimentale horticole de l’Inrae [1] gère une cinquantaine d’hectares de plantations. Des milliers de variétés d’arbres fruitiers sont conservées et observées. « On cherche comment utiliser moins d’eau, moins d’engrais, moins de produits phytosanitaires », explique le directeur de l’unité, Arnaud Lemarquand. Le centre développe des variétés résistantes aux maladies ou des techniques pour se passer de pesticides... et a dû, comme le reste des centres de l’Inrae, arrêter l’utilisation du glyphosate.

Un objectif politique, parti d’une promesse d’Emmanuel Macron en novembre 2017 : il avait affiché vouloir sortir la France du glyphosate en trois ans. « L’idée était que l’institut prenne les risques plutôt que la profession agricole, on avait deux ans », précise Arnaud Lemarquand. Entre-temps, Emmanuel Macron a enterré sa promesse, mais l’Inrae, lui, a bien rempli l’objectif. Depuis le 1er janvier 2021, l’herbicide est banni des parcelles gérées par l’institut de recherche national.

Dans le verger, l’herbe est acceptée, mais pas n’importe où : elle pousse au centre des allées, y est régulièrement tondue. En revanche, sur une quarantaine de centimètres de chaque côté des fruitiers, la terre est nue. On considère que les « adventices » — les plantes qui poussent sans y avoir été invitées — font concurrence aux arbres fruitiers, en pompant une partie de l’eau et des minéraux qui leur sont destinés. Tout l’enjeu est d’intervenir dans cette zone sensible, car proche des arbres.

« Autrefois on les enlevait à la binette ou à la charrue, et depuis cinquante ans c’est avec le chimique, explique Arnaud Lemarquand. Le glyphosate n’est pas cher et très efficace, il suffit d’une goutte sur une feuille pour qu’il détruise la plante jusqu’à la racine. Sans, c’est plus compliqué. » Le directeur a dû lever des obstacles culturels. « Il a fallu convaincre certains collègues que s’il restait quelques adventices dans les rangs cela ne nuirait pas aux recherches », précise-t-il. Côté technique, c’est celle appliquée aux parcelles bio qui a été reprise. Le centre a investi : un tracteur a été équipé d’un complexe outil permettant de déraciner les indésirables sans abîmer les précieux arbres.

Des avantages certains

Clé à molette à la main, Ludovic Bervas, technicien de recherche, nous montre comment il monte et démonte disques, brosses et lames sur le bel appareil rouge vif. En fonction de la dureté de la terre, de la quantité d’herbes à enlever, etc., il ajuste sans cesse. Il démarre le tracteur, l’assemblage se met au travail. Le pied de chaque arbre semble comme brossé, les herbes indésirables sont déracinées. Un « palpeur » effleure les troncs, signale leur présence à l’outil qui ainsi les évite automatiquement.

Un petit bijou de précision, qui demande de grandes compétences au conducteur : il doit être bien plus attentif et minutieux que quand il épand du glyphosate. « Pour prendre en main l’appareil, connaître les réglages sur chaque parcelle, il faut avoir travaillé au moins une saison avec. Au début il y a eu un peu de casse, d’arbres et de matériel », se rappelle Ludovic Bervas. Il a essuyé les plâtres des premiers prototypes il y a quinze ans sur les parcelles bio de l’unité, désormais les machines disponibles sont plus fiables. « Le marché s’ouvre, donc les fabricants investissent du temps et de l’ingénierie », se félicite Arnaud Lemarquand.

L’abandon du glyphosate présente des avantages. Cela fait un traitement pesticide de moins, « et je n’ai plus à mettre la combinaison, le masque et les gants spéciaux lors de sa préparation, note Ludovic Bervas. Il n’y a aussi plus de délais à respecter pour entrer dans la parcelle après le traitement ».

Il passe en revanche beaucoup plus de temps qu’avant à désherber. Arnaud Lemarquand a fait les comptes : « Le tracteur roule à 2 kilomètres-heure plutôt qu’à 6 quand il épandait le glyphosate, et il faut passer deux fois plus souvent. » Soit environ six fois plus de temps et aussi plus de gasoil.

Un défi économique

À l’échelle de l’Inrae, le constat est le même. Des solutions ont été rapidement trouvées pour la très grande majorité des cultures. « Finalement le bilan est assez simplement posé : les alternatives coûtent du temps (quelques dizaines d’heures quand l’application du glyphosate demande 20 minutes), des investissements (machines, innovations techniques) et le résultat n’est pas aussi total qu’avec le glyphosate (il reste des plantes indésirables dont les stocks peuvent augmenter à long terme) », résume l’institut sur son site.

Les « impasses techniques » identifiées sont minimes. Dans les champs, l’agriculture de conservation, qui ne laboure pas le sol pour préserver son fragile équilibre, assure avoir besoin de glyphosate dans certains cas. Les vignes dans les zones en pente — où les tracteurs n’accèdent pas — ou dans les terrains caillouteux — qui cassent les outils — sont un autre cas difficile.

Du côté des arbres fruitiers, c’est le cas des jeunes arbres qui préoccupe Arnaud Lemarquand. Il nous emmène sur une parcelle plantée l’hiver dernier. Les arbrisseaux ne sont pas encore assez épais pour résister aux lames de l’outil désherbeur. La règle du zéro glyphosate a été respectée, mais c’est un autre herbicide qui a été épandu. « C’est un projet de verger zéro phyto [zéro pesticides], mais on a commencé par désherber avec un produit, regrette le scientifique. Après, ce n’est pas une impasse en tant que telle, car on aurait aussi pu mettre cinq personnes à désherber à la main pendant trois jours. »

Pour lui, la question de l’arrêt du glyphosate est donc clairement un problème plus économique que technique. « Pour la pomme, cela génère un surcoût de 10 centimes par kilo. Le bio va pouvoir valoriser ses pommes plus cher, et amortir. Mais le conventionnel, lui, se retrouve en concurrence avec la pomme des Pays-Bas ou de Nouvelle-Zélande encore produite avec du glyphosate », estime-t-il.

Un constat qui n’est pas contesté par les détracteurs du glyphosate. Écolos et organisations paysannes estiment que la fin de l’herbicide doit s’accompagner d’un changement de système agricole. Fermes plus petites, rémunération du travail des producteurs à sa juste valeur, réorientation des subventions européennes vers les emplois plutôt que vers les hectares... L’utilisation du glyphosate va avec un système agricole intensif. « D’ailleurs, les fermes en grandes cultures de moins de 150 hectares utilisent du glyphosate sur seulement 14 % de leur surface, contre 40 % pour les fermes de plus de 350 hectares. Les trop grandes fermes obligent à simplifier les pratiques, et à utiliser le glyphosate par manque de temps », observait le porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod, auprès de Reporterre en 2020.

De son côté, Arnaud Lemarquand plaide pour conserver un usage « très raisonnable » du glyphosate sur quelques cas « très spécifiques ». Il estime également que dans le cas des arbres fruitiers, il y a d’autres priorités. « Dans un verger, l’utilisation des herbicides est marginale. On fait un traitement au glyphosate quand on fait quinze traitements contre la tavelure [ce champignon est responsable de la principale maladie du pommier]. Si on les supprimait, on aurait un impact bien plus important sur la réduction des produits phytosanitaires. »...

Par Marie Astier et Mathieu Génon (publié le 17/05/2022)
Lire la suite sur le site Reporterre