Le « modèle Preston », ou comment une ville peut reprendre la main sur son économie, ses emplois et son bien-être
Un soir de printemps en 2013, deux conseillers municipaux de gauche ont franchi la porte du Grey Friars, un pub caverneux de Preston, ville post-industrielle du nord de l’Angleterre, pour une réunion autour d’une pinte de bière. Matthew Brown et son collègue Martyn Rawlinson étaient à la recherche d’idées nouvelles pour leur ville, où la pauvreté explosait dans un contexte de coupes budgétaires brutales. les deux autres, Neil McInroy et Matthew Jackson avaient fait le déplacement depuis Manchester où ils travaillaient pour un groupe appelé « Centre pour des stratégies économiques locales » (Center for Local Economic Strategies, CLES).

Ce soir-là, dans le pub, les quatre hommes ont esquissé les principes d’une nouvelle manière d’organiser les dépenses publiques urbaines, qui puisse protéger une ville moyenne comme Preston (141 000 habitants) de l’extraction de richesses locales par des multinationales privées, tout en imposant de nouvelles normes environnementales et sociales pour toutes les entreprises souhaitant bénéficier de contrats publics.
« Les marchés publics, sujet en apparence ennuyeux et technocratique, sont un enjeu éminemment politique »

Le « modèle de Preston » - nom sous lequel cette démarche viendra plus tard à être connue - comporte deux volets complémentaires. McInroy et Jackson avaient consacré de nombreuses années à argumenter que davantage d’argent pouvait être conservé dans l’économie locale si les écoles, les municipalités, les hôpitaux et autres institutions utilisaient leurs budgets pour acheter des biens et des services auprès de firmes locales plutôt que d’entreprises multinationales qui transfèreraient leurs bénéfices ailleurs. Matthew Brown pensait quant à lui que ces firmes locales devaient être des coopératives de travailleurs, où les profits iraient dans les poches des salariés plutôt que dans celles d’actionnaires.

D’un point de vue opérationnel, le modèle de Preston repose sur des outils et des approches éminemment techniques, comme l’analyse des dépenses publiques, l’ajustement des contrats d’achat public, la formation de nouveaux fournisseurs ou la création d’entreprises coopératives. Mais en son cœur, il y a un propos politique radical : que l’économie n’est pas une sphère technocratique séparée ni un ensemble de forces étrangères qui se jouent du lieu où elles s’affrontent et interagissent, mais qu’elle est façonnée par les décisions de gens ordinaires, qui peuvent l’utiliser pour créer le type de société dans laquelle ils veulent vivre.

Pour Martin O’Neill, maître de conférences en philosophie politique à l’université de York, cette approche transforme la politique d’approvisionnement d’une ville d’un simple processus financier en un levier qui peut être utilisé par les élus pour promulguer certaines valeurs, d’une manière un peu similaire à la redistribution des richesses via la fiscalité. « C’est l’idée que les marchés publics, qui sont en apparence une question ennuyeuse et technocratique, sont en fait un enjeu éminemment politique. En ne voyant pas ce rôle potentiel de l’achat public, nous avons massivement sous-estimé un moyen important dont disposent les élus pour améliorer la vie des gens », explique-t-il.

Aux États-Unis, le terme de « community wealth building » ou « création de richesse collective locale » a été inventé par un think tank appelé Democracy Collaborative. Il désigne une stratégie visant à attirer et conserver les dollars au sein des communautés locales : d’abord, en empêchant les ressources financières locales de « s’échapper » au profit d’entreprises et d’actionnaires extérieurs ; ensuite en tirant parti des contrats d’achats et des investissements des « institutions de référence » locales que sont les hôpitaux, les universités, les fondations, les institutions culturelles et les administrations municipales pour développer des activités bénéfiques à la communauté...

Par Hazel Sheffield
Lire la suite sur le site Basta