Maires ruraux, ils sont à la pointe de la transition écologique
Langouët, Puy-Saint-André, Faux-la-Montagne... Les petites communes sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans la transition écologique. Souvent à l’origine de projets précurseurs, leurs maires font montre d’un optimisme sans faille... Mais pointent aussi les difficultés que peut rencontrer un village sur le long chemin de la transition.

Là, c’est une cantine 100 % bio. Ici, une production d’énergie renouvelable et locale. Ailleurs, une impulsion décisive donnée à une agriculture paysanne. Plus loin, une école en matériaux écologiques et très peu consommatrice d’énergie. Ou encore, une rivière renaturalisée et la biodiversité revenue sur le territoire. À Reporterre, les reportages dans les (petits) villages faisant de grandes choses pour la transition écologique poussent tels des herbes folles au printemps. Et nous vous le rappelions grâce à un kit détaillé à l’usage des citoyens et de leurs futurs élus il y a quelques semaines : l’échelon de la commune est assurément l’un de ceux auxquels il faut et on peut agir.

Mais suffit-il de vouloir pour pouvoir ? Ce chapelet d’expériences est-il généralisable à l’ensemble des communes rurales ? Est-il plus facile de mener la transition écologique dans un village qu’en ville ? « Je peux sortir de mon bureau, mettre les bottes, et aller voir ce qui se passe. Le village est une échelle qui permet une prise sur le réel », dit Daniel Cueff, maire de Langouët, dans le Finistère. Désormais connu pour son arrêté anti-pesticides, il a aussi impulsé dans sa commune de 600 habitants la première cantine totalement bio, une école basse consommation, la construction de maisons « zéro carbone, zéro déchet de chantier », etc.

Le personnage donne le ton, l’engagement écologique d’un village est souvent porté par une forte personnalité qui met l’écologie au centre de sa politique. « Ces maires incarnent un projet et se démènent pour y arriver », observe Charlotte Tardieu, animatrice du réseau des Territoires à énergie positive. « Quand j’ai été élu en 1999, le mot développement durable n’existait pas dans le vocabulaire politique local », se souvient Daniel Cueff. « Une des premières difficultés est de convaincre l’ensemble des élus de la commune », confirme un autre pionnier, Michel Maya, qui termine son cinquième mandat à Tramayes, en Saône-et-Loire (1.045 habitants). La commune est récemment devenue la première commune de plus de mille habitants n’utilisant que de l’énergie renouvelable en France. « Le plus important, c’est une volonté politique forte », dit Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce, qui accompagne les collectivités locales engagées dans la transition écologique sur les questions d’énergie, de gestion des déchets et de l’eau. « Il faut être courageux. Et convaincre l’adjoint aux finances... »

Ces élus témoignent aussi être bien entourés. Une équipe de salariés communaux et d’élus qui fonctionne (ce n’est pas toujours le cas !) apparaît comme essentielle. « Avec les autres élus, on se répartit la tâche, on a du plaisir à travailler ensemble et à partager nos idées », se réjouit Estelle Arnaud, première adjointe à Puy-Saint-André dans les Hautes-Alpes. Elle est tête de liste pour les prochaines élections. Parmi les réalisations de ce village de 460 âmes, une société d’économie mixte pour produire de l’énergie renouvelable dont les habitants sont aussi actionnaires.

Leur adhésion est ainsi centrale. « On a fait un questionnaire en début de mandat, il en est ressorti que la protection de l’environnement était un sujet important pour les habitants », raconte Estelle Arnaud. « On a mis en place des assemblées d’habitants, le conseil municipal travaille avec elles pour que les projets ne soient pas portés que par les élus », dit Catherine Moulin, maire de Faux-la-Montagne (Creuse, 420 habitants). « Je ne suis pas maire par hasard, on a eu la première Maison de la nature de France dans les années 1970, on a deux générations d’habitants éduqués à la biodiversité », raconte Patrick Barbier, maire de Muttersholtz (Bas-Rhin, 2.200 habitants), où une attention particulière à la biodiversité a permis le retour d’espèces animales qui avaient quitté le village.

« Il faut une réappropriation des savoir-faire dans les territoires »

Ce travail d’équipe est indispensable, car ces projets qui sortent des sentiers battus sont souvent plus compliqués à porter, surtout par des villages où les ressources techniques, juridiques et financières sont limitées. « Le plus bloquant c’est l’aspect technique, l’ingénierie », dit Charlotte Tardieu du réseau des Territoires à énergie positive. « Il y a vingt-cinq ans, quand on allait voir les services de l’État, il y avait des ingénieurs et des techniciens à disposition des communes, qui nous aidaient à monter les projets. Maintenant ces services ne sont là que pour contrôler, regarder si les projets respectent la loi », déplore Michel Maya à Tramayes. Une conséquence, notamment, de la réduction des effectifs de l’État sur les territoires.

Il faut donc être persévérant et dénicher les compétences. « Moins je vois les services techniques de l’État, mieux je me porte, dit Daniel Cueff. Après, tout n’est pas monolithique. J’ai toujours trouvé des interlocuteurs compétents au sein de l’État, mais c’est moi qui suis allé les chercher. » Il a fait de même quand il a été décidé de rénover l’école, ou de lancer la construction de logements sociaux municipaux : « Nous fixons un cadre, qui est d’avoir les performances les plus écologiques possibles, puis nous sélectionnons des architectes "citoyens" qui acceptent le projet politique que l’on a et qui expérimentent avec nous. »

Le contexte local semble jouer, car dans les Hautes-Alpes, Estelle Arnaud a une autre expérience. « On s’appuie beaucoup sur la communauté de communes, le département, les services de l’État. » « Même le sous-préfet nous accompagne », confirme Patrick Barbier côté Bas-Rhin.

Mais est-il souhaitable d’attendre de l’État cet appui technique ? « Plutôt qu’une expertise nationale mise à disposition, il faut une réappropriation des savoir-faire dans les territoires, dit Nicolas Garnier de l’association Amorce. Que les ingénieurs soient dans les communes ou les inter-communalités. »

Financièrement, « nous sommes désormais sous dépendance de l’État »

La transition écologique dans les villages demande aussi « une mise de départ, un peu de trésorerie et des comptes communaux sains », estime Nicolas Garnier. « On a parlé pendant quinze ans du groupement scolaire. On s’est serré la ceinture pour avoir un reliquat à mettre dans ce projet », relate ainsi Michel Maya, fier du bâtiment à énergie positive qu’il a pu réaliser. Daniel Cueff, lui, est intransigeant sur un principe : « Il est intolérable d’avoir de l’écologie chère. Quand un architecte vient nous voir et nous explique que ce sera 30 % plus cher pour avoir un bâtiment écologique, nous lui indiquons la porte. »

Pour se lancer, les élus font la chasse aux subventions. Certaines paraissent faciles à obtenir. « L’Ademe nous a financé à 80 % un poste de chargé de mission énergie », se félicite le maire de Muttersholtz. « Sur la question de la biodiversité, les agences de l’eau et les régions ont souvent des programmes, et ne sont pas débordées par les demandes car beaucoup de mes collègues maires considèrent que le génie écologique n’est pas une priorité. » « Mais il arrive aussi que les communes aient des projets et que l’État leur réponde que les aides ne seront délivrées qu’à l’intercommunalité », note Cédric Szabo. Et l’inconvénient de ces subventions est qu’elles sont rarement pérennes car basées sur des appels à projet : « L’État est en train de passer d’une logique où il donne de manière égalitaire à tous, à une logique de projets, on donne là où c’est efficace », observe Patrick Barbier. Il fait partie des gagnants de cette nouvelle compétition. Mais comment entraîner tout le monde avec ce mode de fonctionnement ?

Quand on peut les faire, les investissements enclenchent un cercle vertueux. « Par exemple avec la rénovation thermique des bâtiments publics, vous pouvez diviser par deux la facture énergétique d’un village et gagner 5 % sur le budget de la commune. Vous en faites des choses avec ça ! » s’enthousiasme Nicolas Garnier. À Faux-la-Montagne, la commune a rénové des bâtiments du centre du village pour les transformer en bureaux, gérés par une association. « La location rapporte 30.000 euros par ans », indique la maire, Catherine Moulin. À Puy-Saint-André, l’énergie renouvelable est devenue une recette. « Cela nous permet de financer la navette pour aller au marché », se félicite Estelle Arnaud.

Autant de stratégies qui permettent de parer à la baisse des dotations données par l’État aux communes. « On nous a réduit les dotations de 15, 20 % lors du dernier mandat, on nous a incité à des économies de gestion mais ça a ses limites », estime le maire de Tramayes. « Les dotations aux régions, départements et communes ont baissé de quinze milliards d’euros » lors du mandat de François Hollande, calcule Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). « On nous dit que la baisse est finie, mais les dotations n’ont jamais été aussi faibles. »

À cela s’ajoute la suppression de la taxe d’habitation, décidée par Emmanuel Macron en début de mandat. Pour l’instant, les petits maires interrogés par Reporterre indiquent ne pas en ressentir l’effet car elle est compensée à 100 % par l’État. En revanche, Daniel Cueff en souligne l’impact démocratique : « On a supprimé le lien entre l’impôt et l’électeur. Nous sommes désormais sous dépendance de l’État. » « Le gouvernement nous dit que les collectivités locales sont les chevilles ouvrières de la transition écologique. S’il est sincère, il doit donc décentraliser la fiscalité », ajoute Nicolas Garnier d’Amorce.

Les territoires ruraux sont indispensables à la transition énergétique

« On a renoncé à faire une politique d’aménagement du territoire, l’essentiel des investissements est fait dans les grandes villes », regrette ainsi Cédric Szabo, de l’AMRF. « La séquence législative des dix dernières années à transféré beaucoup de compétences aux intercommunalités et les préfets écrivent aux présidents de ces intercommunalités comme s’ils étaient les chefs des maires. Ce n’est pas le cas ! »

Les relations des petits maires avec leur communauté de commune ou l’agglomération sont d’ailleurs aléatoires. Catherine Moulin regrette ainsi amèrement le regroupement imposé par la loi NOTRe de 2015. « On avait une petite communauté de communes qui fonctionnait très bien. Puis on a été obligé de fusionner avec celle d’Aubusson. La ville est à 45 minutes de route et eux sont en plaine, nous en montagne. Ce ne sont pas du tout les mêmes problématiques ! » L’agrandissement des régions n’a pas davantage amélioré les choses : « Pour nous, le siège, à Bordeaux, est à quatre heures de route sans transports en commun, ce n’est pas très écologique... »

« Nous sommes dans un système du haut vers le bas. Tout se décline, est pensé de la même façon jusqu’aux petits territoires, c’est catastrophique, dénonce Daniel Cueff depuis la Bretagne. Beaucoup de maires, d’ailleurs, attendent tout de l’État. Il faut changer ce centralisme et voir que la particularité de la France avec ses 36.000 communes n’est pas une faiblesse, mais une force. »

Michel Maya souligne notamment que les territoires ruraux sont indispensables à la transition énergétique : « Les économies d’énergie vont devoir avant tout se faire dans les villes, là où il y a beaucoup de consommation. Mais la production d’énergies renouvelables va se faire en milieu rural. La transition écologique doit être menée comme un contrat entre rural et urbain. »

Une transition en bonne voie, veut croire Charlotte Tardieu, du Réseau des territoires pour la transition énergétique, qui regroupe d’ailleurs essentiellement des communes rurales. « On poursuit bien sûr la sensibilisation, mais on en est désormais à l’heure de la concrétisation, se félicite-t-elle. Le réseau va fêter ses dix ans, donc c’est autant d’années d’expériences à partager. Les maires qui démarrent aujourd’hui ne partent pas de zéro, d’autres ont expérimenté pour eux. »

Par Marie Astier (publié le 09/03/2020)
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