Le président du Chili demande « pardon » et propose des mesures sociales pour calmer la colère
« Nous avons entendu la voix de ceux qui ont exprimé leur douleur et leurs espoirs. » Mardi soir, au terme d’une cinquième journée de manifestations massives dans les grandes villes du pays, Sebastian Piñera s’est de nouveau adressé aux Chiliens à la télévision. « Nous n’avons pas été capables de reconnaître l’ampleur de cette situation d’inégalités et d’abus. Je vous demande pardon pour ce manque de vision », a admis le président de droite.

Hausse de 20 % des pensions de retraite les plus basses, revalorisation du salaire minimum, baisse du salaire des parlementaires, gel du prix de l’électricité, baisse de celui des médicaments, augmentation d’impôts pour les plus riches… M. Piñera, qui avait réuni plusieurs présidents de partis politiques ce mardi, a déroulé une longue série de mesures qui seront soumises au vote du Congrès ou approuvées par décret présidentiel. « Cet agenda social ne résoudra pas tous les problèmes qui accablent les Chiliens, mais c’est un effort nécessaire et significatif pour améliorer la qualité de vie des plus vulnérables », a déclaré le chef d’Etat.

Retraites, santé, salaires… Les réformes promises par Sebastian Piñera portent sur des thèmes chers aux manifestants. Ce mardi après-midi, des milliers d’entre eux se sont rassemblés de manière pacifique à Santiago, la capitale chilienne. Pour Ivan Cornejo, dessinateur de 36 ans, « les retraites [qui fonctionnent au Chili par capitalisation individuelle auprès de fonds de pension privés] sont un sujet grave et urgent, leur niveau est très bas. Nous, les Chiliens, devons continuer de travailler très longtemps car on ne peut pas vivre avec ce que l’on perçoit. »

L’augmentation des pensions les plus basses devrait faire passer celles-ci de 110 000 à 132 000 pesos chiliens (de 136 à 163 euros). Une hausse « qui pourrait soulager de façon minime le portefeuille de certains retraités », souligne Claudio Fuentes, professeur de sciences politiques à l’université Diego-Portales, qui estime toutefois que « ces annonces ne suffiront pas à faire retomber la mobilisation sociale ». L’appel à une nouvelle grève générale mercredi et jeudi, lancé par plusieurs organisations sociales et syndicats, a « toutes les chances d’être suivi », selon M. Fuentes.

Pour Alberto Mayol, vice-doyen de la faculté d’administration et d’économie de l’université de Santiago, « ce qui est fondamental dans les événements de ces derniers jours, c’est l’échec du modèle économique actuel. Et aucune des mesures annoncées par le président ne sort de ce modèle ». Les manifestants sont effectivement nombreux à réclamer des changements plus radicaux que ceux annoncés mardi soir, comme l’adoption d’une nouvelle Constitution – l’actuelle est héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).

Interpellations violentes

Au-delà de ses promesses de réformes, Sebastian Piñera n’a pas répondu, mardi soir, à l’une des demandes les plus pressantes de la société chilienne : le retrait de l’armée qui occupe actuellement les rues des grandes villes. « Je sais que certains veulent en finir avec l’état d’urgence et avec le couvre-feu. Nous le voulons tous », a déclaré le président. « Mais, en tant que président du Chili, je me dois de ne lever l’état d’urgence que lorsque je serai certain que l’ordre public, la tranquillité, la sécurité des Chiliens, et la protection des biens publics et privés seront respectés. » Ce mardi, les représentants de plusieurs partis de gauche avaient refusé de participer à la réunion avec M. Piñera, notamment en raison du maintien de l’état d’urgence dans le pays.

Des images d’interpellations violentes durant le couvre-feu circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, souvent accompagnées du hashtag #EstoPasaEnChile (« voilà ce qui se passe au Chili »). Alors que le gouvernement fait état de 15 morts depuis le début de la crise sociale, dont une majorité lors de saccages et incendies de magasins, l’Institut national des droits humains affirme que cinq personnes ont été tuées par les forces de l’ordre depuis le week-end. Cette organisation publique indépendante dénonce également des cas de violences sexuelles et parle de plus de 250 personnes blessées, dont la moitié par arme à feu. « Le président n’a pas parlé des victimes de ces derniers jours », déplore Claudio Fuentes. « Il n’a pas abordé la question des droits de l’homme, alors que c’est un sujet toujours plus préoccupant.

Par Aude Villiers-Moriamé (publié le 23/10/2019)
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