09 Avr 2019
Atteinte de la maladie de Parkinson, Sylvie Berger a gagné son combat judiciaire pour faire reconnaître la responsabilité de son employeur dans son intoxication aux pesticides. Le tribunal de Bordeaux a condamné Château Vernous pour faute inexcusable.
C’est une décision historique dans le Bordelais, vitrine mondiale du vin et de l’œnotourisme de luxe. Château Vernous, cru bourgeois du Médoc et propriété du groupe Larraqué, a été condamné mercredi dernier par le tribunal de grande instance de Bordeaux. A été retenue la « faute inexcusable » sur la personne de Sylvie Berger, 47 ans, ouvrière de la vigne atteinte de la maladie de Parkinson. « Je n’arrive pas encore à réaliser. Je ne l’attendais plus. Je me sens soulagée et je suis heureuse que cette affaire donne de la visibilité aux petites mains du Médoc ! » lance-t-elle de sa petite voix fluette, encore incrédule. Son avocate, M e Hermine Baron, se réjouit aussi de cette victoire, révélée par Sud-Ouest : « Nous n’avons pas encore reçu le jugement mais cette procédure pour faute inexcusable confirme bien l’origine professionnelle de la maladie. Cela signifie que le tribunal a retenu l’exposition à la source qui a provoqué cette pathologie et qu’il s’agit bien de la violation des règles de sécurité par l’employeur. »
Sylvie n’oubliera jamais le jour précis et l’heure où elle a été intoxiquée. Un matin chaud de juin, quelques éclaboussures sur sa peau vont changer le cours de sa vie. La semaine du 8 juin 2012, un premier nettoyage chimique a lieu sur la propriété, suivi d’un fongicide avec engrais foliaire. À la fin de la semaine, Sylvie et sa collègue interviennent dans les vignes pour relever les fils, une opération qui consiste à mettre les rameaux à la verticale. Avec la rosée du matin, elles sont éclaboussées par les produits. Sur le coup, Sylvie s’essuie le visage et continue. Vers 10 heures du matin, elle se sent mal, les yeux piquent, le visage brûle, la bouche douloureuse. Les symptômes s’intensifient. « J’ai compris que j’avais été intoxiquée par les produits. » Le jeudi suivant, elle et sa collègue, les deux seules femmes ouvrières salariées du Château, interviennent à nouveau dans la parcelle pour nettoyer les pieds de vigne. Intoxiquées encore. Son médecin généraliste lui prescrit de nombreux médicaments pour calmer les douleurs mais ne veut pas entendre parler de pesticides. Il va jusqu’à lui proposer des antidépresseurs, qu’elle ne prendra jamais. « Tous les mois, j’avais les mêmes brûlures. Je suis allée voir des gastro-entérologues. Personne ne voulait m’écouter. J’étais très fatiguée. J’ai commencé à ne plus supporter la lumière, le bruit. Je ne mangeais plus. » Elle envoie un mail au médecin du travail, comme une bouteille à la mer. « Je lui ai dit que je n’en pouvais plus, que j’allais mourir dans la vigne… » En 2014, deux ans après son intoxication, elle rejoint le collectif Info Médoc Pesticides, créé par la militante Marie-Lys Bibeyran.
Elle continue à travailler, entre deux étourdissements, traînant des pieds pour marcher, recroquevillée comme une petite mamie. Un mois plus tard, elle obtient un rendez-vous. Le médecin la déclare en inaptitude le jour même. Assez rapidement, elle est orientée vers un spécialiste à Bordeaux qui, en deux prises de sang, détecte une anémie de Biermer. « Il m’a comparée à un pissenlit. Il m’a dit : “L’épamprage chimique est en train de vous détruire”. » Les mois passent sans nette amélioration. Au bout de ses forces, elle reprend rendez-vous avec son spécialiste, qui soupçonne une deuxième affection. « Il m’a dit cette fois : “J’ai peur que vous ne soyez atteinte de la maladie du viticulteur”. »
Quatre ans après son intoxication, le verdict tombe : en avril 2016, un scanner confirme la maladie de Parkinson. À la sortie de l’hôpital, en attendant le tram à Bordeaux, Sylvie et son mari se décident à contacter le cabinet Teissonnière-Lafforgue, connu pour ses combats en faveur des victimes des pesticides. Quelques mois plus tard, Sylvie est arrêtée par son médecin traitant et sa maladie reconnue officiellement comme maladie professionnelle. Depuis le 7 mai 2012, un décret admet la maladie de Parkinson parmi les maladies professionnelles et établit explicitement un lien de causalité entre cette pathologie – seconde maladie neurodégénérative en France après Alzheimer – et l’usage des pesticides. Hélas, peu nombreux sont ceux qui parviennent à cette reconnaissance. Les châteaux rechignent à fournir à leurs salariés la liste des produits phytosanitaires qu’ils utilisent. Or, sans cette liste, il est presque impossible de faire reconnaître toute pathologie… La militante Marie-Lys Bibeyran se bat sur ce terrain : « Il est en effet trop souvent omis que tout patron a une obligation de sécurité de résultat quant à la sécurité et la santé de ses travailleurs. Ce sont les manquements à cette obligation qui sont aujourd’hui condamnés par le tribunal. »
Armé d’experts et d’avocats, Pierre-Jean Larraqué, puissant propriétaire et négociant, ne s’interdit pas de faire appel. En 2017, Larraqué Vins International réalise un chiffre d’affaires global de 43,1 millions d’euros, concentrant les activités de trois propriétés : Château le Virou, Château Vernous et Château Barre Gentillot. Pour Marie-Lys Bibyeran, « la démarche entreprise par Sylvie Berger reste marginale du fait de fortes pressions subies par les travailleurs, d’un chantage à l’emploi, de l’image de toute-puissance et d’impunité de la viticulture ». De son côté, Sylvie Berger reste sceptique sur les changements dans les pratiques sociales et environnementales des châteaux du Bordelais. Mais elle espère que son combat donnera espoir à de nombreux travailleurs malades de la vigne qui n’osent pas attaquer leur employeur.
Par Ixchel Delaporte (publié le 01/04/2019)
A lire sur le site Anti-K
C’est une décision historique dans le Bordelais, vitrine mondiale du vin et de l’œnotourisme de luxe. Château Vernous, cru bourgeois du Médoc et propriété du groupe Larraqué, a été condamné mercredi dernier par le tribunal de grande instance de Bordeaux. A été retenue la « faute inexcusable » sur la personne de Sylvie Berger, 47 ans, ouvrière de la vigne atteinte de la maladie de Parkinson. « Je n’arrive pas encore à réaliser. Je ne l’attendais plus. Je me sens soulagée et je suis heureuse que cette affaire donne de la visibilité aux petites mains du Médoc ! » lance-t-elle de sa petite voix fluette, encore incrédule. Son avocate, M e Hermine Baron, se réjouit aussi de cette victoire, révélée par Sud-Ouest : « Nous n’avons pas encore reçu le jugement mais cette procédure pour faute inexcusable confirme bien l’origine professionnelle de la maladie. Cela signifie que le tribunal a retenu l’exposition à la source qui a provoqué cette pathologie et qu’il s’agit bien de la violation des règles de sécurité par l’employeur. »
Sylvie n’oubliera jamais le jour précis et l’heure où elle a été intoxiquée. Un matin chaud de juin, quelques éclaboussures sur sa peau vont changer le cours de sa vie. La semaine du 8 juin 2012, un premier nettoyage chimique a lieu sur la propriété, suivi d’un fongicide avec engrais foliaire. À la fin de la semaine, Sylvie et sa collègue interviennent dans les vignes pour relever les fils, une opération qui consiste à mettre les rameaux à la verticale. Avec la rosée du matin, elles sont éclaboussées par les produits. Sur le coup, Sylvie s’essuie le visage et continue. Vers 10 heures du matin, elle se sent mal, les yeux piquent, le visage brûle, la bouche douloureuse. Les symptômes s’intensifient. « J’ai compris que j’avais été intoxiquée par les produits. » Le jeudi suivant, elle et sa collègue, les deux seules femmes ouvrières salariées du Château, interviennent à nouveau dans la parcelle pour nettoyer les pieds de vigne. Intoxiquées encore. Son médecin généraliste lui prescrit de nombreux médicaments pour calmer les douleurs mais ne veut pas entendre parler de pesticides. Il va jusqu’à lui proposer des antidépresseurs, qu’elle ne prendra jamais. « Tous les mois, j’avais les mêmes brûlures. Je suis allée voir des gastro-entérologues. Personne ne voulait m’écouter. J’étais très fatiguée. J’ai commencé à ne plus supporter la lumière, le bruit. Je ne mangeais plus. » Elle envoie un mail au médecin du travail, comme une bouteille à la mer. « Je lui ai dit que je n’en pouvais plus, que j’allais mourir dans la vigne… » En 2014, deux ans après son intoxication, elle rejoint le collectif Info Médoc Pesticides, créé par la militante Marie-Lys Bibeyran.
Elle continue à travailler, entre deux étourdissements, traînant des pieds pour marcher, recroquevillée comme une petite mamie. Un mois plus tard, elle obtient un rendez-vous. Le médecin la déclare en inaptitude le jour même. Assez rapidement, elle est orientée vers un spécialiste à Bordeaux qui, en deux prises de sang, détecte une anémie de Biermer. « Il m’a comparée à un pissenlit. Il m’a dit : “L’épamprage chimique est en train de vous détruire”. » Les mois passent sans nette amélioration. Au bout de ses forces, elle reprend rendez-vous avec son spécialiste, qui soupçonne une deuxième affection. « Il m’a dit cette fois : “J’ai peur que vous ne soyez atteinte de la maladie du viticulteur”. »
Quatre ans après son intoxication, le verdict tombe : en avril 2016, un scanner confirme la maladie de Parkinson. À la sortie de l’hôpital, en attendant le tram à Bordeaux, Sylvie et son mari se décident à contacter le cabinet Teissonnière-Lafforgue, connu pour ses combats en faveur des victimes des pesticides. Quelques mois plus tard, Sylvie est arrêtée par son médecin traitant et sa maladie reconnue officiellement comme maladie professionnelle. Depuis le 7 mai 2012, un décret admet la maladie de Parkinson parmi les maladies professionnelles et établit explicitement un lien de causalité entre cette pathologie – seconde maladie neurodégénérative en France après Alzheimer – et l’usage des pesticides. Hélas, peu nombreux sont ceux qui parviennent à cette reconnaissance. Les châteaux rechignent à fournir à leurs salariés la liste des produits phytosanitaires qu’ils utilisent. Or, sans cette liste, il est presque impossible de faire reconnaître toute pathologie… La militante Marie-Lys Bibeyran se bat sur ce terrain : « Il est en effet trop souvent omis que tout patron a une obligation de sécurité de résultat quant à la sécurité et la santé de ses travailleurs. Ce sont les manquements à cette obligation qui sont aujourd’hui condamnés par le tribunal. »
Armé d’experts et d’avocats, Pierre-Jean Larraqué, puissant propriétaire et négociant, ne s’interdit pas de faire appel. En 2017, Larraqué Vins International réalise un chiffre d’affaires global de 43,1 millions d’euros, concentrant les activités de trois propriétés : Château le Virou, Château Vernous et Château Barre Gentillot. Pour Marie-Lys Bibyeran, « la démarche entreprise par Sylvie Berger reste marginale du fait de fortes pressions subies par les travailleurs, d’un chantage à l’emploi, de l’image de toute-puissance et d’impunité de la viticulture ». De son côté, Sylvie Berger reste sceptique sur les changements dans les pratiques sociales et environnementales des châteaux du Bordelais. Mais elle espère que son combat donnera espoir à de nombreux travailleurs malades de la vigne qui n’osent pas attaquer leur employeur.
Par Ixchel Delaporte (publié le 01/04/2019)
A lire sur le site Anti-K