03 Oct 2017
À Marseille, la découverte d’une carrière datant des origines de la cité (Ve siècle av. J.-C.) a mis à l’arrêt un projet immobilier. Mais la Mairie voudrait continuer la construction. Militants et habitants s’y opposent. Vinci a annoncé le 25 septembre suspendre les travaux.
Actualisation - Lundi 25 septembre 2017 - Depuis déjà une semaine les défenseurs de la carrière grecque du Ve siècle avant J.-C., découverte à Marseille, occupent l’entrée du site pour empêcher le démarrage des travaux qui détruiraient les vestiges. Ce lundi 25 septembre, Vinci, le promoteur du projet, a annoncé au quotidien La Provence vouloir suspendre les travaux, «jusqu’à nouvel ordre et en accord avec les autorités publiques». Un premier sursis obtenu par la mobilisation.
Actualisation - Vendredi 22 septembre 2017 - De passage à Marseille, jeudi 21 septembre, pour visiter les futures installations olympiques (la cité phocéenne accueillera les épreuves de voile des JO 2024), le président de la République, Emmanuel Macron, a été interpellé par des militants favorables au classement des vestiges de la carrière grecque du Ve siècle avant J.-C. de la Corderie (7e arrondissement). « La ministre de la culture viendra » visiter le site « dans les prochaines semaines », assure le président. « Le problème, c’est qu’il y a des pelles mécaniques qui peuvent venir à tout moment et tout casser », répond Louis Alesandrini, tout en filmant la discussion sur Périscope. « La partie conservée est préservée, le reste, ça coûte trop cher ou à l’État ou à la Ville. Et ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils ne veulent pas de logements ! » s’agace le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, avant de tirer Emmanuel Macron par le bras pour la suite de la visite olympique. À sa sortie de la mairie, le président est une nouvelle fois abordé par les militants. « Je vous ai répondu, le maire vous a répondu, je vais m’en occuper ! » assure-t-il.
Depuis le début de la semaine, les militants se relaient par dizaines pour s’opposer physiquement au démarrage des travaux de la résidence de standing voulu sur le site par Vinci et la mairie de Marseille.
Article publié le 6 septembre 2017 :
Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance
«Ici. Vers l’an 600 av. J.-C., des marins grecs ont abordé […]. Ils fondèrent Marseille [...]» Cette évocation s’affiche sur une plaque au milieu du quai le plus fréquenté du Vieux-Port. Venus de Phocée, sur la côte ouest de l’actuelle Turquie, les Grecs furent à l’origine de la première cité de Méditerranée occidentale : Massalia, enracinée au nord de la calanque du Lacydon, aujourd’hui Vieux-Port, sur l’emplacement de l’actuel quartier du Panier (2e arrondissement). Un passé très ancien, source de fierté. Mais, les seules traces visibles du public sont les vestiges du port antique, découverts à la fin des années 1960.
Une autre découverte archéologique agite les débats. En octobre 2016, sur le chantier d’un projet de résidence de standing porté par Vinci Immobilier boulevard de la Corderie (7e arrondissement), les fouilles menées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont mis au jour une carrière du Ve siècle av. J.-C.. Le site se trouve sur la «Rive neuve», au sud du Vieux-Port. «C’est la seule carrière aussi ancienne que l’on connaisse ici. Marseille, ce n’est pas n’importe quoi. C’est 2.600 ans d’histoire urbaine en continu», explique à Reporterre Jean-Paul Demoule, président de l’Inrap de 2002 à 2008. «La carrière a servi pour des sarcophages, des petites statues. L’étude de ce site permettra de retracer les méthodes d’extraction», détaille l’archéologue.
Depuis le début des années 2010, le Comité d’intérêt de quartier (CIQ) Saint-Victor-Corderie-Tellène, des riverains et le collectif Laisse béton, qui fédère une vingtaine d’associations à travers la ville pour la défense de «l’environnement et du patrimoine naturel, urbain et historique», s’opposent au projet de 109 logements sur huit étages, avec des commerces et trois niveaux de parking en sous-sol. Ils souhaitaient que l’utilisation première du lieu soit respectée et mieux aménagée comme espace de détente avec boulodrome et jeux pour enfants. Désormais, le square est réduit à peau de chagrin, engoncé entre le chantier et la rue. «On s’est battu pour que le terrain reste public et pour préserver l’un des derniers poumons verts de l’arrondissement», résume Sandrine Touyon, du Club amitié social et culturel du 7e arrondissement (CAS 7e). «Les promoteurs se moquent de l’environnement, des espaces et des services publics. La politique de Jean-Claude Gaudin [maire (LR) de Marseille], c’est de vendre à la découpe Marseille à la spéculation», s’insurge Jean-Marc Coppola, président du groupe Front de gauche au conseil municipal. La cité phocéenne compte à peine plus de 7 m² d’espaces verts par habitants alors que la moyenne nationale est à 48 m². Pourtant, la municipalité soutient des projets immobiliers prenant place sur des parcs publics, comme au square Michel-Levy (6e arrondissement) en janvier 2015.
Béton contre vieilles pierres
Depuis que les vestiges grecs sont sortis de terre, les opposants demandent leur classement en site historique. La mobilisation dépasse désormais le cadre marseillais. Cinq manifestations se sont succédées au cours de l’été. Jeudi 24 août, la plus importante d’entre elles a rassemblé 400 personnes, avec la présence remarquée du néo-député marseillais Jean-Luc Mélenchon (FI). Une pétition a recueilli plus de 12.000 signatures. Les opposants revendiquent le soutien de plus de 160 personnalités : politiques, journalistes, membres du monde de la culture, universitaires, acteurs associatifs ; on retrouve ainsi les eurodéputés (EELV) José Bové et Michèle Rivasi, les députés de Marseille (LREM) Claire Pitollat et Saïd Ahamada, Franz Olivier-Giesbert (directeur éditorial de La Provence), Ariane Ascaride (comédienne), Robert Guédiguian (cinéaste). Interpellée à plusieurs reprises à ce sujet, Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, s’est engagée à classer 635 des 4.200 m² fouillés. C’est insuffisant pour les opposants, qui réclament le classement et la valorisation de l’ensemble ainsi que la poursuite des fouilles. «On pourrait en faire un musée qui s’intégrerait parfaitement dans un circuit culturel avec le four des navettes, l’atelier des santons Carbonnel, l’abbaye Saint-Victor et Notre-Dame-de-la-Garde», argumente Sandrine Touyon.
La majorité municipale ne s’est plus exprimée publiquement dans ce débat depuis le 15 juin. «On trouve le tibia de Jules César partout!» moquait Jean-Claude Gaudin à l’occasion des 50 ans des fouilles de la Bourse, avant de faire œuvre de prudence, comme le rapporte Marsactu : «On me demande d’assurer le développement économique de notre ville et d’attirer beaucoup de nouveaux habitants, on ne peut faire cela qu’en construisant. Je suis très favorable aux constructions. Néanmoins, dès lors qu’apparaît un site archéologique, on bloque, et on regarde l’importance de ce site.»
L’édile connaît le précédent qui opposa son prédécesseur au ministre des Affaires culturelles en 1967. Sur le chantier du parking et du centre commercial de la bourse, tout un pan de l’histoire antique et médiévale de Marseille refaisait surface. Pas question pour le maire (SFIO) Gaston Defferre, dont Jean-Claude Gaudin était le benjamin élu de sa majorité, d’arrêter les travaux pour poursuivre les fouilles. Le ministre André Malraux s’opposa à l’homme fort de Marseille en signant un arrêté pour la suspension des travaux afin de permettre des fouilles qui durèrent 10 ans. Depuis le début des années 1980, le musée d’histoire de Marseille occupe le rez-de-chaussée du centre commercial et s’ouvre sur le port antique conservé dans le jardin des vestiges.
Controverse archéologique
Chez les archéologues, la controverse est vive concernant l’intérêt du site de la Corderie et l’étendue des mesures conservatoires. «C’est un site remarquable, mais pas exceptionnel», juge Dominique Garcia, actuel président de l’Inrap. «La carrière a une unité, on ne peut pas la découper en morceaux», répond Michel Bats, directeur de recherche honoraire au CNRS, qui a conduit les fouilles de la colonie massaliote d’Olbia de Provence, à Hyères (Var).
«La découverte est spectaculaire, rarissime. On ne connaît pas ça dans le monde grec, une carrière à la fondation d’une ville. Il faut étendre les fouilles. Les archéologues peuvent faire une découverte majeure», pense Alain Nicolas, conservateur en chef des Musées de France et fondateur du Musée d’histoire de Marseille. Les deux hommes sont membres d’un comité scientifique sollicité par le CIQ Saint-Victor-Corderie-Tellène. «C’est intéressant de conserver l’archéologie du quotidien et des petits métiers et pas seulement des sites majestueux», dit Mourad El Amouri, un archéologue croisé lors d’un rassemblement et qui a notamment dirigé des fouilles sous-marines du phare d’Alexandrie. Jean-Paul Demoule, l’ancien président de l’Inrap, se dit lui «convaincu que le classement des 635 m² suffit. Tout ne mérite pas d’être conservé et le ministère réfléchit à une reconstitution 3D». Le calcaire est fragile, il faut le protéger des intempéries et de la pollution et Jean-Paul Demoule craint que le site ne se détériore en l’absence de moyens pour le protéger. Le scientifique donne la priorité à «une mise en valeur nécessaire» du jardin des vestiges du port antique qui manque d’entretien et dont l’accès sur la rue est fermé.
Ces considérations posent la question de l’insuffisance d’une municipalité qui, malgré un patrimoine millénaire, ne dispose même pas d’une direction de l’Archéologie. A contrario de sa voisine Aix-en-Provence, qui réfléchit par ailleurs à valoriser dans l’espace public les vestiges du palais des comtes de Provence (XIIe siècle), qui viennent tout juste d’être fouillés. «À Marseille, des sites majeurs ont été détruits», déplore Jean-Paul Demoule, comme la nécropole paléochrétienne de la rue Malaval (2e arrondissement) ou le site néolithique de Saint-Charles (1er arrondissement). Beaucoup d’archéologues interrogés redoutent qu’à la prochaine découverte majeure, les pouvoirs publics refusent d’investir les moyens nécessaires à sa préservation, justifiant d’un effort déjà engagé pour la Corderie.
Jeudi 31 août, une réunion entre les différentes parties s’est tenue en préfecture. Une nouvelle fois, la ministre était appelée à se prononcer sur le fond du dossier après la réception du compte rendu de cette réunion de la part du préfet. Dans l’attente, Vinci s’était engagé à ne débuter aucun des travaux. Contactée par Reporterre, la ville de Marseille n’a pas souhaité faire de commentaire. La réponse de Françoise Nyssen n’a pas tardé. Ce lundi 4 septembre, elle confirme par communiqué sa décision prise en juillet de classement des 635 m² «identifiés comme présentant un intérêt archéologique» tout en appelant à «une meilleure mise en valeur du site archéologique» et à la mise en place de «visites à destination des élèves des écoles, des étudiants, et du public». Les opposants promettent d’autres manifestations et blocages de chantier. Le bras de fer commence.
Par Pierre Isnard-Dupuy
Lire sur le site Reporterre (26/09/2017)
Actualisation - Lundi 25 septembre 2017 - Depuis déjà une semaine les défenseurs de la carrière grecque du Ve siècle avant J.-C., découverte à Marseille, occupent l’entrée du site pour empêcher le démarrage des travaux qui détruiraient les vestiges. Ce lundi 25 septembre, Vinci, le promoteur du projet, a annoncé au quotidien La Provence vouloir suspendre les travaux, «jusqu’à nouvel ordre et en accord avec les autorités publiques». Un premier sursis obtenu par la mobilisation.
Actualisation - Vendredi 22 septembre 2017 - De passage à Marseille, jeudi 21 septembre, pour visiter les futures installations olympiques (la cité phocéenne accueillera les épreuves de voile des JO 2024), le président de la République, Emmanuel Macron, a été interpellé par des militants favorables au classement des vestiges de la carrière grecque du Ve siècle avant J.-C. de la Corderie (7e arrondissement). « La ministre de la culture viendra » visiter le site « dans les prochaines semaines », assure le président. « Le problème, c’est qu’il y a des pelles mécaniques qui peuvent venir à tout moment et tout casser », répond Louis Alesandrini, tout en filmant la discussion sur Périscope. « La partie conservée est préservée, le reste, ça coûte trop cher ou à l’État ou à la Ville. Et ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils ne veulent pas de logements ! » s’agace le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, avant de tirer Emmanuel Macron par le bras pour la suite de la visite olympique. À sa sortie de la mairie, le président est une nouvelle fois abordé par les militants. « Je vous ai répondu, le maire vous a répondu, je vais m’en occuper ! » assure-t-il.
Depuis le début de la semaine, les militants se relaient par dizaines pour s’opposer physiquement au démarrage des travaux de la résidence de standing voulu sur le site par Vinci et la mairie de Marseille.
Article publié le 6 septembre 2017 :
Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance
«Ici. Vers l’an 600 av. J.-C., des marins grecs ont abordé […]. Ils fondèrent Marseille [...]» Cette évocation s’affiche sur une plaque au milieu du quai le plus fréquenté du Vieux-Port. Venus de Phocée, sur la côte ouest de l’actuelle Turquie, les Grecs furent à l’origine de la première cité de Méditerranée occidentale : Massalia, enracinée au nord de la calanque du Lacydon, aujourd’hui Vieux-Port, sur l’emplacement de l’actuel quartier du Panier (2e arrondissement). Un passé très ancien, source de fierté. Mais, les seules traces visibles du public sont les vestiges du port antique, découverts à la fin des années 1960.
Une autre découverte archéologique agite les débats. En octobre 2016, sur le chantier d’un projet de résidence de standing porté par Vinci Immobilier boulevard de la Corderie (7e arrondissement), les fouilles menées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont mis au jour une carrière du Ve siècle av. J.-C.. Le site se trouve sur la «Rive neuve», au sud du Vieux-Port. «C’est la seule carrière aussi ancienne que l’on connaisse ici. Marseille, ce n’est pas n’importe quoi. C’est 2.600 ans d’histoire urbaine en continu», explique à Reporterre Jean-Paul Demoule, président de l’Inrap de 2002 à 2008. «La carrière a servi pour des sarcophages, des petites statues. L’étude de ce site permettra de retracer les méthodes d’extraction», détaille l’archéologue.
Depuis le début des années 2010, le Comité d’intérêt de quartier (CIQ) Saint-Victor-Corderie-Tellène, des riverains et le collectif Laisse béton, qui fédère une vingtaine d’associations à travers la ville pour la défense de «l’environnement et du patrimoine naturel, urbain et historique», s’opposent au projet de 109 logements sur huit étages, avec des commerces et trois niveaux de parking en sous-sol. Ils souhaitaient que l’utilisation première du lieu soit respectée et mieux aménagée comme espace de détente avec boulodrome et jeux pour enfants. Désormais, le square est réduit à peau de chagrin, engoncé entre le chantier et la rue. «On s’est battu pour que le terrain reste public et pour préserver l’un des derniers poumons verts de l’arrondissement», résume Sandrine Touyon, du Club amitié social et culturel du 7e arrondissement (CAS 7e). «Les promoteurs se moquent de l’environnement, des espaces et des services publics. La politique de Jean-Claude Gaudin [maire (LR) de Marseille], c’est de vendre à la découpe Marseille à la spéculation», s’insurge Jean-Marc Coppola, président du groupe Front de gauche au conseil municipal. La cité phocéenne compte à peine plus de 7 m² d’espaces verts par habitants alors que la moyenne nationale est à 48 m². Pourtant, la municipalité soutient des projets immobiliers prenant place sur des parcs publics, comme au square Michel-Levy (6e arrondissement) en janvier 2015.
Béton contre vieilles pierres
Depuis que les vestiges grecs sont sortis de terre, les opposants demandent leur classement en site historique. La mobilisation dépasse désormais le cadre marseillais. Cinq manifestations se sont succédées au cours de l’été. Jeudi 24 août, la plus importante d’entre elles a rassemblé 400 personnes, avec la présence remarquée du néo-député marseillais Jean-Luc Mélenchon (FI). Une pétition a recueilli plus de 12.000 signatures. Les opposants revendiquent le soutien de plus de 160 personnalités : politiques, journalistes, membres du monde de la culture, universitaires, acteurs associatifs ; on retrouve ainsi les eurodéputés (EELV) José Bové et Michèle Rivasi, les députés de Marseille (LREM) Claire Pitollat et Saïd Ahamada, Franz Olivier-Giesbert (directeur éditorial de La Provence), Ariane Ascaride (comédienne), Robert Guédiguian (cinéaste). Interpellée à plusieurs reprises à ce sujet, Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, s’est engagée à classer 635 des 4.200 m² fouillés. C’est insuffisant pour les opposants, qui réclament le classement et la valorisation de l’ensemble ainsi que la poursuite des fouilles. «On pourrait en faire un musée qui s’intégrerait parfaitement dans un circuit culturel avec le four des navettes, l’atelier des santons Carbonnel, l’abbaye Saint-Victor et Notre-Dame-de-la-Garde», argumente Sandrine Touyon.
La majorité municipale ne s’est plus exprimée publiquement dans ce débat depuis le 15 juin. «On trouve le tibia de Jules César partout!» moquait Jean-Claude Gaudin à l’occasion des 50 ans des fouilles de la Bourse, avant de faire œuvre de prudence, comme le rapporte Marsactu : «On me demande d’assurer le développement économique de notre ville et d’attirer beaucoup de nouveaux habitants, on ne peut faire cela qu’en construisant. Je suis très favorable aux constructions. Néanmoins, dès lors qu’apparaît un site archéologique, on bloque, et on regarde l’importance de ce site.»
L’édile connaît le précédent qui opposa son prédécesseur au ministre des Affaires culturelles en 1967. Sur le chantier du parking et du centre commercial de la bourse, tout un pan de l’histoire antique et médiévale de Marseille refaisait surface. Pas question pour le maire (SFIO) Gaston Defferre, dont Jean-Claude Gaudin était le benjamin élu de sa majorité, d’arrêter les travaux pour poursuivre les fouilles. Le ministre André Malraux s’opposa à l’homme fort de Marseille en signant un arrêté pour la suspension des travaux afin de permettre des fouilles qui durèrent 10 ans. Depuis le début des années 1980, le musée d’histoire de Marseille occupe le rez-de-chaussée du centre commercial et s’ouvre sur le port antique conservé dans le jardin des vestiges.
Controverse archéologique
Chez les archéologues, la controverse est vive concernant l’intérêt du site de la Corderie et l’étendue des mesures conservatoires. «C’est un site remarquable, mais pas exceptionnel», juge Dominique Garcia, actuel président de l’Inrap. «La carrière a une unité, on ne peut pas la découper en morceaux», répond Michel Bats, directeur de recherche honoraire au CNRS, qui a conduit les fouilles de la colonie massaliote d’Olbia de Provence, à Hyères (Var).
«La découverte est spectaculaire, rarissime. On ne connaît pas ça dans le monde grec, une carrière à la fondation d’une ville. Il faut étendre les fouilles. Les archéologues peuvent faire une découverte majeure», pense Alain Nicolas, conservateur en chef des Musées de France et fondateur du Musée d’histoire de Marseille. Les deux hommes sont membres d’un comité scientifique sollicité par le CIQ Saint-Victor-Corderie-Tellène. «C’est intéressant de conserver l’archéologie du quotidien et des petits métiers et pas seulement des sites majestueux», dit Mourad El Amouri, un archéologue croisé lors d’un rassemblement et qui a notamment dirigé des fouilles sous-marines du phare d’Alexandrie. Jean-Paul Demoule, l’ancien président de l’Inrap, se dit lui «convaincu que le classement des 635 m² suffit. Tout ne mérite pas d’être conservé et le ministère réfléchit à une reconstitution 3D». Le calcaire est fragile, il faut le protéger des intempéries et de la pollution et Jean-Paul Demoule craint que le site ne se détériore en l’absence de moyens pour le protéger. Le scientifique donne la priorité à «une mise en valeur nécessaire» du jardin des vestiges du port antique qui manque d’entretien et dont l’accès sur la rue est fermé.
Ces considérations posent la question de l’insuffisance d’une municipalité qui, malgré un patrimoine millénaire, ne dispose même pas d’une direction de l’Archéologie. A contrario de sa voisine Aix-en-Provence, qui réfléchit par ailleurs à valoriser dans l’espace public les vestiges du palais des comtes de Provence (XIIe siècle), qui viennent tout juste d’être fouillés. «À Marseille, des sites majeurs ont été détruits», déplore Jean-Paul Demoule, comme la nécropole paléochrétienne de la rue Malaval (2e arrondissement) ou le site néolithique de Saint-Charles (1er arrondissement). Beaucoup d’archéologues interrogés redoutent qu’à la prochaine découverte majeure, les pouvoirs publics refusent d’investir les moyens nécessaires à sa préservation, justifiant d’un effort déjà engagé pour la Corderie.
Jeudi 31 août, une réunion entre les différentes parties s’est tenue en préfecture. Une nouvelle fois, la ministre était appelée à se prononcer sur le fond du dossier après la réception du compte rendu de cette réunion de la part du préfet. Dans l’attente, Vinci s’était engagé à ne débuter aucun des travaux. Contactée par Reporterre, la ville de Marseille n’a pas souhaité faire de commentaire. La réponse de Françoise Nyssen n’a pas tardé. Ce lundi 4 septembre, elle confirme par communiqué sa décision prise en juillet de classement des 635 m² «identifiés comme présentant un intérêt archéologique» tout en appelant à «une meilleure mise en valeur du site archéologique» et à la mise en place de «visites à destination des élèves des écoles, des étudiants, et du public». Les opposants promettent d’autres manifestations et blocages de chantier. Le bras de fer commence.
Par Pierre Isnard-Dupuy
Lire sur le site Reporterre (26/09/2017)