Des survivants « échoués » de Lampedusa créent une Startup sociale
«Il y avait 350 personnes sur mon bateau. Je pense encore beaucoup à ceux qui ont disparu dans l’eau pendant le trajet.» Mêlant leur histoire personnelle à leur projet d’intégration professionnelle, cinq sans-papiers africains lancent une entreprise de fabrication de meubles en bois, en partie fabriqués avec des épaves échouées sur l‘île de Lampedusa. Un projet plein de solidarité et d’espoir, une belle leçon de vie !

Malik Agachi, Moussa Usuman, Saidou Moussa, Maiga Chamseddine et Ali Maiga Nouhou vivent à Berlin et forment un groupe soudé qu’ils ont surnommé ‘Cucula’ (qui signifie « prendre soin les uns des autres » en haoussa, une langue d’Afrique de l’Ouest). Pour échapper à la guerre, à la misère, ils ont fui le Mali et le Niger. Leurs témoignages sont effarants :
«J’ai vu beaucoup de choses terribles en traversant le Sahara : j’ai vu des gens mourir, je les ai vus mourir de mes propres yeux» ; «C‘était surtout très dangereux, parce qu’il y avait la guerre chez nous au Mali. C’est pour cela que l’on a quitté notre pays : il n’y avait rien, pas d’avenir»;«Plus tard, en Libye, les militaires de Kadhafi nous ont forcés à embarquer sur des bateaux surchargés. On était 300 sur un tout petit bateau. Les hommes armés de Kadhafi nous ont envoyés vers une destination inconnue.»

En 2011, ils débarquent finalement sur l‘île italienne de Lampedusa avant de rejoindre Berlin. Notons que l’Allemagne est l’état européen ayant reçu le plus grand nombre de nouvelles demandes d’asile en 2013 (dont un cinquième de demandeurs syriens). Une fois sur place, il n’est question ni de titre de séjour, ni de permis de travail. Ils vont alors passer près de 2 ans dans la rue en quête d’un avenir meilleur. En fait, l’asile est accordé aux seules personnes qui fuient des persécutions ou des atteintes graves et qui restent dans leur pays d’arrivée durant toute la procédure. Les membres du collectif Cucula, ayant quitté l’Italie pour l’Allemagne afin de fuir la misère, n’ont donc, officiellement, ni le droit de résider, ni de travailler. Les autorités allemandes peuvent, à tout moment, leur demander de quitter le territoire. Le gouvernement allemand planche toutefois sur la refonte de sa politique migratoire…

Ils ont finalement eu la chance de rencontrer des soutiens inattendus ! Sebastian Däschle, un architecte berlinois séduit par leur projet, a réfléchi durant plusieurs semaines à la meilleure façon de les aider à concevoir les premiers meubles. Le designer italien, Enzo Mari, leur a permis de reprendre, à leur compte, certaines de ses créations. Enfin, une campagne de crowdfunding, lancée peu avant Noël en vue de récolter 70.000 euros pour leurs bourses de formation, a permis de récolter plus de 123.000 euros. Le projet Cucula fonctionne à présent pour de bon et le collectif est soutenu et hébergé dans un centre culturel. Une partie du bois utilisé pour le projet Cucula provient donc des épaves de Lampedusa qui témoignent d’un drame humain majeur puisque, chaque année, des milliers de migrants perdent la vie en Méditerranée. Ce bois de récupération deviendra le dossier, l’accoudoir ou le pied de l’une des chaises fabriquées par le collectif.

Soutenu par des organisations de défense des droits de l’Homme, le projet Cucula milite aussi en faveur de la formation des migrants qu’ils soient ou non en situation régulière. En collaboration avec des politiciens, artistes et collaborateurs, CUCULA s’engage sur des solutions pratiques pour aider les réfugiés à échapper à l’isolement social et à la stigmatisation. D’ailleurs, jusqu’ici, les cinq amis se parlaient dans un mélange de français, d’italien et de haoussa. Aujourd’hui, ils essaient de communiquer en allemand afin de renforcer leur intégration.

Un magnifique exemple de solidarité et de créativité multiculturelle qui permet, aux uns et aux autres, de construire une société plus humaine.

Lire sur Mr Mondialisation (17/01/2015)