John Goss, le pilote qui fait trembler Ryanair
L’Irlandais veut que ses collègues soient respectés. Il dénonce certaines pratiques.

A visage découvert. Le commandant de bord John Goss, 59 ans, enlève sa visière, là où beaucoup de ses collègues ont préféré garder l’anonymat pour dénoncer les conditions de travail chez Ryanair, la compagnie aérienne à bas prix L’Irlandais, "le plus ancien pilote en activité chez Ryanair" est aussi l’un des seuls à avoir gagné un procès contre la compagnie low cost irlandaise. C’était en 2004. "A l’époque, la direction de Ryanair m’a accusé d’avoir intentionnellement découragé des pilotes basés à Londres de venir à Dublin. Sans aucune preuve, on m’a suspendu" , explique-t-il. La Justice irlandaise donnera finalement raison, à la suite d’une longue saga et de plusieurs procès, au pilote qui sera réintégré en mai 2005, tout en perdant sa fonction d’instructeur. Ce qui ne l’empêchera pas de poursuivre son combat au sein de la compagnie. "J’ai essayé, à plusieurs reprises mais sans succès, de faire élire des représentants défendant la cause des pilotes."

Pour ses actions, John Goss, un ancien de l’armée irlandaise, vient d’être récompensé par ses pairs. "Nous espérons que ce prix va renforcer les pilotes de Ryanair dans leur détermination à lutter pour des conditions de travail décentes et qu’elle va les inciter à rester unis dans leur combat" , explique Nico Voorbach, président de l’Association européenne des pilotes (ECA).

Cette récompense vient à un moment où les langues commencent à se délier au sein de la compagnie. En plus de la polémique sur les réservoirs trop peu remplis et les atterrissages d’urgence en Espagne, deux ex-employées de Ryanair viennent d’annoncer "vouloir traîner" la compagnie devant la Justice norvégienne. Elles décrivent leurs conditions de travail "proches de l’esclavage" . Le premier ministre norvégien, Jens Stoltenberg, a d’ailleurs déclaré qu’il ne volerait jamais avec Ryanair.

Commandant Goss, pouvez-vous nous expliquer comment se passe la vie d’un pilote Ryanair ?

J’ai commencé en 1986 chez Ryanair. Les premières années étaient vraiment exaltantes : le staff travaillait de manière conjointe avec la direction. On a été un véritable catalyseur car jusqu’alors la majorité des Irlandais ne pouvaient même pas envisager de s’acheter un ticket d’avion. La compagnie a eu des effet positifs d’un point de vue social et économique pour le peuple irlandais. On a aussi changé la donne au niveau d’une certaine exclusivité qui régnait dans l’aviation.

Pourtant vous avez dénoncé des mauvaises relations entre employés et direction.

En fait, cela a commencé à dégénérer à partir de 2001. Ryanair n’a plus voulu négocier avec les représentants de l’association irlandaise des pilotes, mais avec des comités choisis sur chaque base. Or la plupart de ses nouveaux "représentants" ne sont pas élus. D’après les statuts de Ryanair, les employés ont le droit de former un syndicat, mais la compagnie explique aussi qu’elle ne discutera pas avec ce syndicat. L’organisation internationale du travail a d’ailleurs demandé qu’une enquête soit menée et que Ryanair garantisse les principes de liberté d’association. On est dans une toute autre logique que dans d’autres compagnies low cost, comme l’Américaine South West (NdlR : considéréé comme la pionnière du modèle low-cost), où il y a une vraie coopération entre direction et employés.

Les pilotes de Ryanair sont-ils mis davantage sous pression que d’autres ?

Il faut savoir que la plupart des pilotes sont engagés via des agences et paient leurs impôts et leurs cotisations sociales en Irlande. Dans plusieurs pays européens, cela engendre des tensions, les Etats estimant qu’ils doivent récupérer l’argent perdu. Ce ne sont pas des situations faciles et cela met énormément de pression sur les pilotes et leurs familles. En Norvège, il semble que les pilotes vont devoir dorénavant payer leurs impôts sur place, mais sans recevoir le salaire équivalant norvégien. Les autorités allemandes ont, elles, réalisé des descentes chez les pilotes de Ryanair pour fouiller leurs ordinateurs et trouver des informations sur leur contrat de travail.

D’autres facteurs internes accentuent cette pression ?

Oui, les pilotes sont payés pour chaque heure volée et pas durant le temps où l’avion reste au sol entre deux vols. Ils n’ont aucun contrôle sur le nombre d’heures qu’ils volent ou sur l’endroit où ils sont affectés. Beaucoup de ces pilotes résident dans des auberges de jeunesse ou des petits hôtels durant leurs déplacements. Toutes les dépenses y sont à leur charge.

Pourquoi les pilotes ne dénoncent jamais ces problèmes à visage découvert ?

Ils ont certainement peur des répercussions si leur identité est reconnue. C’est préoccupant de savoir que les pilotes ont besoin de cacher leur visage, alors que la liberté individuelle (d’expression) est protégée par la loi dans notre moderne et démocratique Europe. Une des raisons qui explique aussi les difficultés des pilotes à s’organiser pour défendre leurs droits est la complexité des régles à travers l’Europe. Il faudrait des spécialistes à temps pleins pour protéger les intérêts des travailleurs. Les compagnies paient bien des managers pour se tenir au courant des changements de lois, pourquoi les syndicats ne le feraient pas ?

Des pilotes de Ryanair ont dénoncé, anonymement, le fait qu’ils volaient avec des réservoirs trop peu remplis. Est-ce vrai ? Avez-vous été confronté à ce type d’incident dans votre carrière ?

Je ne peux pas répondre à cette question. Pour les problèmes de sécurité je me référe uniquement aux autorités compétentes en la matière, en respectant les procédures de confidentialité.

Mais pouvez-vous confirmer le fait qu’une liste existe, classant les pilotes en fonction de leur consommation de kérosène ?

Oui, ceux qui sont placés en bas de la liste reçoivent une lettre qui est placée dans leur dossier personnel. On leur conseille de changer de procédure. La personne qui est en tête de classement (NdlR : et donc qui consomme le moins de kérosène) reçoit des éloges et est mis en valeur sur le site Web interne de la compagnie.

Lire l'article sur le site de La Libre (7/05/2013)