Un lanceur d’alerte refuse une récompense de huit millions de dollars
Un ancien salarié de la Deutsche Bank, qui avait révélé les manipulations comptables de son employeur, reproche aux autorités boursières américaines de ne pas avoir sanctionné les dirigeants de la banque.

“La Securities and Exchange Commission [SEC, l’organisme américain de contrôle des marchés financiers] vient de m’annoncer que j’allais recevoir la moitié d’une récompense de 16,5 millions de dollars pour lancement d’alerte. Mais je refuse de prendre ma part.” Ainsi commence la tribune de Eric Ben-Artzi publiée le 19 août par le Financial Times.

Eric Ben-Artzi, qui fut analyste du risque quantitatif à la Deutsche Bank, est l’un des trois anciens collaborateurs de la banque dont les révélations, en 2010 et 2011, ont permis d’établir qu’au plus fort de la crise financière, leur employeur avait dissimulé d’énormes pertes sur les marchés afin d’éviter de se voir imposer un plan de sauvetage.

Ce mathématicien avait auparavant alerté sa hiérarchie – et avait été licencié. “Ma carrière à Wall Street a été ruinée”, écrit Eric Ben-Artzi, qui supervise aujourd’hui l’analyse des risques chez BondIT, une plateforme de gestion de portefeuilles. L’affaire s’est conclue en mai 2015, lorsque la SEC a infligé une amende de 55 millions de dollars à la Deutsche Bank.

C’est la première fois qu’un lanceur d’alerte refuse de toucher sa prime depuis la mise en place, en 2011, de ce programme, qui permet de verser aux informateurs 10 à 30 % du montant de l’amende perçue, souligne par ailleurs le quotidien britannique. 

Les dirigeants de la banque auraient dû payer

Mais pourquoi Eric Ben-Artzi agit-il ainsi ? Pas par désintéressement. Il reconnaît même que la perspective d’être récompensé a été “une forte incitation” à contribuer à l’enquête. Mais il estime que ce n’est pas l’entreprise mais ses dirigeants que le gendarme de la Bourse aurait dû pénaliser.

Et si la SEC ne l’a pas fait, suggère l’ancien analyste, c’est parce que nombre de juristes ayant occupé des postes de haut niveau à la Deutsche Bank ont travaillé à la SEC “avant, pendant et après” la période au cours de laquelle la banque menait ces activités illégales – et donc, pendant l’enquête. 

"Plusieurs dirigeants sont partis en retraite avec des bonus de plusieurs millions de dollars basés sur la manipulation du bilan de la banque.”

Aujourd’hui, précise-t-il, “même si j’ai plus que jamais besoin de cet argent, je ne participerai pas au pillage de ceux-là mêmes que j’étais censé protéger”. Il souhaite donc que sa prime “revienne à la banque et à ses parties prenantes”, c’est-à-dire ses actionnaires et ses salariés, “qui sont les premières victimes”. Impliquée dans un nombre ahurissant de procédures judiciaires à travers le monde, la Deutsche Bank a en effet lancé un vaste plan de restructuration impliquant plusieurs milliers de licenciements.

Eric Ben-Artzi demande en outre qu’une somme équivalente soit prélevée sur les bonus versés aux dirigeants de la banque, notamment ceux qui ont travaillé pour la SEC. “Je serais alors heureux de percevoir toute récompense à laquelle je serais éligible”, conclut le lanceur d’alerte.

Lire sur le Courrier International (19/08/2016)