TAFTA: la négociation sur le point de capoter
Le traité de libre-échange transatlantique, connu sous le nom de TTIP ou Tafta, est-il déjà mort avant d’avoir vu le jour ? Alors que le treizième round de négociations entre Américains et Européens doit s’ouvrir lundi 25 avril, le scepticisme gagne du terrain à Bruxelles. A commencer par le camp français, qui envisagerait de mettre de son côté un terme aux discussions. « La France a fixé ses conditions, la France a dit que s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n’a pas accès aux marchés publics et si, en revanche, les Etats-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l’on fait ici, je ne l’accepterai pas », avait déjà expliqué François Hollande sur France 2 lors de l’émission « Dialogues citoyens », jeudi 14 avril. En coulisses, le chef de l’Etat est incité par Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, chargé du dossier, à prendre les devants sur la scène internationale. Le calcul politique est simple : Paris n’aurait rien à perdre à quitter des négociations qui ne lui sont pas favorables et tout à gagner sur le plan politique à dénoncer un accord de plus en plus impopulaire en Europe et en France.

Mais tirer sur le TTIP ne requiert plus un courage politique considérable. La contestation monte dans plusieurs pays à propos de cet accord qui prévoit d’abaisser les barrières douanières des deux côtés de l’Atlantique, mais aussi de parvenir à une forme de convergence des réglementations et des standards dans l’industrie et les services. Aux Pays-Bas, un référendum pourrait être engagé sur le sujet. Barack Obama doit se rendre à Hanovre, dimanche 24 avril, pour rencontrer Angela Merkel. « Vu la tonalité de la campagne aux Etats-Unis, il est clair que, quel que soit son successeur à la Maison Blanche, les accords commerciaux ne seront pas la priorité, ils vont revenir à du protectionnisme, estime Alain Lamassoure, le patron des eurodéputés LR au Parlement. Ma crainte c’est que la fenêtre soit quasiment déjà refermée. »

Aux Etats Unis, l’accord fait en effet polémique, une partie des démocrates (et des conservateurs populistes) dénonçant les risques de perte d’emploi. Jusqu’à fin 2015, la priorité de l’administration Obama était la conclusion d’un autre accord, le TPP (accord transpacifique, avec l’Asie). Et depuis début 2016, rien ne permet de penser que Washington a décidé de se consacrer enfin au TTIP. En février dernier, un des porte-parole du président américain, John Earnest, avait d’ailleurs mis les pieds dans le plat, confirmant presque l’évidence : l’accord a peu de chances d’être conclu en 2016.

Position de fermeté

La chancelière allemande pousse de son côté pour trouver une solution avant la fin du mandat du président américain. Angela Merkel, qui avait mis tout son poids politique dans la balance dès le début des négociations, en juillet 2013, joue gros, alors que l’opinion publique allemande est de plus en plus défavorable. Pour éviter un échec, elle serait prête à signer un accord symbolique, qui ne contiendrait rien, ni sur l’ouverture des marchés publics américains aux Européens, ni sur la reconnaissance des indications géographiques protégées. Une solution que veulent à tout prix éviter les Français, qui estiment que cela entérinerait la situation actuelle, favorable aux Américains. « L’accord n’a de sens que s’il y a une convergence réglementaire par le haut, s’il ne met pas en cause nos propres régulations, et s’il y a une réelle ouverture du marché américain qui fait actuellement du protectionnisme déguisé », estime le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Harlem Désir. La commissaire Cecilia Malmström, chargée des négociations, a, elle aussi, laissé très clairement entendre qu’elle ne voudrait pas d’un accord au rabais.

Depuis le début de l’année 2015, Matthias Fekl a adopté une position de fermeté sur le sujet. A l’époque, déjà, il s’exprimait contre les tribunaux d’arbitrage, censés régler les conflits entre les multinationales et les Etat dans le cadre des accords de libre-échange, mais critiqués par la gauche radicale et les Verts européens pour leur opacité. Comme nombre d’eurodéputés, il réclamait des aménagements, des juges plus indépendants, la création d’une cour internationale de justice, une idée également portée par la Luxembourgeoise et ex-commissaire européenne Viviane Reding. M. Fekl avait aussi, dès sa prise de poste, en septembre 2014, réclamé un accès libre aux documents de négociation du TTIP, comme beaucoup d’eurodéputés, toutes familles politiques confondues. La France a fait du manque de transparence l’un de ses principaux griefs. Une soixantaine de parlementaires de gauche ont d’ailleurs signé une tribune dans Le Monde pour critiquer l’opacité des pourparlers et pour affirmer qu’ils ne laisseraient pas l’Union européenne « réduire le Parlement français au silence ».

Cynisme

Un an plus tard, en septembre 2015, il mettait en garde : si les Américains ne prenaient pas davantage en compte les préoccupations françaises (respect des indications géographiques protégées, accès plus grand aux marchés publics outre-Atlantique), alors la France ne ratifierait pas le traité.

Dans l’entourage de François Hollande, les détracteurs du traité estiment que le chef de l’Etat, en dénonçant les négociations, pourrait envoyer un message fort de souveraineté, ainsi qu’un signal à une partie de la gauche assez opposée aux négociations. Le risque serait a contrario de fragiliser le couple franco-allemand, qui, en période de référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, a plus que jamais besoin d’être renforcé.

Il y aurait aussi une forme de cynisme de la France à endosser une telle démarche, tant Paris est apparu pendant longtemps déconnecté des négociations. Avant Matthias Fekl, Fleur Pellerin, qui était chargée du dossier, avait brillé par son absence sur ce sujet pourtant très sensible dans les opinions publiques européennes, et aux implications économiques mais surtout géopolitiques considérables. François Hollande lui-même a largement ignoré le sujet de longs mois durant. La Commission de Bruxelles (qui dispose d’un mandat de négociation au nom des 28 membres de l’Union) avait à plusieurs reprises discrètement fait savoir qu’elle regrettait ce manque d’implication – du chef de l’Etat français, mais aussi d’autres dirigeants européens –, expliquant ne pas avoir les moyens de faire, seule, campagne, pour un tel accord. Elle finira peut-être par regretter le silence de Paris. Car si la France venait enfin à mettre tout son poids dans la balance, ce pourrait être non pas pour sauver l’accord, mais pour lui porter le coup fatal.

Par Nicolas Chapuis et Cécile Ducourtieux

Lire sur le site lemonde.fr (19/04/2016)