Séparation d'enfants migrants : Trump recule face au tollé
Donald Trump a signé mercredi un décret présidentiel visant à éviter la séparation des familles de migrants ayant franchi illégalement la frontière avec le Mexique. Cette mesure avait suscité une vague d'indignation mondiale et mis la pression sur son administration.

Correspondant à Washington

Dans sa croisade contre l'immigration, Donald Trump a partiellement baissé la garde. Alors que la polémique ne cessait de croître, alimentée par de nouvelles révélations sur le sort des migrants pris dans les filets de l'Administration fédérale, les élus du Congrès et les autorités locales manifestaient beaucoup moins d'appétit pour une approche qu'ils jugeaient électoralement risquée ou moralement embarrassante.

Sensibilisé à leurs inquiétudes lors de deux réunions mardi soir au Capitole et mercredi à la Maison-Blanche, le président a décidé d'abandonner sa politique de séparation des familles à la frontière. Il a signé mercredi un décret ordonnant le maintien des enfants auprès de leurs parents durant l'examen de leur statut par les tribunaux criminels. C'est un revirement après des jours passés à transférer la responsabilité sur le Congrès, utilisant le spectacle d'enfants isolés et de familles déchirées comme levier pour obtenir la réforme qu'il demande, y compris le financement de son «mur» sur la frontière mexicaine. Mais cela pourrait soulever de nouvelles difficultés légales, la jurisprudence américaine interdisant de détenir des enfants pour les crimes commis par leurs parents.

Un trait de plume

Mercredi matin, le chef des républicains à la Chambre, Paul Ryan, s'est publiquement désolidarisé du président, annonçant un vote jeudi «pour maintenir l'unité des familles, pendant que nous travaillons sur une réforme plus large de l'immigration. Nous soutenons l'application de la loi, mais nous ne pouvons pas soutenir une politique dont le résultat est de séparer les enfants de leurs parents». Mitch McConnell, son alter ego au Sénat, avait tenté une approche similaire à la Chambre haute, mais il avait été éconduit par le chef de la minorité démocrate, Chuck Schumer, pour qui c'était au président d'annuler «d'un trait de plume» une politique qu'il avait voulue. Plusieurs propositions de loi en ce sens ont été déposées au Congrès, sans garantie de leur adoption.

Si la «tolérance zéro» appliquée depuis début mai aux clandestins - mais aussi aux demandeurs d'asile - n'est pas remise en cause par le président, l'un de ses effets pervers devrait être neutralisé. Au dernier décompte établi par le département de la Sécurité intérieure (DHS), 2 342 enfants ont été séparés de leurs familles entre le 5 mai et le 9 juin. Tandis que les adultes étaient placés en détention en attendant l'issue d'une procédure criminelle, les mineurs ont été confiés au ministère de la Santé et des Services humains (HHS). Celui-ci est censé les recueillir dans des «refuges» avant de les placer dans des familles d'accueil. Mais l'explosion du nombre de cas a compliqué sa tâche.

Les «refuges» pour adolescents (de 10 à 17 ans) sont d'anciens entrepôts découpés en «cages» grillagées ou des camps de tentes militaires alignées dans le désert. Les images qui en sortent troublent l'idée que se font les Américains de leur démocratie. L'ancienne First Lady, Laura Bush, les a comparés aux «camps d'internement de Japonais durant la Seconde Guerre mondiale, aujourd'hui considérés comme l'un des épisodes les plus honteux de l'histoire américaine».

«Nous apprenons en marchant»

Mardi, l'agence Associated Press a en outre révélé l'existence de trois centres pour «âge tendre» - des bébés et des tout-petits - récemment ouverts au sud du Texas. «Cela défie l'entendement, déclare à l'AP Kay Bellor, chargée de l'aide aux réfugiés au sein de l'Église luthérienne. Des bambins en détention!» S'y ajoutent les récits de plus en plus nombreux de familles impossibles à réunifier après leur séparation. Mardi, l'Union américaine pour les libertés civiles (Aclu) a porté plainte au nom d'une immigrante du Guatemala qui essaie en vain de récupérer son fils de 7  ans depuis le 19 mai. Il lui a été enlevé lors de sa demande d'asile et elle est sans nouvelle depuis, ignorant même où il se trouve. Une autre plaignante congolaise a mis quatre mois pour récupérer sa fillette de 6 ans.

Selon une enquête des journaux McClatchy, le nombre d'enfants «égarés» serait plus proche de 6000 que des 1475 avérés par le gouvernement le mois dernier. «C'est une politique nouvelle, nous apprenons en marchant», dit Steven Wagner, responsable des réfugiés au HHS, contredisant au passage le président, qui impute le problème aux démocrates l'ayant précédé.

Dans les États, de nombreux gouverneurs se sont désolidarisés de la politique de «tolérance zéro», huit d'entre eux - républicains et démocrates - rappelant mardi leur Garde nationale, déployée sur la frontière en avril à la demande du président. Celui de l'État de New York, le démocrate Andrew Cuomo, menaçait d'attaquer en justice l'Administration fédérale pour violation de la Constitution.

Par Philippe Gélie (le 20/06/2018)
A lire sur le site Le Figaro