Roubaix: un médecin héberge 50 Roms dans un immeuble désaffecté
Il dit avoir juste voulu « respecter » son serment d’Hippocrate. Le Dr Christophe Lamarre, médecin généraliste à Roubaix, n’a pas hésité à ouvrir les portes d’un immeuble qui lui appartient, pour loger des Roms expulsés du Galon d’Eau il y a trois semaines. Une cinquantaine de Roumains vivent ainsi dans cet ancien cabinet médical situé dans le quartier de l’Hommelet.

Pour aller plus loin
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C’est un peu l’histoire d’un coup de sang réfléchi. Il ne supportait pas que ses « patients », comme il les appelle, soient « mis à la rue comme des malpropres ». Alors, il les a logés, tout simplement. Conscient des risques, mais incapable de prendre une autre décision.
Tout a démarré il y a trois semaines, le 27 septembre. Le bidonville du Galon d’eau était évacué par la police, et le gros des troupes – près de 250 personnes – éparpillé dans la nature, sans solution de relogement.
Le médecin roubaisien Christophe Lamarre, un généraliste installé en centre-ville de Roubaix, connaissait bien ces Roms : avec son associé, le Dr Pierre Andrzejewski, il les soigne régulièrement depuis leur arrivée massive dans la commune, il y a deux ans. « Quand le camp a été évacué, je n’ai pas résisté, je suis allé voir, à l’heure du déjeuner, car je savais que certains étaient dans un très mauvais état de santé », raconte Christophe Lamarre, qui finit justement par tomber sur une de ces familles, sur le trottoir, qui envisageait de passer la nuit sur des cartons. « La mère de famille a une grave polyarthrite, en restant dehors, elle risquait d’avoir les articulations bloquées », lâche-t-il.
Un enfant tétraplégique laissé à la rue
Il téléphone un peu partout, mobilise ses contacts, mais aucune solution ne se dégage. Alors il craque. Ce médecin engagé possède un immeuble désaffecté dans le quartier de l’Hommelet, qui est son ancien cabinet médical. Il y a œuvré longtemps, de 2001 à 2007, soignant sans rendez-vous de 7h à minuit, chaque jour, tous les défavorisés qui se présentent. Il en est reparti dans une ambulance, après avoir fait un sérieux burn-out.
Depuis, l’immeuble est inoccupé. Il décide donc de loger là cette première famille de six personnes. Puis une autre famille, qui compte parmi ses membres Pavel, un enfant de cinq ans tétraplégique, qui devait retourner à la rue après deux semaines d’hôtel réglées par la préfecture. « Je leur ai demandé de ne rien dire, de rester dans le bâtiment, et d’être discrets », raconte le médecin.
Un voisin menace d’incendier le bâtiment
Mais le téléphone rom semble être à l’entendre la « version turbo » du téléphone arabe. Le dimanche 29 septembre c’est la crise : alertés par la rumeur qui dit « qu’un médecin roubaisien donne des appartements aux Roms », près de 200 Roms affluent de toute la métropole lilloise. « On a vu arriver de Lille des gars avec des caddies, avec tout leur barda, télé, matelas… » c’est très vite l’émeute devant le bâtiment, avec des voisins furieux qui menacent de verser de l’essence sur le toit et d’y mettre le feu.
La police municipale est obligée d’intervenir. « J’étais dépassé », reconnaît aujourd’hui Christophe Lamarre. Aidé par la Ligue des droits de l’Homme de Roubaix et par l’association Aréas, il fait un tri parmi les occupants : « En gros, on a gardé ceux qui étaient déjà à Roubaix, qui avaient des enfants scolarisés ici, ou des problèmes de santé. On a gardé les femmes enceintes, aussi », confie le médecin. Soit aujourd’hui une dizaine de familles, et quelque 50 personnes.
Un ami Algérien dort sur place pour garder le bâtiment
À l’entrée du bâtiment, un ami algérien, Yahia, joue le rôle de concierge et de gardien. Il dort sur place, dans l’ancienne salle d’attente, et tente tant bien que mal de filtrer les entrées dans l’immeuble. « C’est dur. Il faut être très psychologue, ne pas aller à l’affrontement. Mais c’est clair que la nuit, d’autres Roms viennent dormir ici », précise Yahia. Lui et Christophe Lamarre, au jugé, estiment que le soir, la population double de volume dans l’ancien cabinet médical.
À l’intérieur des locaux, équipés du chauffage, de l’électricité, de sanitaires et de l’eau courante, ce n’est pas non plus le luxe. Dans chacune des pièces, au moins deux familles cohabitent. Avec à chaque fois, un mobilier de fortune, « récupéré aux encombrants » : matelas, plaques électriques, frigo, tapis. Les plus chanceux ont un sommier et les plus coquets ont accroché au mur des tableaux surannés que des Roubaisiens ont jeté dans la rue.
À neuf dans 15 m²
Dans une des « chambres » du rez-de-chaussée, la famille Cantargiu, venue de Bacau en Roumanie, vit à neuf dans 15 m². Le linge sèche au milieu de la pièce. Les trois filles de la famille, Loisa, Estera et Sara partagent deux matelas avec le fils aîné de la famille, Timotée. Pavel, l’enfant tétraplégique, dort sur une banquette des années 50, et les parents dorment sur un grand lit avec leur petit-fils, lui aussi baptisé Pavel, qui a neuf mois.
Ils exhibent des documents administratifs, demandent qu’on les aide à les remplir. Se plaignent des « grosses souris », c’est-à-dire des rats, qui les « agressaient » tout le temps au bidonville du Galon d’Eau. Ils sont mieux, ici, beaucoup mieux. Chaque matin, ils emmènent Pavel à l’institut médico-éducatif Lino-Ventura, à Lille, où il est pris en charge toute la journée. Loisa, Estera et Timotée vont à l’école. Et les parents, eux, vont « faire la manche » et « jouer de l’accordéon ».
À l’étage, dans une autre famille, Rémus raconte gagner « cinq à six euros » en jouant au pied du métro. Sa femme, Carmen, gagne la même chose en tendant la main aux passants. « On ne rentrera pas en Roumanie. Ici, on nous traite bien. On a la carte vitale, on peut soigner notre fils ». Celui-ci, âgé de quatre ans, souffre d’une malformation congénitale.
« Je ne demanderai jamais l’expulsion »
Tous remercient celui qui les appelle « le docteur ». Mais ils ne veulent pas forcément rester très longtemps dans l’immeuble. Celui-ci ne peut d’ailleurs être qu’une solution temporaire, aux dires mêmes de Christophe Lamarre. « Ils resteront le temps qu’on trouve une solution. C’est clair que je ne leur demanderai pas de partir s’ils n’ont rien derrière », martèle-t-il. En attendant, c’est lui qui paie l’eau, le chauffage et l’électricité.
Ne comptez pour autant pas sur lui pour se prendre pour l’abbé Pierre. « Je n’ai fait que mon devoir de médecin. Moi, j’ai prêté serment de soigner les gens, de ne pas les abandonner. Je n’avais pas le droit de les quitter sans solution, c’est mon contrat avec mes patients. »
Il dit être aidé par « les catholiques et les musulmans », qui ont rapidement proposé leur aide. Par l’Aréas, aussi, à qui il envisage de « passer la main » pour ce qui est du suivi social des dix familles présentes dans l’immeuble.
Reste que pour se couvrir juridiquement, au cas où il arriverait quelque chose, il a saisi le tribunal d’instance pour « occupation illégale » du bâtiment. « Mais en tant que propriétaire, c’est moi qui maîtrise la procédure. Et je ne demanderai jamais l’expulsion ». Une façon, dit-il, de mettre la préfecture face à ses responsabilités et de la forcer à l’action. « C’est elle qui a expulsé ces gens, constate-t-il. C’est donc à elle de trouver une solution. »

Un article de Bruno Renoul 

Lire sur le site de lavoixdunord.fr (16/10/2013)


Michel JEHAES
Mardi 12 Novembre 2013

Que dire d'autre que BRAVO pour votre fidélité à vos engagements, cher Confrère.