Mobilisation réussie : à Dax, les faucheurs de chaises l’ont emporté sur la banque fraudeuse
Le procureur de Dax a demandé lundi 9 janvier la relaxe pour le faucheur de chaises Jon Palais. Au même moment, plus de 2.000 personnes le soutenaient et dénonçaient l’évasion fiscale. Une mauvaise opération pour la BNP, absente au tribunal, et qui voit sa plainte se retourner contre elle.

Dax (Landes), reportage

« On va prendre le dossier pour lequel nous avons un public enthousiaste. » Pas habituée à ce qu’une audience au tribunal de grande instance de Dax suscite tant d’intérêt, sa présidente n’en était pas moins compréhensive, lundi 9 janvier en début d’après-midi. Il faut dire que la mobilisation avait de quoi surprendre la cité landaise. Alors que le petit tribunal était plein à craquer, on entendait, venu du dehors, le chant de la foule : « Ce ne sont pas les faucheurs qu’il faut juger, mais l’évasion fiscale en bande organisée. »
Deuxième surprise, la banque BNP n’était pas représentée à l’audience. La directrice d’agence, qui avait porté plainte pour la banque, n’était pas là, et aucun avocat n’avait fait le déplacement. Alors même que la BNP s’est constituée partie civile et demande un euro symbolique « en réparation du préjudice ».
Jon Palais est accusé de « vol en réunion » ainsi que de refus de prélèvement ADN lors de son audition à la gendarmerie en juin 2016. Caroline Joly, l’une de ses avocate avec sa mère Eva Joly, s’est d’abord attaquée au second point, l’ADN, en arguant de la nullité de la procédure : un tel prélèvement ne peut se faire qu’avec l’autorisation du parquet, or celle-ci n’apparaît pas dans le dossier. Le procureur allait dans son sens : « En tant que magistrat, je suis le premier garant des libertés individuelles. La procédure est viciée » constate Jean-Luc Puyo.

Sur le fond, la présidente a rappelé les faits et donné la parole à l’accusé : « J’ai effectivement participé à cette action de réquisition de chaises, j’en étais le porte-parole », a reconnu Jon Palais. « Le but était de dénoncer l’évasion fiscale, ce n’était pas d’utiliser pour notre propre bien les chaises. » Interrogé sur cette non appropriation des chaises, il a ensuite rappelé comment elles ont été rendues aux forces de police le jour de l’ouverture du procès de Jérôme Cahuzac, devant le tribunal.
Pourquoi le refus de prélèvement ADN ? « L’action s’est déroulée en plein jour, à visage découvert, nous étions filmés. Je trouvais anormal que l’on me demande les prélèvements. C’était me traiter comme un criminel. »

Deux témoins ont ensuite été entendus. Antoine Peillon d’abord, grand reporter et spécialiste de l’évasion fiscale. Il a raconté « l’accueil et l’hébergement de ces chaises par des personnalités », dans le 14e arrondissement de Paris, « au vu et au su de la police ». « Confisquer ces chaises, c’était de l’ordre de la manifestation d’idées, je n’y ai pas vu le moindre motif crapuleux », a-t-il ajouté, avant de rappeler la réalité de l’évasion fiscale et l’inaction de l’État. Puis Vincent Drezet, inspecteur général des finances publiques, a expliqué avoir soutenu ces actions au nom du syndicat Solidaires finances publiques, dont certains membres sont eux-mêmes des faucheurs de chaises.
Venait alors le tour du procureur : « Nous n’avons pas d’élément d’appropriation frauduleuse de Jon Palais ou des autres participants » a-t-il analysé. En conséquence, « l’infraction de vol n’est pas constituée ». Un peu plus tôt, il avait parlé de « l’emport – et je choisis mes mots – des chaises ». « Je suis le premier à adhérer à l’idée de lutter contre la fraude fiscale, je suis le premier à déférer des fraudeurs devant la justice », poursuivait-il, avant de rappeler qu’il a été pendant 4 ans « vérificateur de fiscalité », c’est-à-dire contrôleur fiscal… Il a demandé la relaxe de Jon Palais.
Ses avocates se voyaient ainsi couper l’herbe sous le pied, n’ayant pas eu l’occasion de développer leurs arguments. Eva Joly dissertait sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale, sujet qu’elle maîtrise sur le bout des doigts : « Chacun est conscient du déséquilibre dans de procès, entre un militant pacifiste qui vit avec moins de 1.000€ par mois, et la 4e banque mondiale, qui a fait 6,7 milliards de bénéfices l’année dernière, dont un tiers dans des paradis fiscaux. »

Mis en délibéré, le jugement sera connu dans deux semaines, le 23 janvier. « C’est déjà une grande victoire de se sentir compris par le procureur », déclarait Jon Palais à la sortie de l’audience. L’autre victoire, c’est qu’il se trouvait alors face à une meute de journalistes. Le Figaro, Le Monde, AFP, BFM, iTélé, RTL, France Bleu, Mediapart, … Tous ont fait le déplacement.
« La bataille médiatique est perdue par la BNP », jugeait un peu plus tard un militant. Et effectivement, on peut se demander quel calcul a poussé la banque à s’engager dans cette procédure. Depuis peu, elle s’est également décidée à communiquer avec la presse sur le sujet. « Ils ne se sont pas rendus compte que ça allait leur péter à la gueule ? », se demande Florent Compain, président des Amis de la Terre, qui sera bientôt le deuxième faucheur de chaise à passer au tribunal. « Une tribune comme cela pour parler d’évasion fiscale, on en aurait rêvé », ajoute Martine Billard, secrétaire nationale à l’écologie du Parti de gauche.
Formant une haie d’honneur pour l’entrée de de l’accusé au tribunal, la foule a ensuite déambulé jusqu’au Carreau des Halles. Dans ce lieu, prêté par la mairie, des concerts, conférences gesticulées, un suivi en direct du procès, et autres prises de parole se sont enchaînés tout l’après-midi jusqu’au retour en héros de Jon Palais et de ses avocates. 2.000 personnes, dont une majorité avait fait spécialement le déplacement, ont ainsi répondu à l’appel à « faire le procès de l’évasion fiscale ». Tandis qu’entre Bizi !, Attac, les Amis de la Terre, ANV-COP21 et les associations locales, 340 personnes participaient bénévolement à l’organisation de la journée.

« Les banques favorisent l’égoïsme, le chacun pour soi. Nous, dans notre manière de faire, sommes leur antidote : coopération, intelligence collective, entraide, dit Jon Palais. C’est de cette force que nous aurons besoin pour aider les réfugiés climatiques, les migrants, pour montrer la seule voie qui nous permettra de survivre. Nous sommes des milliers de David contre Goliath. »
Et maintenant ? « Il va falloir qu’on analyse finement ce qu’on a fait bouger du rapport de force. Un cran a été franchi. Notre action gagne du crédit. Et cela encourage à continuer avec les chaises, à imaginer d’autres choses » poursuit l’activiste non-violent.

Lundi matin, une table-ronde s’était tenue avec des candidats à l’élection présidentielle. Les organisateurs avaient invité tous les candidats déclarés, sauf le Front national. Six ont répondu présents et accepté de débattre des moyens de lutter contre l’évasion fiscale : Benoît Hamon (représenté par Sandrine Charnoz), Yannick Jadot, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise (de la Primaire citoyenne), Jean-Luc Mélenchon (représenté par Corinne Morel-Darleux) et Philippe Poutou (NPA). Si chacun a bien tenté de faire ressortir son originalité, tous se sont montrés en accord sur l’essentiel : faire sauter le verrou de Bercy, donner plus de moyens à l’administration fiscale et la justice...
Prochain évènement, une semaine internationale de mobilisation contre les paradis fiscaux est prévue du 3 au 9 avril. Soit juste avant le 2e procès d’un faucheur de chaise, Florent Compain, le 11 avril à Bar-le-Duc. Et quelques semaines avant le premier tour des présidentielles.

Par Baptiste Giraud et Raphaël Bodin

Lire sur Reporterre (10/01/2017)