Marc Dufumier: «Nous produisons largement de quoi nourrir tout le monde»
Marc Dufumier, agronome engagé et professeur émérite à Agroparistech, vient de publier 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation (Allary Editions). Dans cet ouvrage sous forme de «vrai-faux», il remet en cause des dérives de l’agriculture industrielle, en proposant des solutions plus durables. Son intervention sur France Inter jeudi matin résume bien son propos:

    «Plus grave encore que le cheval dans les lasagnes de bœuf, c’est les anti-inflammatoires dans la viande de cheval. Il y a un réel problème aujourd’hui en ce qui concerne notre alimentation, qui provient de notre agriculture, qui s’est, au cours des 20 dernières années, pour faire bref, motorisée, mécanisée, chimisée, spécialisée, standardisée, et qui fournit, dans les grandes et moyennes surfaces, des produits de faible variété, les plus standards, qui ont été sélectionnés pour leur capacité à être transportés, à résister aux chocs, à pouvoir rester longtemps sur les rayons.»

Dans son ouvrage, l’agronome aborde la PAC, les pesticides, les OGM, les abeilles, l’élevage ou encore le goût des tomates, avant d’élargir la perspective en abordant la question de la mauvaise répartition de la nourriture dans le monde:

    «La terre ne produit pas assez pour nourrir ses 7,2 milliards d’habitants. Faux. Nous produisons largement de quoi nourrir tout le monde.»

S’en suit la démonstration: pour que tous les humains soient nourris correctement, il faut produire 200 kilos de céréales par habitant et par an, ou leur équivalent en pommes de terre, manioc etc., «quitte à ce qu’une petite partie seulement de cette production soit destinée à l’alimentation animale». Or justement, on produit sur la planète l’équivalent de 320 à 330 kilos de céréales par an et par personne.

Le problème, selon Marc Dufumier, c’est que toute cette nourriture ne va pas aux gens qui ont faim, mais aux «gaspilleurs» (rappelons le chiffre qui tue: un tiers de l’alimentation produite pour les hommes dans le monde qui finit à la poubelle), aux «gloutons» (qui consomment du lait et de la viande en trop grandes quantités, produits à partir de d’animaux qu’il faut nourrir: «Au Brésil, un hectare de terre peut nourrir 50 végétariens, mais 2 carnivores») et enfin aux «agrocarburants», qui sont pour l’auteur une «fausse bonne idée».

Autre problème pointé du doigt, «dans certains pays du sud, des régions entières de terres cultivables sont accaparées par des entreprises privées. Et ce au détriment de paysans qui pourraient produire par eux-mêmes ce dont ils ont besoin».

Selon l'auteur, pour tenter de résoudre ces problèmes, les pays riches ne devraient ni brader ni donner leurs excédents alimentaires, car cela fait grand tord aux agriculteurs faiblement équipés. Pourquoi pas «instaurer des droits de douane aux frontières des pays du Sud, afin de faire monter les prix des produits alimentaires importés sur les marchés intérieurs», pour que les produits locaux soient ainsi avantagés?

L’agronome pense aussi que l’on pourrait aujourd’hui nourrir la planète (et même les 9,5 milliards d’humains de 2050) avec une alimentation 100% bio, en généralisant des techniques inspirées de l’agroécologie et en associant agriculture et élevage... Des techniques qui se heurtent pour le moment à certains obstacles, comme les pressions des entreprises semencières et les difficultés pour accéder à des prêts.

Enfin, les insectes sont aussi envisagés, en suivant les recommandations de la FAO, comme une chance pour certaines populations. Un produit très rentable, puisqu’«à la tonne de nourriture produite, l’élevage de criquets requiert douze fois moins de surface qu’un troupeau de bovins». En plus, l’élevage de criquets émet largement moins de gaz à effets de serre, et nécessite beaucoup moins de matos.

Par Lucie de la Héronnière (28.02.2014)

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