Ivry tend la main aux réfugiés
Un centre d’accueil va ouvrir ses portes en décembre, en plein cœur de la commune. La mairie mise sur l’adhésion de la population.

«Nous sommes choqués par les poches d’extrême misère qui se forment sous nos autoroutes, dans les interstices de nos villes. La France est la 6e puissance mondiale, la ville d’Ivry-sur-Seine a une longue tradition d’accueil et nous avons le devoir de tendre la main aux migrants chassés de chez eux par la guerre », développe Philippe Bouyssou, maire PCF d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), chaudement applaudi par une salle comble. Lors d’une réunion publique, l’élu a présenté mardi le projet de construire un camp de réfugiés de 400 places qui accueillera des Syriens, Afghans, Irakiens ou encore Érythréens. Il ouvrira en décembre sur le terrain de l’ancienne usine des eaux de Paris, à Ivry, au cœur de la ville.

La réunion a dévoilé les détails du projet aux habitants – et a calmé les inquiétudes de certains. Sur les réseaux sociaux, des voix se sont récemment élevées sur le refrain du « et nous, alors ? », « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Sébastien Bouillaud, président LR du groupe des élus de la droite et du centre, ne s’est pas privé d’attiser la polémique, sur le thème « Ivry-sur-Seine ne doit pas devenir un nouveau Calais ! ». Néanmoins, la pétition lancée par la droite n’avait recueilli que 70 signatures mardi soir. Pour le maire, c’est preuve de l’adhésion des habitants de la ville au projet financé par l’État et la mairie de Paris.

Accueillir des réfugiés n’enlève rien à personne. Bien au contraire.

La plupart des opposants au camp de réfugiés s’appuient sur le souvenir du bidonville de la rue Trouillot, un campement rom qui a alimenté cinq années de conflit politique et de protestations des riverains, soldés, l’an dernier, par son démantèlement. « Ce bidonville était près d’un collège qui a fini par se mettre en grève. Les professeurs et les parents d’élèves manifestent. La contestation ne venait pas d’où on l’attendait d’habitude », se désole Olivier Beaubillard, adjoint à la culture d’Ivry. « L’actuel projet est un espace organisé par Emmaüs, où nous pourrons mettre en place un vrai travail social, une véritable insertion à long terme », défend Philippe Bouyssou. Le maire le reconnaît : quand l’annonce d’Anne Hidalgo est tombée, un peu à l’improviste, il a un temps hésité. « Mais, vu la qualité du projet, c’est aujourd’hui une fierté de participer à ce dispositif, de prendre notre part en accueillant ces réfugiés sur notre commune », martèle le maire de cette commune qui touche Paris. Il poursuit : « La plupart des études le montrent : plus de 80 % des Français craignent la pauvreté et nombre d’entre eux se demandent s’ils pourront partager le peu qu’ils ont avec les autres. Nous voulons montrer qu’accueillir des réfugiés n’enlève rien à personne. Bien au contraire ! »

Le site d’Ivry-sur-Seine accueillera notamment 200 femmes isolées. Il aura deux pôles, un « pôle soins » et un « pôle mise à l’abri ». Les femmes isolées, avec ou sans enfants, y bénéficieront d’un accompagnement sanitaire et social avec notamment des consultations gynécologiques. Le financement de toutes ces installations sera du ressort de la Ville de Paris et de l’État. « La mairie de Paris a mis 7 millions sur la table. C’est un effort très appréciable, juge le maire d’Ivry-sur-Seine. Par ailleurs, 50 places du camp seront dédiées aux personnes en situation de précarité extrême comme des Roms ou des sans-abri. L’ensemble générera près de 90 emplois pour des Ivryens. Tout cela n’a a priori pas vocation à durer. C’est provisoire, deux à quatre ans », assure l’élu.

Pas besoin de chercher loin pour constater la tradition d’accueil d’Ivry-sur-Seine. La ville, déjà très solidaire, compte sur son territoire un centre d’hébergement du 115, un accueil de jour ou encore un hôpital recevant les SDF parisiens. Pour autant, la mairie estime que la capitale ne se défausse pas sur la banlieue. « C’était vrai du temps de Chirac et Tiberi, souligne Philippe Bouyssou. Aujourd’hui, avec un conseil municipal doté d’une composante communiste qui bosse et se fait entendre, Paris accomplit un peu plus que sa part en termes d’accueil des migrants. » La Ville de Paris ouvrira d’ailleurs son propre site d’accueil, orientation et hébergement transitoire, dans le 18e arrondissement. Dès la mi-octobre, 400 réfugiés (600 à terme) seront ainsi pris en charge dans un ancien entrepôt SNCF du boulevard Ney.

« Emmaüs va commencer le diagnostic social et nous aurons ensuite une idée plus précise pour continuer à avancer avec les familles », explique Mehdi Mokrani, adjoint aux questions sociales de la mairie d’Ivry. Il suit les familles roms, dont certaines seront accueillies dans le camp de réfugiés. « Après un an de boulot, une dizaine de parents ont été embauchés en CDI. Une vingtaine d’autres sont encore attente. Leurs enfants sont déjà scolarisés dans les écoles de la ville », raconte Mehdi Mokrani. Pour le jeune adjoint, « les réactions très positives au moment de la réunion publique montrent que, quand on décide de répondre politiquement aux questions difficiles, on obtient l’adhésion et l’enthousiasme de la population. » De son côté, le maire envisage de mettre en place une structure municipale chargée de poursuivre le dialogue avec Emmaüs et la Ville de Paris.

Par Mehdi Fikri

A lire sur humanite.fr (12/10/2016)