Espagne: la joie de familles qui échappent à l'expulsion
SALT (Espagne), 16 oct 2013 (AFP) "L'expulsion est suspendue", annonce en larmes Doris Perez, une Chilienne qui occupe, depuis mars, avec sa famille et une quinzaine d'autres sans ressource un bâtiment à Salt, dans le nord-est de l'Espagne.
Les habitants de cet immeuble et des centaines de personnes venues y passer la nuit pour les soutenir célèbrent la nouvelle: la Cour européenne de justice (CEJ) a suspendu mercredi, jusqu'au 29 octobre, l'évacuation de cet immeuble devenu un symbole de la lutte contre les expulsions en série dans ce pays en crise.
Divorcée et souffrant d'une incapacité visuelle de 84% qui l'empêche de travailler, Doris, âgée de 51 ans, est arrivée en mars dans l'immeuble avec sa plus jeune fille de 18 ans et deux de ses petits-enfants de 11 et 8 ans.
Comme des centaines de milliers de personnes depuis l'explosion de la crise en 2008 en Espagne, elle a été expulsée de son logement, dans son cas en 2010, ne parvenant plus à honorer ses traites.
"Je n'avais pas d'autre choix que de venir ici", explique Doris qui ne survit avec sa famille que grâce à une pension d'invalidité de 350 euros par mois.
Elle est arrivée en mars, avec d'autres familles aidées par l'association des victimes des crédits hypothécaires (PAH), l'une des principales associations qui dénoncent les "abus" des banques et les expulsions.
Une bouée de sauvetage pour Doris. "C'est la meilleure chose qui me soit arrivée dans ma vie", confie-t-elle.
"Nous sommes quinze familles mais dans le fond nous n'en formons qu'une. Les portes sont ouvertes et nous nous entraidons", assure Bouchra Zannouti, une marocaine enceinte de six mois, logée avec son mari au chômage et leur fils de sept ans.
Au total, 43 personnes dont 21 mineures de différentes nationalités occupent l'immeuble qui était vide depuis trois ans et bordé de bâtiments neufs à peine habités.
Tous partagent leur nourriture quand elle vient à manquer chez certains. Ils cultivent des légumes, élèvent des poules et les enfants s'entraident aussi pour les devoirs.
"Dans les autres immeubles où je vivais, je ne connaissais pas les voisins. Ici, je me sens bien", témoigne avec fierté Jonathan Llamas, 15 ans, hébergé avec sa mère et son petit frère.
Mais lui, comme les autres, sont sous le coup d'un ordre d'expulsion à la demande de la Sareb, la "bad bank" espagnole créée avec le sauvetage bancaire en 2012 de 41,3 milliards d'euros du pays.
L'organisme, qui compte actuellement 49.000 logements vides, a récupéré l'immeuble de la banque Marenostrum, sauvée de la faillite, comme d'autres, par une nationalisation.
La PAH, créée en 2009, exige elle que le sauvetage profite également aux familles expulsées de leur logement et que la Sareb, symbole de l'Etat, leur vienne en aide. Cette association a permis à quelque 700 personnes de se loger dans des bâtiments similaires à celui de Salt, et empêché environ 800 expulsions.
Près de 40.000 logements ont été saisis en Espagne en 2012 à la suite d'impayés, selon la Banque d'Espagne, et plus de 200.000 propriétaires ou locataires ont été expulsés.
Ces chiffres ont soulevé l'indignation dans le pays où les banques ont été montrées du doigt après l'explosion de la bulle immobilière en 2008.
Le gouvernement a adopté des mesures pour limiter les expulsions des plus fragiles. Mais elles ont été jugées insuffisantes par la PAH dont la proposition de loi populaire ayant reçu plus de 1,2 million de signatures n'a pas été retenue.
Elle prévoyait notamment l'effacement de la dette contre la saisie du logement alors que de nombreuses familles doivent continuer à payer leur crédit, avec de lourds intérêts de retard, après l'expulsion.
La décision de la CEJ qui a demandé des garanties pour les expulsés "ouvre la voie à une correction de l'indécence judiciaire des tribunaux espagnols", se félicite Manel Benet, l'avocat des familles qui se mêle à la joie collective.
Mais tous savent que le combat est loin d'être gagné.
"Nous sommes venus aider. Nous risquons l'expulsion et nous aurons peut-être aussi besoin d'aide", dit Johanan Marín, un chômeur de 28 ans venu de Badia, près de Barcelone.

Lire sur le site de ilghirlandaio.com (16/10/2013)