Dieselgate : condamnation de Michel Aubier pour "faux témoignage " : un jugement historique
Le pneumologue qui minimisait dans les médias l'impact du diesel sur la santé a été condamné mercredi à six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d'amende, pour avoir caché aux sénateurs qu'il était grassement payé depuis 1997 par Total. Une première.

C’est un jugement historique et symboliquement fort. Pour la première fois en France, la justice a condamné mercredi une personne pour «faux témoignage» devant la représentation nationale. Pour avoir menti devant une commission d’enquête du Sénat, le pneumologue Michel Aubier a été condamné à six mois de prison avec sursis et à 50 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Paris. La sanction est plus lourde que celle requise par le parquet – qui avait seulement demandé une amende de 30 000 euros, au terme d’une audience de sept heures, le 14 juin – mais moindre que la peine maximale encourue pour ce délit de «faux témoignage» (cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende).

100 000 euros par an de Total

Entendu le 16 avril 2015 par la commission d’enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, en tant que représentant de l’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), Michel Aubier avait prêté serment en promettant de dire «toute la vérité». Puis déclaré n’avoir «aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques». Sauf que, comme nous l’avons révélé un an plus tard, en mars 2016, il était en fait employé par le pétrolier Total depuis 1997 comme médecin-conseil des dirigeants du groupe, en plus d’être membre du conseil d’administration de la Fondation Total.

Le mandarin (ancien chef de service à l’hôpital Bichat de Paris, professeur à l’université Paris-Diderot et chercheur à l’Inserm, entre moult autres casquettes), qui a minimisé pendant des années dans les médias les effets du diesel et de la pollution atmosphérique sur la santé, a touché en moyenne autour de 100 000 euros par an de Total. Soit environ la moitié de ses revenus annuels. Le tout pour «neuf demi-journées par mois», comme l’indique son contrat de travail.

Contacté par Libération, le sénateur (LR) Jean-François Husson, qui présidait la commission d’enquête sur le coût de la pollution de l’air et représentait le Sénat (partie civile) à l’audience, estime que la décision du tribunal est «équilibrée et juste». «J’imagine que celles et ceux qui seront demain auditionnés devant une commission d’enquête parlementaire prêteront une attention plus importante à ce qu’ils disent et à leur comportement», ajoute-t-il.

«Lutter contre la fabrique du doute»

Le tribunal correctionnel de Paris a aussi condamné Michel Aubier à verser un euro de dommages et intérêts à l’AP-HP, elle aussi partie civile. «Quand on représente son hôpital, on ne ment pas, ni devant le Sénat ni où que ce soit. Il y a un caractère exemplaire dans ce jugement, au sens où il montre que dura lex, sed lex», réagit le directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, qui «n’était pas au courant» des liens du médecin avec Total jusqu’à ce que nous l’appelions en mars 2016 pour les besoins de notre enquête. Le jugement rendu mercredi «renforce la prévention des conflits d’intérêts et les messages que j’ai fait passer au sein de l’AP-HP», estime-t-il aussi. Avant de remarquer un élément «frappant» : «Que ce soit devant le tribunal ou devant moi, à aucun moment Michel Aubier n’a semblé exprimer la conscience de l’existence d’un vrai problème. Et ce n’est pas faute de le lui avoir suggéré.»

Pour sa part, Nadir Saïfi, vice-président de l’ONG Ecologie Sans Frontière, qui s’était aussi portée partie civile dans l’affaire, se dit «extrêmement satisfait» de la décision du tribunal. «C’est un message fort à tous les Michel Aubier et tous les Claude Allègre [l’ancien Ministre de l’Education connu pour ses propos climatosceptiques, ndlr] qui pullulent dans la communauté scientifique et qui, pour des raisons bassement matérielles, n’hésitent pas à mettre la santé des gens en danger, estime-t-il. Ce message doit être reçu par la communauté scientifique dans son ensemble comme par les industriels. Il faut que l’on arrive à lutter contre la fabrique du doute, à discréditer ces gens qui sont payés par les industriels pour semer le doute sur la réalité scientifique de certains sujets graves, retardant ainsi la prise de décision publique.» Et de lancer un appel au ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot et à la ministre de la Santé Agnès Buzyn : «Aidez-nous à lutter contre ces conflits d’intérêts et à faire en sorte que l’on puisse avoir des peines aggravantes quand ils touchent à la santé !»

Par Coralie Schaub 

A lire sur liberation.fr (05/07/2017°)