A Rennes, l’eau redevient un bien commun
Les grandes villes sont de plus en plus nombreuses à reprendre la main sur la gestion de leur eau. Certaines appliquent même des tarifs sociaux et écologiques, arguant que l’eau est un bien commun. C’est le cas de Rennes. Explications.

A partir du 1er juillet, les ménages de Rennes ont vu leur facture baisser, les dix premiers mètres cubes d’eau étant gratuits. Au-delà, plus la consommation sera importante, plus le prix du mètre cube augmentera. Chaque rennais consomme actuellement 54m3 d’eau en moyenne par an. En ce qui concerne les entreprises, elles ne bénéficieront plus d’un tarif dégressif avec la consommation, il sera maintenant constant.

Ces mesures répondent à deux objectifs : garantir l’accès à l’eau et préserver la ressource. Rennes suit ainsi l’exemple de dix-sept autres villes, comme Brest, Evry ou Angoulême, afin d’expérimenter ces tarifs, encadrés par un décret de 2013. De son côté, Grenoble creuse l’aspect social de l’accès à l’eau avec un séminaire organisé le 2 juillet prochain.

Rennes Métropole, elle, veut atteindre un tarif unique de l’eau d’ici 2020 pour l’ensemble des 56 communes du bassin rennais. A l’heure actuelle, il existe 16 prix différents allant de 1,996 € à 3,243 € le mètre cube d’eau. L’outil mis en place pour y parvenir est une société publique locale de l’eau (SPL). Le passage de relais entre Veolia et la SPL a eu lieu en avril dernier.

Les grandes villes ont tendance à choisir une entreprise privée pour gérer leur réseau hydraulique, parce que la logistique et les compétences requises sont élevées. Sur les 36 000 communes qui maillent le territoire français, la moitié des services d’eau potable (69 %) relèvent du secteur public mais cela ne concerne que 40 % de la population française.

Matthieu Theurier, vice-président EELV à Rennes Métropole fait partie de ceux qui poussent depuis plusieurs années vers ce changement de gestionnaire. « L’eau est un bien commun, au même titre que la biodiversité, c’est un bien qui ne doit pas être privatisé. Le passage à la gestion publique est emblématique. Cela faisait 135 ans que l’eau du bassin rennais était gérée par le secteur privé. » Pour l’élu, l’accès à une eau en quantité et en qualité suffisante est une priorité : « Nous considérons que l’eau doit être gratuite et accessible à tous, tout en préservant la ressource, en n’épuisant pas les nappes phréatiques. »

En France, les prix de l’eau potable sont variables, ils sont liés à la qualité initiale, à la distance à parcourir pour l’approvisionnement et à l’entretien du réseau. Cette carte le montre clairement.

La gestion publique : l’enjeu de la transparence

Rennes Métropole est en expansion, sa population s’accroît, ses besoins avec, et en parallèle, la ressource est limitée, en particulier durant la saison sèche. La préservation des points de captage et des nappes phréatiques, est primordiale, explique Yannick Nadesan. Élu communiste, il préside la collectivité eau du bassin rennais : « C’est sur ce point que la gestion publique s’avère cruciale : les objectifs d’une entreprise et d’une collectivité ne sont pas les mêmes sur des enjeux comme la ressource. » Il y a aussi les méthodes qui diffèrent : « Le passage à la gestion publique implique un autre rapport aux multinationales, en particulier sur la question de la transparence. Désormais, nous avons la main sur l’ensemble de l’activité et pas seulement un document annuel fourni par une entreprise privée. »

Veolia comme Suez environnement sont des professionnels du secteur, de nombreuses villes sont leurs clientes, ces entreprises travaillent partout dans le monde, ont de nombreuses compétences en interne ; alors, que leur reproche-t-on ? Le manque de transparence, répondent à l’unisson les deux élus communiste et écologiste.

Il y a des villes où l’écart de prix entre la gestion privée et publique atteint 25 %. Si on a pu en arriver là c’est parce que les petites communes ont peu de poids pour négocier, exiger des rapports et contrôler l’entreprise prestataire. « Depuis plusieurs années, nous avons renforcé notre contrôle de la délégation de service public, explique l’élu communiste, Yannick Nadesan. Il n’y a donc pas d’abus sur les prix, comme on a pu le voir sur d’autres communes. »

Néanmoins, il a fallu plusieurs années pour y parvenir. Le débat sur le passage à la gestion publique a été entamé en 2003-2004 au moment de renouveler le contrat avec Veolia et s’est renforcé en 2008-2009.

« A ce moment là, la collectivité a mis le nez dans la comptabilité et on s’est rendu compte qu’il y avait quelques soucis, raconte Matthieu Theurier, l’élu écologiste. La collectivité octroyait chaque année une aide au prestataire pour l’entretien du réseau. Au lieu de faire ces travaux au jour le jour, l’entreprise a placé l’argent, dégagé une plus-value et au moment de re-signer le contrat, a fait de gros travaux. »
Une approche politique de l’eau

Rennes a fait le choix d’une société publique locale de l’eau et pas d’une régie publique. La différence entre ces deux statuts réside dans la démocratie directe. En régie, le conseil municipal a directement la main sur l’activité, en société publique, cela passe par ses représentants. En revanche, la régie exige une instance par secteur (approvisionnement, assainissement, distribution) alors que le statut de SPL permet de tout regrouper en une seule entité. Un outil jugé plus malléable pour intégrer à terme les 56 communes de Rennes Métropole et qu’elles aient ainsi plus de poids qu’en étant seules à négocier.

Derrière les tarifs sociaux - les dix premiers mètres cubes d’eau gratuits - et écologiques - gestion de la ressource via la prévention - se pose la question des entreprises. Faut-il faire payer plus cher les entreprises grosses consommatrices d’or bleu ? « On ne peut pas appliquer un tarif progressif pour les ménages, et dégressif pour les entreprises, assène Yannick Nadesan. Il est indéfendable de dire plus vous consommez, moins vous payez. »

Sur la ville de Rennes, un tarif constant a ainsi été mis en place. En outre, le programme Ecodo accompagne les entreprises pour les aider à économiser l’eau. Mais il y a celles où l’eau est centrale dans l’activité, on peut penser aux structures de l’agroalimentaire, par exemple. Des mesures dés-incitatives comme une surtaxe du prix de l’eau seraient-elles envisageables ?

Sur ce point, le débat n’est pas tranché, « mais ça va venir, promet Matthieu Theurier. Nous avons un modèle agricole productiviste qui consomme énormément d’eau. Il faut le remettre en cause, coordonner les différentes politiques publiques sur cette problématique. Quand nous parlerons du plan local agricole, quand on s’attaquera à ce modèle, c’est sûr, il y aura des affrontements politiques, des problèmes de lobbying. Mais, pour le moment, on n’y est pas. »

Par Julie Lallouët-Geffroy (Reporterre)

Lire sur le site de Reporterre (07/07/2015)