A Montréal, face au réchauffement climatique, les habitants verdissent les rues
C’est une rue étroite comme il en existe des milliers à Montréal. A peine trois cents mètres de long sur quatre de large, bordés de façades de brique au traditionnel escalier en métal. Un raccourci idéal en voiture quand on veut éviter le trafic des avenues adjacentes. Sauf que l’une des entrées est désormais plantée d’arbustes et de grimpantes qui s’enroulent sur un portique de bois. Sur les bas-côtés et au centre de la chaussée, l’asphalte a disparu, remplacé par de l’herbe ou des parterres un peu dégarnis en cette fin d’automne. Pour les automobilistes, le passage reste libre, mais sérieusement ralenti.

Luc Corbin, le président du comité de cette ruelle du quartier Rosemont-La Petite-Patrie, non loin du centre de Montréal, assure la visite : la marelle dessinée à la peinture, les trois ruches postées sur un toit, le mur blanc qui sert d’écran lors des soirées cinéma estivales… Pour ce jeune propriétaire et père de famille, il y a bien un avant et un après. « Notre vie a changé. On se parlait à peine, et la rue était régulièrement jonchée de poubelles. Aujourd’hui, les enfants peuvent jouer en sécurité, et on a retrouvé une vie de quartier. »

Ilots de chaleur

Lorsque le programme « ruelles vertes » a été lancé à Montréal dans les années 2000, l’objectif était d’abord de « redonner du pouvoir aux citoyens, afin qu’ils puissent agir eux-mêmes sur leur environnement », note le maire de l’arrondissement, François Croteau.

Depuis, la métropole québécoise a été rattrapée elle aussi par le changement climatique. S’il fait froid à Montréal l’hiver, le thermomètre dépasse de plus en plus souvent les 30 degrés pendant les mois d’été. Et la ville, qui a connu ces dernières années des épisodes caniculaires récurrents, cherche à lutter contre le phénomène des îlots de chaleur, accentué par l’omniprésence des surfaces asphaltées.

Or, rien de tel que l’ombre et l’humidité des végétaux pour apporter de la fraîcheur. La plantation d’une vigne vierge peut réduire de près de 20 degrés la température d’un mur exposé plein sud. En outre, la suppression d’une partie de l’asphalte favorise l’écoulement des eaux de pluie. En s’évaporant le matin, l’eau accumulée dans les sols participe au rafraîchissement de la ville.

Alors, ces dernières années, le programme s’est accéléré. Dans le seul arrondissement de Rosemont-La-Petite-Patrie (15,9 km2 de superficie pour 145 000 habitants) où habite Luc, l’équivalent de neuf terrains de football a été « déminéralisé », soit quelque 20 km linéaires de béton et d’asphalte remplacés par des végétaux. La municipalité apporte un soutien de 15 000 dollars canadiens (10 000 euros) par ruelle pour les travaux d’excavation, le mobilier urbain et les plantes. A charge pour les riverains de faire la preuve qu’au moins la moitié des habitants sont favorables au changement. Revers de la médaille, le prix des maisons augmente dans ce quartier populaire, où 72 % des habitants sont locataires et où le revenu moyen est le troisième plus bas à Montréal.

Expérience de ruelle « comestible »

Verdir la ville pour résister aux crises. En 1975 déjà, des jardins communautaires avaient été créés à Montréal après le premier choc pétrolier, pour « aider les populations de quartiers abandonnés à se nourrir », raconte Eric Duchemin, directeur scientifique du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB). La ville compte aujourd’hui 97 de ces jardins partagés, divisés en 7 000 parcelles de 10 à 12 m2 attribuées chacune, gratuitement, à un jardinier amateur. « On y trouve une grande mixité, avec à la fois des personnes qui veulent montrer à leurs enfants comment poussent les légumes et d’autres qui ont besoin de ce coin de terre pour se nourrir », constate le chercheur.

Mais désormais, les plantes comestibles débordent des potagers pour conquérir les espaces publics. Autour du jardin communautaire Basile-Patenaude, cent cinquante arbustes fruitiers ont été plantés côté rue, le long du trottoir, ainsi que sur une friche mitoyenne, jouxtant un parking de supermarché réputé pour sa chaleur estivale. Les fruits sont à la disposition des passants, des tables ont été installées pour pique-niquer et une fermette accueille des poules en été. « Ce sont des habitants bénévoles qui ont la clef et se relaient pour récupérer les œufs, chacun peut s’inscrire », explique David-Alexandre Boutin, président du conseil d’administration du jardin, qui a voulu ainsi « ouvrir les barrières ». « Les listes d’attente pour obtenir une parcelle sont très longues. Il est temps de revoir ces programmes afin de pouvoir faire participer plus d’habitants. »

La mairie d’arrondissement et le laboratoire de M. Duchemin accompagnent cette expérience de « ruelle comestible ». Le scientifique a notamment réalisé une étude sur le risque de contamination aux métaux lourds présents dans la terre de cette ancienne parcelle industrielle. Les analyses sur les baies et les fruits récoltés sont rassurantes, et le chercheur en agriculture urbaine se réjouit de voir « les comestibles grignoter du terrain ».

Il n’est pas rare qu’aux beaux jours des plants de tomates ou des framboisiers s’épanouissent le long de la chaussée, sur la partie herbeuse des trottoirs des avenues ou au pied des arbres. Nul besoin d’autorisation. « Pour nous, l’espace public n’appartient pas à la ville mais aux citoyens », affirme François Croteau, dont les services municipaux ne tondent plus ces parcelles. Plus de 552 de ces mini-jardins citoyens ont été créés dans l’arrondissement.
A Montréal, dans l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, les riverains cultivent les espaces publics devant chez eux. Plus de 552 de ces mini-jardins citoyens ont été créés dans l’arrondissement.

Stratégie des petits pas

Laurence Bherer, professeure en sciences politiques qui étudie les mouvements citoyens à l’université de Montréal, voit dans ces initiatives un « engagement politique de la part d’habitants qui veulent changer les choses en commençant par leur mode de vie ». « On assiste ces dernières années à une intensification de cette stratégie des petits pas pour créer du collectif et agir en faveur de la transition écologique », ajoute la chercheuse.

Pour Mme Bherer, le verdissement des rues procède des mêmes motivations que le glanage des aliments dans les poubelles, un phénomène lui aussi en augmentation, notamment grâce aux réseaux sociaux qui « permettent facilement à des particuliers de se donner rendez-vous pour nettoyer et partager les invendus des commerçants ».

Gladys Liard, administratrice de Solon, collectif citoyen qui veut « agir collectivement pour réinventer nos milieux de vie », en est convaincue : « Il y a un effet boule de neige dans ces initiatives citoyennes. Les gens veulent agir, ils sont de moins en moins insensibles aux signaux d’alarme climatiques et s’engagent à leur tour quand ils voient que les projets fonctionnent. » Le collectif Solon a lancé un ambitieux chantier de chauffage collectif géothermique dans les ruelles, qui vise à remplacer le fuel et le gaz par de l’énergie renouvelable. Le montage financier est quasiment bouclé, avec à la fois des fonds privés et publics pour que « la transition se fasse à coût zéro pour les habitants ». Les travaux – des puits de 200 à 300 mètres de profondeur où puiser de l’air chaud l’hiver et l’y rejeter durant l’été – pourraient démarrer au printemps 2020.

Par Claire Legros (publié le 20/12/2018)
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