Les patrons allemands privés d’intérimaires à vie
Le 10 juillet dernier, le Tribunal fédéral du Travail (BAG) a rappelé aux patrons allemands que le travail intérimaire était par essence temporaire et ne pouvait servir à remplacer les effectifs réguliers. Les syndicats allemands se frottent les mains, car ils vont pouvoir s’appuyer sur cette jurisprudence pour traquer les abus, entreprise par entreprise. Et des abus, il y en a de plus en plus.

Un revers pour la droite et les patrons

Dans un jugement définitif, le BAG a donné raison à un comité d’entreprise qui avait refusé de donner son accord à la direction pour embaucher une travailleuse intérimaire sans limitation de durée. L’entreprise avait porté plainte contre cette décision et, dans un premier temps, obtenu gain de cause devant un tribunal de Basse-Saxe. Infirmant la décision de leurs collègues, les juges fédéraux se sont eux appuyés sur le paragraphe de la loi qui précise que l’emploi d’un travailleur intérimaire ne peut être que « temporaire ». La loi sur l’intérim, amendée en mars 2011 grâce à la majorité de droite hostile à une réglementation trop contraignante, a en fait été formulée en des termes très vagues qui laisse pas mal de marge aux employeurs. Les juges  fédéraux viennent donc de préciser le sens de la loi. Abondamment commentée, la décision du Tribunal intervient en pleine campagne électorale où la question du développement de la précarité de l’emploi et des bas salaires (voir aussi l'article Pour 1,32 euro de l'heure ), ainsi que la manière d’y remédier, est un sujet central d’affrontement entre les partis.
Malgré une très bonne conjoncture, l'aéronautique abuse de l'intérim © Philipp Guelland/AP/SIPA
Malgré une très bonne conjoncture, l'aéronautique abuse de l'intérim © Philipp Guelland/AP/SIPA

14 % d’intérimaires dans l’aéronautique, un secteur qui tourne pourtant à plein régime

Le recours aux intérimaires (800 000 en Allemagne) est devenu pour bien des entreprises allemandes un outil classique pour faire baisser les salaires tout en disposant d’effectifs que l’on peut renvoyer du jour au lendemain. Jusqu’à présent très goûté par les patrons des services, les industriels allemands l’apprécient de plus en plus. L’exemple de l’aéronautique, un secteur en très bonne santé est symptomatique. Un récent sondage du syndicat IG Metall auprès des comités d’entreprises de 42 entreprises (donneurs d’ordres et sous-traitants) employant en tout 60 500 salariés, montre que malgré des carnets de commandes bien remplis, des rythmes de travail intenses et des comptes épargne-temps qui explosent, les entreprises du secteur forment peu et s’appuient fortement sur l’intérim et les «contrats de service ». Le taux d’intérimaires s’établit aujourd’hui à 14,1 % des effectifs totaux du secteur, contre 13 % un an auparavant. Quant aux « contrats de services », ils sont évalués à 5 % des effectifs. Le syndicat estime que sans cela, 18 500 emplois réguliers pourraient être créés.

L’exception et non plus la règle

Selon le n°2 du syndicat IG Metall Detlef Wetzel, dans le secteur de la métallurgie, de l’automobile et de la machine-outil, la durée moyenne de présence d’un intérimaire dans une entreprise est supérieure à un an : « Ce qui veut dire qu’il ne s’agit pas de faire face à des pénuries temporaires de personnel mais bien de remplacer des emplois réguliers par des emplois peu coûteux et que l’on peut supprimer à tout moment », a-t-il expliqué. « Jusqu’à présent, le questionnement sur l’emploi de l’intérim évoluait à un niveau moral. On se demandait s’il est juste de remplacer les effectifs réguliers par des effectifs intérimaires. Désormais, nous avons une décision de justice claire qui dit que c’est illégal. Et cela donne aux CE un mandat juridique bien déterminé pour agir contre la division des personnels. C’est pour nous un tournant radical dans la lutte contre l’abus de l’intérim… L’intérim doit être l’exception et non la règle », a-t-il déclaré à l’agence de presse dpa.
Les juges du BAG n’ont cependant pas précisé à partir de quelle durée un travailleur intérimaire n’effectuait plus de mission temporaire dans une entreprise. Les syndicats Verdi (services) et IG Metall, en ont donc appelé au législateur pour qu’il précise la durée des missions d’intérim dès que les élections du 22 septembre prochain seront passées. 

Lire sur le site de marianne.net (15/07/2013)