À Lampedusa, la solidarité avec les migrants l'emporte

La nouvelle maire de Lampedusa, en Italie, donne ses rendez-vous chez une de ses amies. Surplombant la mer, la maison est située près d'une crique réaménagée à la suite des arrivées de migrants. Non loin, se trouve un cimetière où sont enterrés ceux qui n'ont pas survécu à la traversée en Méditerranée.

La cinquantaine énergique, tunique en batik bleu azur et pantalon blanc, Giusi Nicolini est née sur l'île et issue d'une famille communiste. L'ex-représentante de l'association écologiste Legambiente est aussi l'ancienne directrice de la réserve naturelle. Ce soir-là, dans la chaleur étouffante du sirocco, elle est préoccupée car elle vient de trouver de nouvelles irrégularités dans les comptes laissés par son prédécesseur.

Élue lors des élections municipales des 6 et 7 mai, elle a mis dehors Bernardino De Rubeis, proche du Mouvement (conservateur) pour les autonomies (MPA), dont l'exaspération à l'égard des Tunisiens s'est teintée de xénophobie lorsque l'île, cette petite bande de terre ferme à l'extrême bord sud de la Sicile, est devenue début 2011 le théâtre d'une tragédie humaine et géopolitique débordant largement les considérations locales.

Comme la plupart des 6 000 habitants de Lampedusa, Giusi Nicoloni s'est mobilisée pour apporter de l'aide pendant cette période au cours de laquelle, certains jours, plus de 7 000 exilés ont été recensés. Un an et demi plus tard, elle ne tire aucune gloire de son engagement et rappelle la tradition d'accueil de Lampedusa. « J'ai été élue, affirme-t-elle, parce que les gens voulaient du changement. Je n'avais jamais été maire auparavant et ils voulaient du neuf. Ils voulaient une femme, une environnementaliste, ils savaient ce que j'avais fait à la réserve, ils avaient le résultat sous les yeux, et surtout, ils voulaient quelqu'un qui agisse dans le respect des règles. Ils en avaient assez de la corruption et du clientélisme. »

Pour elle, immigration, environnement, affaires, tout est lié. « Ils en avaient assez que la gestion de la ville ne serve que les intérêts de quelques-uns. De la même manière qu'ils ont détruit les côtes avec l'urbanisation touristique, ils n'ont cessé de considérer les migrants comme un business », assure-t-elle. Elle évoque, par exemple, les « accointances » entre l'ex-administration municipale et la structure gestionnaire de l'ancien centre d'identification et d'expulsion, qui recevait, se souvient-elle, 40 euros par personne et par jour : « Plus il y avait d'étrangers et plus ceux-ci restaient longtemps, plus cela leur apportait de l'argent. » « On n'a jamais su ce qu'ils faisaient de toutes ces sommes », regrette-t-elle, rappelant les démêlés de son adversaire défait avec la justice.

Elle signale aussi les appels d'offres pour recycler les bateaux des migrants, « remportés par des amis de la mairie ». « À deux reprises, explique-t-elle, les décharges ont pris feu. Les entreprises avaient déjà empoché l'argent. Mais comme les bateaux étaient partis en fumée, elles n'ont pas eu à s'en occuper. Outre les questions que pose le caractère plus ou moins accidentel de ces incendies, les conséquences environnementales sont dramatiques » car, en plus des carcasses de navires, ont brûlé toutes sortes de produits toxiques.

La nouvelle “sindaco” ne nie pas l'évidence : l'île, plus près de la Tunisie que de la Sicile, a connu une année 2011 hors norme. Quelque 40.000 migrants y ont transité, dont 25.000 en l'espace de deux mois. Le petit port n'a pas désempli, les garde-côtes ont enchaîné les sorties en mer jusqu'à épuisement des équipages, le centre de rétention était plein à craquer. Au point qu'en septembre, ça a mal tourné : les 1.500 Tunisiens, révoltés, ont mis le feu à leur geôle et se sont évadés. L'île mesurant à peine 20 kilomètres carrés, ils n'ont pas pu aller loin. Des habitants leur ont jeté des pierres, ils se sont battus avec eux.

« Cette situation a été créée de toutes pièces, déplore Giusi Nicolini. Pendant un an, la question de l'immigration a été instrumentalisée par les autorités nationales. Le risque d'invasion, la peur des étrangers, tout y est passé. Mais la vérité, c'est qu'il n'y a pas eu beaucoup plus d'arrivées que d'autres années. C'est devenu explosif à partir du moment où les migrants n'ont plus été transférés en Sicile. Cela a provoqué un goulot d'étranglement, les gens ont été massés à Lampedusa, c'est devenu intenable. C'était fait exprès : ils ont créé un problème là où il n'y en avait pas, pour justifier leurs politiques répressives. Tout le monde en a pâti : les migrants dont les droits ont été bafoués et les Lampedusiens qui ont vu fuir les touristes. Dino De Rubeis a voulu profiter de la situation : l'attention portée à l'immigration lui a permis de poursuivre ses activités parallèles. Mais les électeurs ont dit stop. »

Début juillet, la saison commence tout juste, après un été 2011 catastrophique. Sur cette île où les touristes ont remplacé les poissons, tous scrutent l'horizon et redoutent de nouveaux débarquements. Le dernier a eu lieu dans la nuit de jeudi 5 à vendredi 6 juillet. À bord, 60 hommes tunisiens, tous transférés en Sicile en vue de leur expulsion, ainsi que trois femmes et trois enfants, “accueillis” dans le centre de rétention de l'île, fermé après l'incendie mais rouvert lundi 2 juillet en tant que centre de premier secours.

« Ce lieu peut loger jusqu'à 300 personnes », indique la maire, qui a négocié avec le ministère de l'intérieur la garantie que les personnes n'y restent pas plus de 96 heures. « Lampedusa doit redevenir une île d'accueil », lance-t-elle, avant de se rendre au festival des pêcheurs organisé en centre-ville.

Carine Fouteau

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