15 dollars/heure : La prise de Los Angeles
 Victoire retentissante cette semaine, aux États-Unis, du mouvement pour une hausse du salaire minimum à 15$ de l’heure. Mercredi, le conseil municipal de Los Angeles a voté (14 contre 1) pour atteindre progressivement ce niveau d’ici 2020. On estime que 700 000 salarié∙e∙s bénéficieront de cette hausse.

Est-ce la note socio-économique sur le « salaire viable » publiée par l’IRIS qui a ainsi soulevé le prolétariat californien? Eh bien non... Il existe un véritable mouvement populaire aux États-Unis qui remet en question le niveau du salaire minimum. Ce sont les « travailleuses et travailleurs du fast-food » qui ont fait entendre cette revendication les premiers en montrant l’insuffisance du salaire minimum pour garantir un niveau de vie décent. Dès 2013, ce mouvement en surprit plus d’un.e en s’organisant à l’échelle du pays, organisant même une grève dans les restaurants McDonald’s et Burger King de 60 villes.

Comme on pouvait le lire hier dans un éditorial du New York Times, ce mouvement a trouvé sur son chemin les adversaires habituels des hausses du salaire minimum, à commencer par le monde des affaires. En 2015, ces opposants ont servi aux travailleuses (elles sont majoritairement des femmes) les mêmes arguments qu’on leur sert depuis 1938, soit depuis l’établissement d’un salaire minimum fédéral. Selon eux, les entreprises devront licencier des employé∙e∙s, les commerces vont fermer ou vont déménager, etc. L’expérience montre plutôt que les entreprises y gagnent en réduisant la rotation du personnel et en augmentant la productivité.

Toujours selon le New York Times, l’une des façons d’absorber une hausse du salaire minimum est de tout simplement... moins rémunérer les cadres et les actionnaires.

Voilà qui a le mérite de ramener l’enjeu de la croissance des inégalités, qui est, avec les changements climatiques, certainement le phénomène socio-économique le plus instructif de l’époque à laquelle nous vivons. Depuis l’avènement du néolibéralisme il y a une trentaine d’années, les riches ont pris le dessus dans la lutte des classes dont parle le richissime investisseur Warren Buffet, qui détient l’une des trois plus grandes fortunes du monde. D’ailleurs, un rapport de l’OCDE sortait hier, et affirmait sur le problème de l’accroissement des inégalités étaient particulièrement criant aux Etats-Unis où «entre 2008 et 2013, le revenu moyen disponible par ménage des 10 % les plus riches a augmenté de 10,6 %, tandis que celui des 10 % les plus pauvres a reculé de 3,2 %[1]».

Le mouvement pour un salaire minimum à 15$ de l’heure donne ainsi un nouveau souffle à la critique populaire des inégalités de richesse comme l’avait fait avant lui en 2011 l’étonnant mouvement des « 99% » et de Occupy Wall Street. Avant de gagner Los Angeles, les travailleuses et les travailleurs ont d’ailleurs conquis Seattle et San Francisco. Cette vague revendicatrice se déplace maintenant vers l’est du pays et plusieurs villes, dont New York, pourraient emboiter le pas.

Et pourrait-il ensuite monter plus au Nord, ce mouvement ? Des syndicats en Colombie-Britannique portent désormais cette revendication qui a aussi été reprise par le NPD l’année dernière. Ce parti propose de rétablir un salaire minimum fédéral qui serait fixé à 15$/h. Ce mécanisme avait été aboli en 1996 par le gouvernement de Jean Chrétien.

Une hausse du salaire minimum ne règle pas tout. Ne serait-ce que parce que ce « minimum » devrait toujours être un minimum « viable », comme l’ont expliqué les chercheurs de l’IRIS Minh Nguyen et Philippe Hurteau. Mais la forme que prend le débat actuellement sur le salaire minimum aux États-Unis permet d’illustrer efficacement le rapport de force qui détermine, du moins partiellement, la distribution de la richesse dans une société.

Par Guillaume Hébert
A lire sur le site Le journal de Montréal (22/05/15)